Le premier ministre Couillard a invité les leaders de la communauté musulmane à l’aider à contrer le radicalisme qui s’inspire de leur culte. Or ces leaders sont rares et un peu dépassés par les événements.

Lamine Foura, du Congrès maghrébin, est l’un des deux représentants avec qui le premier ministre s’est entretenu jeudi matin (l’autre, Moncef Derragi, appartient à la même organisation).

M. Foura salue le geste de rapprochement du premier ministre et la volonté qu’il affiche de ne pas « stigmatiser la communauté musulmane ». Mais il est aussi découragé par la tâche à accomplir. « On vient à peine de sortir de la charte [des valeurs] et maintenant, c’est ça. C’est beaucoup de pression sur quelques leaders », explique-t-il en soulignant que ceux qui jouent ce rôle le font de façon bénévole.

M. Foura, qui gagne sa vie comme ingénieur, anime aussi depuis 12 ans une émission de radio sur l’actualité à Radio Centre-Ville, à Montréal.

Il déplore que l’image des musulmans soit « ternie » par des « cas exceptionnels ». Mardi soir à son émission, il a invité les auditeurs de Taxi Maghreb à réagir à l’assassinat du militaire à Saint-Jean-sur-Richelieu. « Il y en a qui allaient jusqu’à l’autocritique de la religion, d’autres interprétaient autrement. Mais il y avait un consensus sur le rejet de la violence », raconte-t-il.

Il affirme qu’au sein de la communauté, plusieurs préfèrent ne pas réagir publiquement parce que le simple fait qu’on associe les drames de la semaine à l’islam les choque.

Le Collectif québécois contre l’islamophobie a dénoncé publiquement « la récupération politique et les risques de dérapages ». Il a en outre reproché aux médias d’avoir trop insisté sur la religion des auteurs des deux fusillades.

Des organisations comme le Centre culturel islamique de Québec ont fait savoir qu’elles condamnaient « fermement » les deux attaques et ont transmis leurs condoléances aux familles.

M. Foura assure que le discours « djihadiste » « n’est pas répandu dans les mosquées » au Québec, mais d’autres observateurs sont plus critiques. Le chroniqueur torontois Tarek Fatah, qui a cofondé le Congrès des musulmans canadiens, reproche à de nombreux imams de tenir un double discours au nom d’un certain « patriotisme musulman ». « Il y a un manque d’intégrité intellectuelle à la tête de la communauté musulmane », dit-il.

M. Fatah, qui croit au principe de laïcité, reproche aux musulmans plus modérés de ne pas suffisamment confronter les radicaux et de peu se faire entendre en général.

Interrogé à ce propos, Lamine Foura rétorque que M. Fatah est trop « sévère ». « Peut-être qu’on ne le fait pas assez, ajoute-t-il toutefois. Mais là, c’est l’occasion de le faire. »

« C’est dommage qu’un amalgame ait été établi, mais on a l’obligation de le clarifier, croit-il. Je voudrais que les leaders de ma communauté prennent de plus en plus la parole. Ça va réconforter les inquiétudes des non-musulmans. C’est un acte de bon voisinage. »

« Radicalisation domestique »

En matinée, le premier ministre Philippe Couillard avait appelé la société québécoise à chasser « ses démons » en redoublant de vigilance afin de prévenir, ou à tout le moins de détecter les « comportements à risque [ou] potentiellement dangereux » dans les « milieux de vie et milieux de culte ».

M. Couillard a chargé les ministres Lise Thériault (Sécurité publique), Kathleen Weil (Immigration, Diversité et Inclusion) et Lucie Charlebois (Protection de la jeunesse) de faire l’ébauche d’un « [plan d’]action communautaire et sociale » pour enrayer le « phénomène de la radicalisation domestique ». Les leaders de la communauté musulmane seront dans le coup, a-t-il promis. D’ailleurs, il entend rencontrer un certain nombre d’entre eux au lendemain de sa mission économique en Chine.

Le gouvernement du Québec entend « jouer son rôle, tout son rôle » afin de relever le « défi » de « conjuguer une identité forte avec la diversité croissante », a-t-il insisté, craignant de voir la communauté musulmane « stigmatisée » injustement.

 

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