Un Québécois est condamné à quatre ans de prison pour homicide « par imprudence » après un accident de bateau ayant coûté la vie à une mère de famille.

C'était le dernier jour d'une semaine de vacances en famille à Cayo Coco, à Cuba. Mais ce vendredi matin là, ce qui devait être un séjour de rêve s'est transformé en une double tragédie. D'abord pour Jennifer Ann Marie Innis, touriste ontarienne qui a été happée par l'hélice d'un bateau qui a percuté sa propre embarcation et lui a tailladé le crâne, la tuant sur le coup.

Ensuite, pour le conducteur du hors-bord, le Québécois Toufik Benhamiche, que la justice cubaine a jugé coupable d'homicide « par imprudence. » Condamné à quatre ans de prison, il est coincé dans l'île depuis neuf mois.

Il a porté ce verdict en appel. Sa cause doit être entendue la semaine prochaine. En attendant, le père de famille de Mascouche a l'impression de jouer dans un mauvais film dont il est devenu bien involontairement le héros.

« Je me sens pris dans un guet-apens, pris en otage par un gouvernement qui refuse de reconnaître la responsabilité d'une entreprise publique dans cet accident », a-t-il dit en soupirant lorsque nous l'avons joint à Cuba.

Le matin fatidique du 7 juillet, Toufik Benhamiche, 47 ans, sa femme Kahina Bensaadi, 34 ans, et leurs deux fillettes de 5 et 7 ans devaient partir en excursion à Cayo Guillermo pour une journée d'activités excitantes, dont une balade à cheval.

Après avoir reçu des instructions sommaires sur le maniement de leur vedette, ils se sont éloignés du quai, suivant les explications des instructeurs de l'entreprise cubaine Marlin, partenaire du transporteur Sunwing.

Mais après seulement quelques mètres, le bateau doté d'un moteur de 40 chevaux s'est emballé, a fait demi-tour et a foncé vers le quai, percutant l'embarcation où avait pris place Mme Innis, une mère de trois enfants de Woodstock, en Ontario.

« Le bateau a changé de direction sans que je comprenne pourquoi », a dit l'infortuné navigateur.

Sous l'impact du choc, la vedette dans laquelle avait pris place la famille de Toufik Benhamiche a été projetée dans les airs, avant de s'écraser sur le quai.

« J'ai vécu un choc très fort, j'avais peur pour ma femme, pour mes filles, et pour les gens de l'autre bateau », a confié Toufik Benhamiche, qui travaille comme ingénieur à la Ville de Laval.

CONFIANCE

Pendant toute la durée de l'enquête sur cet accident, Toufik Benhamiche a fait confiance à la justice cubaine. Il était convaincu que le bon sens gagnerait. Et que la responsabilité de ces évènements tragiques serait au bout du compte attribuée à l'entreprise cubaine partenaire de Sunwing.

Tant lui que sa femme, jointe hier à Mascouche, assurent que les organisateurs de l'excursion ne les ont pas suffisamment préparés à piloter leur bateau.

« Les guides nous ont dit qu'il était facile à manipuler, qu'il ne pouvait pas chavirer. » - Toufik Benhamiche

« Nous faisions partie d'un groupe d'une vingtaine de touristes, nous avons reçu quelques instructions verbales, on nous a montré comment accélérer et freiner, on nous a dit qu'il n'y avait aucun risque d'accident, on a renforcé notre sentiment de sécurité », a renchéri Kahina Bensaadi, qui occupe le poste de conseillère médicale pour une firme de télémédecine.

LAISSÉ À LUI-MÊME

Le lendemain de l'accident, Kahina Bensaadi est rentrée comme prévu au Canada avec ses deux filles. Son mari a entrepris un long chemin de croix à travers les méandres de la justice cubaine.

Pendant cette période, le couple analyse les lois cubaines et parvient à la conclusion que l'entreprise Marlin a failli à plusieurs obligations légales dans l'organisation de l'excursion qui a tourné au drame. En leur permettant de prendre place tous les quatre à bord d'un bateau prévu pour un maximum de deux passagers. En ne leur offrant pas de formation pratique avant que Toufik Benhamiche ne prenne le volant de l'embarcation. Et en ne leur proposant aucune couverture en responsabilité civile.

