Notre réjouissance sans égale a atteint son comble à l’annonce du départ de Mustapha Zitouni, titulaire de l’équipe de France de football à la Coupe du monde de l’année 1958, qui avait supplanté Robert Jonquet, un  prétendant ainsi recalé à cette honorifique sélection.

A ce souvenir, et à cette pensée de ce soir mémorable, nous renouvelons notre affection et souhaitons à cette étoile de légende une prompte guérison de la maladie dont il souffre depuis des années. En cette circonstance et dans un recueillement profond de reconnaissance et de gratitude, nous les avions tous évoqués, de Mustapha Kateb à Hadjira Bali, de Mohamed Boumezrag à Amokrane Oualiken, avec émotion et regret pour ceux qui, hélas, nous ont quittés, «Allah Yarhamhoum» et qui ne seront jamais oubliés pour demeurer l’orgueil des générations montantes qui les découvriront dans le prestige de l’Algérie à travers l’œuvre de ses enfants prodiges. Partis pour un monde meilleur, vous serez à l’infini cette constellation d’étoiles qui brilleront dans notre souvenir sur cette généreuse terre d’Algérie.

Aux survivants d’une épopée glorieuse de résistance et de solidarité, sachez que vous avez ainsi inscrits en lettres d’or la grandeur de l’Algérie et de son peuple dans le palmarès de l’humanité opprimée, à laquelle votre message de lutte pour la liberté est parvenu pour devenir une devise algérienne de vaillance et de courage pour la postérité. La jeunesse, qui a fait l’inédit ce soir-là par sa présence massive à l’esplanade Fadéla Dziria, a vibré d’émotion et d’orgueil à l’évocation de cette glorieuse page d’histoire. Vos témoignages sur cette épopée ont suscité une grande émotion au souvenir de vos liens de fraternité et d’affection avec l’illustre Cheikh H’cicène.

Sa famille, sensible et touchée à l’émotion, l’a exprimé à travers sa digne épouse, E’lla Ghania, qui, dans un sanglot contenu, s’est exclamée en ces termes : «Nous n’oublierons jamais ce jour grâce à vous et avec vous, qui étiez les compagnons fidèles et frères de l’être qui nous est le plus cher au monde. Ce soir, nous ressentons sa présence parmi nous, lui qui nous a quitté à jamais dans la jeunesse de ses 29 printemps, il y a plus d’un demi-siècle de cela. Cette jeunesse très nombreuse qui est là aujourd’hui nous inonde de bonheur par sa présence, que nous percevons comme une véritable résurrection de H’cicène, lui qui était un illustre inconnu de cette frange même dans sa Casbah natale.»

Pour perpétuer cet événement  mémorable de pensée collective, empreint de reconnaissance et de gratitude à l’endroit du peuple tunisien dans une perspective de pérennisation du souvenir en direction de la jeunesse des deux pays, nous avions tenu à le partager dans la ferveur de la présence de Mme Imène Laâjili, conseillère à l’ambassade de Tunisie à Alger. Au souvenir de son défunt époux dont Tunis a été la terre d’accueil, ou il a rendu l’âme pour y reposer à ce jour, E’lla Ghania, avenante, stoïque et étreinte par l’émotion à la rencontre de celle qui, selon son expression, est une symbolique des liens de fraternité forgés dans l’épreuve d’une communauté de destin des peuples algérien et tunisien à une étape décisive de l’histoire. Et d’ajouter, solennelle, dans un admirable élan d’affection à l’égard de la diplomate, invitée d’honneur en la circonstance : «Imène est ma fille, en elle je revois émue mais comblée de bonheur, une image : celle du séjour de fraternité et de tendresse qui a accompagné jusqu’à sa dernière demeure notre inoubliable H’cicène et aussi, comme on dit chez nous, une senteur de l’être qui nous est le plus cher (rihat laâziz aâlina). Cela ne s’oubliera point pour s’imprégner à jamais dans la mémoire de notre famille et surtout de mes enfants et petits enfants.»

