Si la tendance se maintient et que les sondages ne seraient pas démentis, Djemila Benhabib deviendrait la première députée d’origine algérienne à siéger à l’Assemblée nationale du Québec, à l’issue des élections qui se tiennent aujourd’hui dans la province canadienne pour élire les 125 représentants du peuple.



Les sondages la créditent de près de 40% des intentions de vote à Trois-Rivières, ville située à 140 km au nord-est de Montréal. Elle est en avance d’une dizaine de points sur ses adversaires et ce, malgré son parachutage dans cette circonscription par le Parti québécois, parti voulant l’indépendance du Québec du Canada et de tradition social-démocrate, mais qui bénéficie de l’appui des médias conservateurs.

Née en Ukraine, de père algérien et de mère chypriote grecque, Djemila Benhabib a toujours vécu en Algérie jusqu’à son départ forcé avec sa famille au plus fort de la décennie noire. Après un passage en France, elle obtient le statut de réfugiée politique au Canada. Elle a été aussi la correspondante du journal El Watan à Montréal avant de déménager à Gatineau, ville voisine de la capitale canadienne Ottawa, pour occuper un poste dans la fonction publique.

Ses prises de positions contre l’islam politique, l’islam tout court, selon certains observateurs, lui ont valu beaucoup de sympathie dans les médias québécois, particulièrement ceux proches de la droite souverainiste, et dans certains cercles politiques. Elle a été approchée par la chef du parti québécois elle-même pour représenter la circonscription de Trois Rivières. Le parti est dominé actuellement par sa frange la plus radicale. Bien que traditionnellement, au Québec, un député ne siège pas au Conseil des ministres dans un premier mandat, il est fort probable que Djemila Benhabib obtienne un poste de ministre dans le prochain gouvernement. Le parti veut faire adopter une charte sur la laïcité qui interdirait le voile islamique dans la fonction publique et dans tout organisme bénéficiant des subventions de l’Etat, y compris les garderies d’enfants. Il table sur Djemila Benhabib pour en faire la promotion.

Anti-islamiste, islamophobe...


Djemila Benhabib s’est fait connaître au Québec à travers deux essais, l’un autobiographique Ma vie à contre-coran qui a eu un un énorme succès et l’autre Les soldats d’Allah à la conquête de l’Occident qui a eu moins de succès bien que surfant sur la thèse du péril musulman qui menace la civilisation occidentale. Une démarche qui rappelle d’autres comme celle de l’ancienne députée néerlandaise d’origine somalienne, Ayaan Hirsi Ali. Bien que son discours soit anti-islamiste, la nuance avec anti-musulman n’est pas toujours claire dans l’opinion publique, dans un Québec qui n’est plus dirigé par l’église, mais qui garde le crucifix de l’Assemblée nationale. Miloud Chennoufi, professeur en relations internationales au collège des forces canadiennes à Toronto, estime que tout en étant absolument libre de se présenter à ces élections, Djemila Benhabib «ne cache pas son islamophobie, elle la revendique même à travers le titre de son livre.

Elle doit donc l’assumer, tout comme elle doit assumer les propos qu’on retrouve dans les milieux de la droite dure et de l’extrême droite françaises, mais aussi dans les milieux notoirement islamophobes américains qu’elle a repris dans son deuxième livre». «Il est triste de constater qu’en nourrissant le discours raciste, la voilà candidate à des élections provinciales. Je ne me fais aucune illusion, si elle est élue. Elle participera à importer au Québec ce que la politique française de ces trente dernières années a de plus détestable : la stigmatisation des Arabes et des musulmans», a-t-il ajouté. Une situation qui profitera plus aux extrémistes de tous bords.
Fardi Salem, membre du Parti québécois depuis 17 ans et ardent défenseur de sa candidature, estime de son côté que «Djemila Benhabib est à féliciter pour avoir fait le saut en politique québecoise».
Pour Youcef Bendada, économiste : «Voilà une compatriote qui n’a pas froid aux yeux. Elle dit ce qu’elle pense, quitte à déplaire ! Elle ira loin, car elle n’a honte ni de ses origines ni de son combat qu’elle porte sur la place publique, quitte à déplaire aux bigots et surtout aux misogynes et intégristes de... tous poils.»

Dans sa circonscription, le journal La Presse rapporte que devant un lycée de Trois-Rivières, un adolescent l’a interpellée par un «Mme Benhabib, je suis Algérien et vous êtes une honte pour tous les Algériens».  Elle a confié à la journaliste qui la suivait : «Je suis une femme, une journaliste engagée et je suis condamnée à mort pour mes écrits. Ce genre de choses n’est pas surprenant.»
Trois autres candidats d’origine algérienne, Rachid Bandou, Farida Chemmakh et Amal Bouchetouf, sont en lice pour ces élections, mais leurs chances sont largement inférieures à celles de Djemila Benhabib.
Au niveau fédéral, le Parlement canadien compte trois députés d’origine algérienne : Djaouida Sellah, Sadia Groguhé et Tarik Brahmi.


Source: El Watan - 4 septembre 2012