En novembre 2011, dans le Quotidien d’Oran nous avons écrit : «Le canada et le Québec en particulier, ont tout à perdre en réveillant les démons du racisme et du communautarisme et tout à gagner en favorisant le respect de la dignité humaine, en accueillant plus de souffrants et d'opprimés et en ignorant tous ces néologismes […] non sensés tels que multi ou inter-culturalisme, choc des civilisations. Une révision des conditions d'accueil pour une meilleure dilution des immigrés est nécessaire.» .

Légiférer sur les libertés : un non sens philosophique ou un sérieux problème de sémantique.

Être libre signifie qu’aucune loi y compris celle de Dieu ou des dieux et encore moins celles des hommes ne  doit en constituer une entrave. S’il s’agit d’une sémantique formulée avec légèreté, il n’est pas tard pour la corriger. La générosité des intentions des instigateurs de la Charte des valeurs sera complète s’ils rajoutent un droit à l’objection de conscience, que les politiques feront adopter par référendum populaire en tant que levier contre-démocratique.

Légiférer vise des actions, des intentions rigoureusement prouvées qu’elles sont ou peuvent être préjudiciables aux libertés et biens des autres.

Arguer par la nécessaire visibilité du visage dans les administrations est un motif ténu parce qu’il est difficile de trouver une employée qui se masquerait le visage durant son service.

D’après Statistiques Canada, toutes et absolument toutes les minorités religieuses se trouvent dans le premier décile et il reste encore de la place (moins de 10%) : «les deux tiers de la population musulmane du Canada vivaient dans les trois plus grandes régions métropolitaines de recensement (RMR), soit Toronto, Montréal et Vancouver. Toronto comptait la plus grande population de musulmans, avec un peu plus de 424 900. Montréal en comptait un peu plus de 221 000 et Vancouver environ 73 200. ». Si la Colombie Britannique et l’Ontario n’ont pas légiféré, il est légitime de se questionner sur les motivations profondes d’un tel projet sauf s’il s’agit de faire contrôler des minorités qui souffrent déjà dans leurs quotidiens non par une majorité religieuse mais par cette frange qui se dit non croyante ou même antireligieuse estimée à un bon 35%.

Aussi, spécifier que cette loi ne s’appliquera que dans certains endroits et pour certains emplois, c’est faire croire que la législation et l’accès au marché du travail au Québec ne sont pas suffisamment sévères. Même dans un tel cas, d’autres mesures non attentatoires aux libertés peuvent être mises en œuvre.

Il est évident qu’Islam et humanisme de Mohamed Arkoun n’effleurera pas certains esprits. Pour entretenir un climat de peur eschatologique, ces derniers préféreront vous parler d’Omar El Khayyam, l’ivrogne et non le mathématicien, le poète et philosophe qu’ils mettront en rivalité avec Hassan El Banna, le fondateur de la secte des Assassins et non Hachichines. Ils ne vous diront pas qu’ils se sont protégé mutuellement contre le pouvoir politique de Nidham (Nizam) El Mulk (régence de la royauté), souvenirs de lecture de Samarcande.  

La Charte des valeurs : populations visées

Approchée des quatre points cardinaux, la cible sont les populations musulmanes. Les articles 3, 4 et 5 des Sections II et III du projet de Loi C-60 en sont la preuve et les points focaux des débats publics en sont une autre.
Des leaders des communautés juive et sikhe ont réagi. Leurs réactions relèvent plus du folklore, de la gesticulation. Même avec le Sceau de Salomon, ils ne pourront pas déplacer ailleurs toutes les populations qu’ils prétendent représenter ni les intérêts économiques sous-jacents. Entre promulguer une loi et la mettre en pratique, il y a un espace aussi grand que les écarts de perception des uns et des autres. Pour atténuer l’agit-prop qui sera déclenchée, des enjeux économiques, ententes et tolérance seront négociés.

Les musulmans stigmatisés, les victimes les plus vulnérables

Au Québec et en particulier dans ses grandes villes, peu ou prou de réactions de musulmans ont été entendues. Nous pensons que ce silence est d’un coté une modération pour ne pas souffler sur les braises et d’un autre la peur d’une stigmatisation plus forte.

Avec des données de 2001, d’après Statistiques Canada, 83,4% des Québécois sont des catholiques; 1,5% de la population est musulmane, supérieur à celui de la population juive qui est de 1,3%, encore plus grand que celui de la sikhe qui est de 0,1%. Au niveau canadien, avec des chiffres de 2011, d’après toujours Statistiques Canada, le taux de la population de confession musulmane est de 3,2%; les sikhs à 1,4% et les juifs à 1,0%.

Dans une consultation des différentes statistiques officielles, le gros du contingent des immigrants francophones vient de France, Maroc et Algérie et s’installent dans les plus grandes villes avec une concentration dans la région de Montréal.