Leur avocat cubain, Luis Alberto Vidal Rodríguez, leur a appris qu'en cours d'enquête, trois employés de Marlin auraient été visés par des accusations. Mais ces accusations auraient fini par être retirées.

L'attente paraît interminable. Toufik Benhamiche, qui ne parle pas espagnol, se sent tout seul au monde, loin de sa femme et de ses enfants. Il a fait appel aux responsables consulaires canadiens à Cuba, qui ne lui offrent aucune aide, affirme le couple.

Aucun représentant canadien n'était présent le jour du procès, le 4 décembre dernier, dénonce Kahina Bensaadi. Ni au moment de l'annonce du verdict, le 20 décembre. Citoyen canadien, l'homme qui vit depuis une décennie au Canada se sent laissé à lui-même, abandonné par son pays.

Le verdict lui est tombé dessus comme une tonne de briques.

« Je ne sais pas où je trouve la force de supporter tout ça. Je me dis que si je résiste, je le fais pour ma femme et mes filles. » - Toufik Benhamiche

Depuis l'accident, sa vie est en lambeaux. Il n'a pas vu ses filles depuis neuf mois. Et il n'a pas reçu de salaire, puisqu'aucune assurance ne prévoit de couverture pour ce genre de scénario. Et il est maintenant menacé de congédiement.

CONFLIT D'INTÉRÊTS

« M. Benhamiche a été doublement victime dans cette histoire », estime le député fédéral de Montcalm, Luc Thériault, vers qui Mme Bensaadi s'est tournée, dans l'espoir de l'aider à mettre fin au cauchemar.

« Ils sont victimes de la compagnie qui a manqué à ses devoirs, et victime d'un système judiciaire qui a décidé d'en faire l'unique coupable. »

Le député s'interroge aussi sur le peu d'aide que les responsables consulaires ont offerte à M. Benhamiche. « Qu'est-ce qu'ils ont fait en attendant le procès ? J'ai l'impression qu'ils n'ont rien fait. Cette histoire n'a pas de maudit bon sens ! »

Toufik Benhamiche envisage aujourd'hui d'intenter une poursuite civile contre Sunwing, qui lui a vendu le forfait de vacances, et une poursuite administrative contre le gouvernement canadien, à qui il reproche d'avoir ignoré ses appels à l'aide.

En faisant porter toute la responsabilité de l'accident sur M. Benhamiche, « les autorités cubaines tentent d'exonérer une entreprise qui appartient à l'État », plaide le bureau d'avocats Grey Casgrain dans une lettre adressée à la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland.

Pour l'avocat qui représente M. Benhamiche au Québec, Julius Grey, ce tragique dénouement s'explique par un conflit d'intérêts : l'État cubain, qui est le véritable propriétaire de l'entreprise Marlin, veut se soustraire à l'éventualité de compenser la famille de Mme Innis. Et pour cela, il doit rejeter toute la faute sur Toufik Benhamiche.

Dans sa décision en première instance, que La Presse a obtenue, le Tribunal provincial populaire de Ciego de Ávila juge que c'est M. Benhamiche qui s'est montré imprudent, notamment parce qu'il a embarqué sa femme et ses filles à bord d'un bateau qui n'était pas apte à porter une telle charge.

La requête en appel doit être entendue mardi prochain. En attendant, dans leur maison de Mascouche, Kahina Bensaadi tente tant bien que mal de rassurer ses deux fillettes.

Parfois, quand elles rentrent à la maison, de retour de la piscine, et que la lumière a été laissée allumée par inadvertance, elles s'attendent à ce que ce soit leur papa qui leur ouvre la porte, raconte-t-elle.

« Je n'en peux plus que papa ne soit pas là, il est parti depuis trop longtemps », se plaint souvent l'une des deux filles, raconte Kahina Bensaadi, en étouffant des sanglots.

« Tout ce que je veux, c'est que mon conjoint soit rapatrié en tant qu'homme libre. »

Joints par La Presse hier après-midi, ni le ministère des Affaires étrangères ni Sunwing ne nous ont rappelée.


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