Par une anicroche, de dates de déroulement de festivals mondiaux de la jeunesse, les frères, acteurs de cette épopée, étaient loin de se douter qu’ils allaient susciter un débat fructueux sur un point d’histoire de la représentativité de l’Algérie combattante de l’époque dans le concert des nations. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, la controverse soulevée a, au-delà de la soirée, impulsé un débat public avec une large participation de jeunes avides de connaissances sur l’historicité des dates avancées.  La scène du patrimoine musical et de la chanson a tenu à être au rendez-vous ; nous les citerons pour avoir su procurer des moments de réjouissance inégale à la famille du défunt : les monuments de la musique andalouse Ahmed Serri et de la chanson chaâbi Boudjema El Ankis, la talentueuse diva Zakia Kara-Terki et le président de l’association andalouse El Inchirah Hini Smaïn.

Celle du théâtre était aussi représentée à l’événement par les célèbres comédiens Saïd Hilmi, Mustapha Preure et Hamid Rabia. Dans un élan de solidarité et d’affection, les vétérans du mouvement national Sid-Ali Abdelhamid et Sid-Ali Bouzourène, en dépit de leur âge avancé, ont tenu à être présents, au souvenir d’un des leurs qui fut un jeune militant de la première heure. Tous,ont entouré la famille du maître, le regretté cheikh H’cicène avec considération, affection et respect dont les marques ont profondément touché l’ensemble des membres de celle-ci et particulièrement la veuve, E’lla Ghania, qui, d’une voix pathétique a tenu à leur exprimer sa gratitude et celle de tous les siens, très sensibles à un acte de mémoire qu’ils n’oublieront jamais.

Elle a également tenu à exprimer avec force son bonheur d’avoir vécu ce jour inoubliable où le souvenir de cheikh H’cicène, enfin ressuscité dans son parcours et son œuvre, sera perpétué par la jeunesse très nombreuse qui l’a chaleureusement comblée, le soir de ce 20 août ô combien évocateur de symboles et de repères. Enfin, nous citerons un témoignage vibrant de chaleur humaine qu’à tenu à nous faire dans l’intimité d’un entretien en aparté, un de ses plus proches compagnons de la troupe artistique du FLN, Tahar Ben Ahmed, son fidèle ami et musicien de renom. C’est la gorge nouée par l’intensité du souvenir qu’il s’est ainsi exprimé : «Cheikh H’cicène était l’ami de tous.

Par ses qualités humaines exceptionnelles, nous cherchions affectivement sa compagnie ou nous le découvrions dans sa bonté et sa générosité de cœur. Dans la brève période que nous avons vécue à Tunis, à peine 7 mois, il ne nous parlait que de l’Algérie, des souffrances de son peuple et de son indépendance. C’était un grand nationaliste qui avait la passion de l’Algérie. Hélas, une maladie pernicieuse l’a terrassé et en un laps de temps l’a emporté, nous laissant ainsi dans une affliction inconsolable. Avec un courage exemplaire empreint de dignité, il a lutté contre le mal qui le rongeait. C’est après une lourde intervention chirurgicale pratiquée par le professeur Bachir Hadam qu’il a rendu l’âme, le 29 décembre 1958, à l’hôpital Essadikia de Tunis.

Tout au long de cette pénible épreuve, dans sa chambre nous lui rendions régulièrement visite. A la dernière visite, une semaine avant sa mort, il ne cessait, dans un sursaut d’affection, d’affirmer et de répéter que le vrai mal qui le consumait et qui n’avait aucun remède était l’éloignement de son  Algérie tant aimée, avec Alger et La Casbah, repère fondamental de sa tendre enfance.»