Et le processus de stigmatisation se met en branle

À tort ou à raison, au Québec, les Algériens sont considérés les plus facilement remarquables que les autres communautés musulmanes. Plusieurs causes peuvent être invoquées.  La première est liée à certaines histoires sensationnelles; la seconde est une réputation d’une certaine insubordination dans le travail; la troisième est qu’ils viennent d’un pays ravagé par la guerre civile; la quatrième, la précarité sociale et la gentrification qu’ils subissent. Pour s’en convaincre, visiter Montréal Est et Nord; une enquête sur les difficultés à se loger révèlera des drames.

Mais l’une des plus lourdes causes vient d’un cliché déformé véhiculé par une écriture mercantiliste, de caniveau. Ce cliché fait d’eux une population vivant à contre courant de la religion, de ces enfants venus d’un pays brulé par Dieu! Et suivez mon doigt. Ces derniers sont les résultats d’une liberté d’expression dont et doit jouir aussi la bêtise laquelle est un excellent transport pour la haine et le racisme. Ces deux fléaux sont faciles à instiller et très difficiles à extirper.

Ces écrivaillons vous diront que des femmes portent des tenues de fantômes, mais ne vous diront pas que pour insuffisance de revenus, elles ne peuvent pas renouveler leurs garde-robes; qu’elles ont vécu des fracas dans leur couple, qu’elles se retrouvent dans le broyeur d’une société de consommation même des malheurs. Quant aux hommes, après la cinquantaine, l’exclusion du circuit économique, la nostalgie et la lancinante question de retour font balancer certains dans l’alcool, dont il est rarement question et d’autres dans la religion et qui font les choux gras des médias.

Le Québec et l’Algérie : un petit pan commun d’histoire peu dit

Le modèle révolutionnaire algérien est une référence universelle. Avec son Front de libération nationale, il a inspiré quelques pays ou États. Parmi eux le Québec et son mouvement indépendantiste qui s’est structuré autour du Front de libération du Québec (FLQ). Nous n’avons pour preuve que des vidéos et films disponibles sur le Web. L’autre preuve est « Speak White », ce poème de Michèle Lalonde.

L’histoire récente du Québec et de l’Algérie, sa guerre civile et la migration  de sa population vers cette terre d’Amérique du Nord et l’extrême faiblesse des pouvoirs politiques algériens participent à rendre ses populations immigrées plus fragiles.

C’est la transition idoine vers le mimétisme politique international alimenté par des remontées de xénophobies et résurgences de nationalismes venus d’Europe : Autriche, Hollande, Belgique et France. Ce dernier pays n’arrivant pas à développer une idéologie, pas politique, une conscience du « Tous ensemble » en a produit des pratiques populistes que le Québec a importées. Dommage pour le Québec! Et pour conclure :

La charte des valeurs : éclat d’un épouvantail politicien

Les élections provinciales qui ont permis au nouvel Exécutif de prendre ses quartiers ont laissé derrière elles un gout acide parce que ses résultats électoraux n’ont produit aucune décantation franche.

En annonçant ses objectifs budgétaires et en faisant de son équilibre son cardinal, l’Exécutif a reçu un message calibré d’un économiste, Phd, de la London School of Economics doublé d’une légitimité politique.  

La Commission sur la corruption a continué à déverser des torrents désagréables  de révélations; certains journaux en rajoutent d’autres. Le tout se produisant dans l’une des plus célèbres métropoles du monde, Montréal et ce qui devait arriver arriva : la vitrine du Québec et du Canada à l’étranger a été amochée. L’exercice du pouvoir, sous l’influence d’un économique puissant, a ramené des objectifs à des portions congrues. Il s’en est trop pour l’Exécutif actuel.
Ses stratèges, en voulant mettre un terme à ces attaques et éteindre des incendies sur lesquels soufflaient les compétiteurs ont allumé un brasier, et il est gigantesque! En plus de se bruler, les rivaux se retrouvent dans l’obligation de faire les pompiers parce qu’il durer longtemps et il porte un nom : la Charte des valeurs québécoises. En sciences politiques, le nom consacré est : la stratégie de la diversion. La faire avec du très profond de nous-mêmes n’augure rien de bon.  Les enfants du bon Dieu, des dieux et de tout ce que vous voulez sont des humains qu’il ne faut pas prendre pour des canards sauvages. Faire la chasse à courre avec des hommes et des  femmes n’est pas bon. Pas du tout.

Cherif AISSAT.
Post Scriptum.  L’auteur assume seul l’intégralité de ce texte. Pour une question d’honnêteté, il dit qu’il est propulsé par une universitaire algérienne. Par respect et autres considérations, son anonymat a été préféré.

Pour ceux qui veulent lire tout le document d'analyse.