Le « chaos » s’installera dans les organismes publics au cours de l’été, et ce, en raison non pas de la légalisation du cannabis, mais plutôt de l’entrée en vigueur des lignes directrices sur le traitement d’une demande d’accommodement religieux.
Les élues Agnès Maltais (Parti québécois) et Nathalie Roy (Coalition avenir Québec) ont tour à tour fait cette prédiction choc dans la foulée de la présentation des « conditions » d’octroi d’un accommodement pour un motif religieux.
Les nouvelles lignes directrices ne forment pas un « cadre d’analyse unique », a insisté mercredi la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, soit près de sept mois après l’adoption de la loi favorisant le respect de la neutralité religieuse. Du coup, chaque demande d’accommodement religieux devra continuer d’être traitée au « cas par cas ».
À quelque 145 jours des élections générales, il n’en fallait pas plus pour rouvrir le débat sur l’« accommodement raisonnable ». En moins de deux, des images de Warda Naili et de Sondos Lamrhari sont réapparues sur les écrans de télévision. Ces deux femmes de confession musulmane s’étaient trouvées au coeur de l’actualité au fil des derniers mois. Warda Naili comptait prendre l’autobus ou le métro, ou encore consulter des professionnels de la santé sans retirer son niqab après l’entrée en vigueur de l’article 10 de la « loi 62 ». Une personne offrant ou recevant un service public « doit avoir le visage découvert », prévoit-il. Il a été suspendu par la Cour supérieure en décembre dernier. Sondos Lamrhari aspirait pour sa part à grossir les rangs d’un corps de police tout en arborant un hidjab.
Toutes deux seront vraisemblablement contraintes de présenter une demande d’accommodement religieux en vertu de la procédure prévue dans la « loi 62 » — à moins que celle-ci soit charcutée par les tribunaux.
Présence d’un répondant
À compter du 1er juillet, « un répondant en matière d’accommodement » sera désigné dans chaque organisme public. Avant d’accorder un accommodement religieux, il devra notamment s’assurer que « le demandeur [croit] sincèrement qu’il est obligé de se conformer à [une] conviction ou [une] pratique dans le cadre de sa foi » et que l’accommodement demandé n’entre pas en collision avec le droit de toute personne d’être traitée sans discrimination.
Le Parti libéral du Québec a rempli son engagement de favoriser le respect de la neutralité religieuse de l’État québécois, s’enorgueillissait le premier ministre Philippe Couillard jeudi. « Ça termine le travail qu’on avait promis à la population », a-t-il déclaré, plus d’une décennie après l’éclatement de la prétendue « crise des accommodements raisonnables ».
Mais les lignes directrices édictées par l’auteure de la « loi 62 », Stéphanie Vallée, ont aussitôt été étrillées par les partis d’opposition à l’Assemblée nationale. « dix ans plus tard, on n’a rien entre les mains, encore. […] Que ce soit toujours sur le dos, les épaules des employés de trouver une réponse aux accommodements, ça me décourage complètement », a dit l’élue péquiste Agnès Maltais, reprochant du même souffle au gouvernement libéral d’avoir « un regard bienveillant envers la montée du religieux dans l’État ». « [En] élev[ant] les accommodements religieux au statut de loi », l’équipe de Philippe Couillard « fait rentrer davantage de religieux dans l’État », a poursuivi l’élue caquiste Nathalie Roy, tout en promettant de « déchirer » la « loi 62 » au lendemain d’une éventuelle victoire électorale de la CAQ le 1er octobre prochain.
« Détournement du débat public » ?
Le co-porte-parole de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois regrettait de voir ses adversaires politiques entrer, une nouvelle fois, dans « la grande danse des accommodements raisonnables ». « D’un côté, on a le Parti libéral du Québec qui est incompétent, qui n’est pas foutu de donner des balises claires même si c’est un débat qui s’éternise depuis dix ans. Et de l’autre, on a le Parti québécois et la Coalition avenir Québec, qui […] tentent de gonfler cette histoire-là et d’en faire une crise nationale pour gagner des points dans l’électorat. C’est de très mauvais augure à l’approche des prochaines élections », a-t-il affirmé à la presse.
Cela dit, « la population n’est coupable de rien » dans la mise en sourdine d’« enjeux pas mal plus pressants » — les conditions de travail des enseignants, la transition écologique, la parité femme-homme au Conseil des ministres, a-t-il illustré — au profit d’une soi-disant « crise majeure à propos des accommodements raisonnables ». « Les responsables, ce sont ceux qui profitent de chaque cas isolé pour créer une perception d’une crise », a-t-il dit.
En 2017-2018, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) a reçu 117 demandes d’accommodement, dont 20 demandes d’accommodement pour motif religieux (17 %). La moitié d’entre elles ont été soumises par des personnes de confession musulmane, trois de confession juive, trois de confession protestante adventiste et une de la part d’un témoin de Jéhovah. À titre de comparaison, 63 % des demandes transmises au Service de conseil en accommodement (SCAR) de la CDPDJ invoquent un motif de handicap (47 sur 117) et 3 % un motif de grossesse (4 sur 117).
Mais « les questions relatives à l’immigration et à la cohabitation culturelle, lorsque traitées par les médias, auront […] plus de chances d’avoir un impact sur l’ordre du jour public et politique, car elles sont à la fois concrètes, dramatiques et éloignées du quotidien d’une grande partie de la population », soulignait la politologue et sociologue Maryse Potvin dans l’ouvrage Crise des accommodements raisonnables. Une fiction médiatique ? publié dans la foulée des élections générales de 2007.
Pas de quoi rassurer « GND ».
Source: https://www.ledevoir.com/politique/quebec/527639/accommodements-raisonnables-le-chaos-a-venir