C’est en ce jour fatidique du lundi 29 décembre1958 que cheikh H’cicène, accompagné à sa dernière demeure par une foule impressionnante venu lui rendre un dernier hommage, a été inhumé à Tunis, au cimetière de Djelaz. Dans une atmosphère de grande émotion, une parade de jeunes scouts algériens réfugiés à l’époque à Tunis et de Tunisiens, drapeau national déployé au vent, rendaient les honneurs soutenus par les voix profondes et émouvantes du regretté Mohamed Bouzidi qui, avec l’art oratoire qui était le sien, a prononcé une oraison funèbre qui a figé toute l’assistance par son intonation et sa pathétique solennité. Dans un cercueil enveloppé de l’emblème national qu’il a tant aimé, le valeureux cheikh H’cicène a été mis en terre tunisienne, sa seconde patrie, chaleureusement acclamé au son de l’hymne de l’Algérie Djazaïrouna, magistralement entonné en chœur et saccadé de sanglots de ses frères et amis accourus en cortège pour un dernier regard d’adieu sur le symbole qu’il fut.

La volonté divine s’est ainsi accomplie et cheikh H’cicène a rejoint dans l’au-delà les meilleurs enfants de cette Algérie qui a été dans le rêve de son dernier soupir. C’est dans  la mémorable et grande liesse populaire de ce soir du 20 août, que ses frères et compagnons de lutte et de destin l’ont évoqué dans des témoignages poignants et par une communion  de pensée collective à sa mémoire et à son souvenir. D’une seule voix et à l’unisson, ils ont exprimé un vœu sacré : celui de se recueillir un jour et de leur vivant sur la tombe de cheikh H’cicène, à Alger, lui,qu’ils ont vu rendre l’âme enflammé par la séparation de sa lointaine Algérie.

Ce qui sera, selon leur expression, un «acte de fidélité» à son endroit pour avoir été absent lors de la rentrée triomphale au pays enfin libéré.  A tous ces vœux et à la demande pressante de sa famille, particulièrement sa veuve E’lla Ghania, ses enfants et petits-enfants, l’Associationdes amis de la rampe Louni Arezki s’attèlera imminement avec la contribution du Commissariat du Festival de la chanson chaâbi, à l’accomplissement de la démarche appropriée pour le rapatriement tant attendu des restes de cheikh H’cicène pour être inhumé au cimetière d’El Kettar et rejoindre ainsi sa chère mère E’lla Tassadit éplorée par une absence d’un demi siècle durant.  Maintenant, avec la grande émotion, vécue lors de la commémoration du repère d’une glorieuse épopée que tu fus, nous voulons, cher et illustre cheikh H’cicène, te conter le bonheur de femmes, d’hommes et surtout de jeunes qui ont été heureux et comblés de te redécouvrir :

«Ils t’attendent pour revenir et retrouver ainsi la terre bénie d’Algérie à la place qui est la tienne au panthéon de la patrie reconnaissante. Ainsi Kamal Hamadi, le célèbre compositeur, t’a élogieusement évoqué pour nous rappeler avec émotion ta dernière apparition à la fin de l’année 1957 à Paris. Confortablement installé dans cette ville pour poursuivre tes activités militantes, tu as spontanément répondu à l’appel du devoir en te rendant à Tunis pour rejoindre la troupe artistique de l’Algérie combattante, dont la mission primordiale était de transmettre au monde le message du peuple algérien en lutte pour l’indépendance de son pays. C’est lors de cette dernière soirée que tu as répondu à l’invitation de la Fédération de France du FLN par l’entremise d’un de ses responsables, Hafidh Karamane, qui était aussi ton ami, pour animer un concert de chant au cercle des étudiants maghrébins à Saint-Michel, simulé en la circonstance  pour une action de mobilisation militante à l’intention de la communauté universitaire algérienne résidant à Paris.»

Ainsi prend fin ce monologue incantatoire d’outre-tombe avec cheikh H’cicène, dans la sérénité de l’espoir réapparu, quant à la réincarnation d’une légende méconnue dans la mémoire de notre jeunesse, en signe de triomphe sur le spectre hideux de l’oubli. Dans ce contexte d’évocation et de souvenir, nous voulons revenir sur un témoignage d’une rare sensibilité que nous a confié Mustapha Sahnoun, membre de la troupe du FLN, âgé aujourd’hui de 75 ans. Ce compagnon de l’épopée de Tunis, avec sa mémoire prodigieuse, nous a captivés par un récit prégnant, ponctué d’images vivaces gravées en lui et qui ont pérennisé une véritable ode de solidarité et de fraternité du peuple tunisien, pendant les terribles années algériennes de sang, de feu et de braise, dans une tragédie d’apocalypse de dévastation.

Ecoutons-le se confesser dans le souvenir du devoir de mémoire : «Moi, j’ai vécu une page inédite de solidarité humaine, écrite dans une tourmente de cruauté de la barbarie colonialiste sans précédent, dans l’histoire de l’humanité Mon devoir est de léguer aux générations montantes, ces souvenirs impérissables frappés par le sceau de l’indélébile pour perpétuer l’œuvre humaniste d’entraide, de dévouement, de fraternité et d’affection du peuple tunisien à l’égard de la très nombreuse communauté algérienne déplacée à cette époque en territoire tunisien. Sans exagération, ni zèle aucun et j’assume ici pleinement un acte de mémoire, pour affirmer que par la chaleur de l’accueil fraternel réservé aux citoyens algériens dans une véritable seconde patrie, j’ai toujours comparé en cette période vécue la terre de Tunisie à celle de la Hidjra du prophète Mohammed (QSSSL) dans son choix d’exil en terre de croyance et de foi d’un humanisme spirituellement éclairé.»

Un témoignage très fort de sens par son contenu, qui incline à une médiation pour fixer à jamais dans la mémoire de notre jeunesse cette leçon unique de solidarité, dans l’épreuve d’une destinée humaine. Celle-ci, tissée dans une grande douleur, de sacrifices, de lutte et de résistance, a été et cela ne s’oubliera point, une œuvre éternelle de fraternité humaine généreusement accomplie pour la renaissance de la nation algérienne engloutie dans les ténèbres de la longue nuit coloniale.  Pour persévérer dans l’accomplissement de ce travail de mémoire à l’endroit d’un repère de notre patrimoine culturel et acteur pendant une période charnière de notre histoire, il serait souhaitable de mettre à contribution les témoignages d’amis, de compagnons, de sympathisants de cheikh H’cicène pour compléter la bibliographie de son parcours dans cette étape de l’histoire, à Paris et à Tunis.

Ceci permettra essentiellement de répondre aux vœux exprimés par sa famille, dans la tendresse de l’avidité de connaître les étapes de l’existence loin de la terre natale du fils unique adulé mais, hélas, ravi trop tôt à son affection.  Ainsi la perpétuation des valeurs authentiques de la nation algérienne enfin ressuscitées d’un interminable et tragique naufrage de plus de 130 ans est un acte de foi profond en son existence pérenne à l’éternité des âges et du temps. Dans la perspective d’une ère nouvelle de ce XXIe siècle, c’est toujours la mémoire collective qui impulsera une dynamique à l’acte de mouvement de la pensée et du souvenir, pour annihiler le syndrome dégénératif de l’oubli.

Enfin, c’est dans un monde en perpétuelles convulsions et en proie à d’intenses turbulences existentielles que l’on assiste, désemparés, à un retour fulgurant de conflits, de guerres et de chocs de mémoire dans un délitement de toute raison humaine. Ceci est la leçon magistrale de ce siècle, qui nous rappelle avec une évidence tenace que la mémoire collective constitue un repère fondamental qui est certes un passé, mais lequel est incontournable pour composer l’avenir.

Source: El Watan - Edition du 14/10/2010