Montréal, 21 août 2014 --- Un jeune immigrant algérien vient de remporter une victoire judiciaire importante devant la Cour d’appel, dans un cas de discrimination raciale dans l’emploi qui date de 2008.

 

Dans une décision du 13 août 2014, la Cour d’appel rejette les arguments de nature procédurale de la compagnie For-Net qui fait l’objet de mesures de redressement par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ).

En 2008, M. Aymane Chergui, alors âgé de 19 ans et originaire de l’Algérie, pose sa candidature auprès de la compagnie For-Net, pour un poste d’entretien ménager dans des résidences pour personnes âgées. N’ayant pas reçu de réponse, il soumet de nouveau son CV, mais cette fois-ci avec le nom québécois de Charles Tremblay.

Le lendemain, l’employeur le convoque à une entrevue. Il se présente au bureau de l’entreprise pour remplir un formulaire de candidature et quand une représentante de l’employeur constate que le nom inscrit sur le document ne concorde pas avec la personne devant elle, elle lui pose des questions et ce n’est qu’à ce moment que M. Chergui explique sa démarche. La réunion se termine et M. Chergui quitte le bureau; il n’est pas embauché par la suite. Outre la sélection du CV, le formulaire de demande d’emploi demande des renseignements personnels interdits par la loi, dont l'âge et l'état civil.

M. Chergui mandate ensuite le CRARR pour déposer en son nom une plainte de discrimination raciale dans l’emploi, auprès de la CDPDJ. Trois ans d’enquête plus tard, la CDPDJ rend, en juin 2011, une décision favorable à M. Chergui et propose à For-Net Montréal Inc. des mesures de redressement, qui consistent à verser 18 000 $ à M. Chergui. La CDPDJ demande aussi à la compagnie de « cesser d’utiliser le formulaire intitulé « demande d’emploi » dans lequel sont exigés des renseignements relatifs à l’âge et à l’état civil de même qu’aux antécédents médicaux et financiers ».

L’entreprise mise en cause ne s’étant pas conformée à la décision de la CDPDJ dans le délai prescrit, cette dernière porte le dossier devant le Tribunal des droits de la personne (TDPQ) en mai 2012. Par la suite, la CDPDJ se retire du dossier en décembre 2012 et laisse M. Chergui aller seul, à ses frais, devant le Tribunal.

Le CRARR et Me Aymar Missakila, avocat collaborateur avec le CRARR, continuent à soutenir M. Chergui devant le Tribunal dès le début janvier 2013. Cependant, l’entreprise mise en cause introduit, en juin 2013, une requête demandant au Tribunal de rejeter toute l’affaire, essentiellement sur la base d’un argument « d’interprétation technique et littérale », à savoir que la victime, M. Chergui, ne peut se substituer à la CDPDJ comme plaignant devant le Tribunal. Cette requête est rejetée par le TDPQ dans une décision interlocutoire datée du 22 janvier 2014.

Suite au rejet de cette requête, For-Net entreprend une requête pour permission d’appeler à la Cour d’appel du Québec le 14 mars 2014. L’appel de For-Net repose sur trois arguments principaux :

1. que ni le CRARR ni M. Chergui ne peuvent succéder à la CDPDJ à titre de plaignant, dans le cadre des procédures intentées devant le Tribunal;

2. que la plainte initiale traite de discrimination fondée sur la « race » et que la CDPDJ qualifie la discrimination comme étant fondée sur l’« origine ethnique ou nationale », changeant ainsi les motifs d’une plainte sur laquelle le TDPQ n’a pas de compétence;

3. que le juge du TDPQ se sert d’une « preuve extrinsèque », ayant ainsi erré en basant son interprétation de l’article 84 de la Charte sur une analyse des débats parlementaires et du droit international qui n’ont pas été soulevés durant l’audition.

Le 13 août 2014, la Cour d’appel rend sa décision et rejette la requête pour permission d’appeler de For-Net. La Cour répond à la négative aux prétentions de For-Net voulant que ni le CRARR ni M. Chergui ne peuvent succéder à la CDPDJ à titre de plaignant, dans le cadre des procédures intentées devant le Tribunal.

Concernant la qualification par la CDPDJ de la plainte reposant sur la discrimination fondée sur l’origine ethnique ou nationale plutôt que sur la race, ce changement de motifs constituait pour For-Net une nouvelle plainte sur laquelle le Tribunal n’a pas de compétence. La Cour d’appel ne retient pas cet argument, notant que le droit applicable n’exclut pas la confusion entre les motifs de race et d’origine ethnique.

La position de la Cour d’appel démontre et rappelle clairement que le TDPQ a comme fonction principale de se prononcer sur des situations où les droits fondamentaux d’une victime auraient été lésés. Également, la Cour d’appel rappelle que le jugement dont For-Net voulait porter en appel n’a pas de caractère final et que le juge du Tribunal avait conformément agi en fonction des compétences que la Charte des droits et libertés de la personne lui procure. En effet, le jugement du Tribunal que For-Net portait à la Cour d’appel était un jugement interlocutoire et ne traitait donc pas du fond de l’affaire, soit la discrimination fondée sur l’origine ethnique ou nationale de M. Chergui.

Pour cette raison, le juge Nicholas Kasirer, dans sa décision, souligne qu’« un appel immédiat du jugement serait ici un détour procédural non nécessaire, qui engendrerait des coûts et, surtout, des délais dans le redressement éventuel de l’atteinte aux droits fondamentaux de M. Chergui ».

« Je suis très content du fait que les tribunaux ont rejeté jusqu’à ce jour les multiples procédures de la compagnie, pour faire échec à mon cas », dit M. Chergui.

« Bien que je déplore le fait que la Commission des droits de la personne ait choisi de ne pas représenter devant le Tribunal, un jeune immigrant algérien démuni comme moi, je suis heureux d’être appuyé par le CRARR dans ma démarche qui aide, finalement, à bonifier la jurisprudence québécoise en matière des droits de la personne ».

« Je suis déterminé à aller jusqu’au bout pour faire valoir mes droits à l’égalité dans l’emploi et clarifier ce qu’un employeur potentiel peut exiger d’un candidat en termes de renseignements personnels », conclut-il.

Selon le directeur général du CRARR, Fo Niemi, « Le cas de M. Chergui nous a permis aussi de relever des aspects préoccupants sur le traitement de plaintes de racisme dans l’emploi à la Commission et de comprendre pourquoi très peu de cas de racisme systémique dans l’emploi sont portés par la Commission devant le Tribunal des droits de la personne ».

Le dossier est retourné au Tribunal. Une date d’audition sera fixée bientôt.

Source: CRARR - 21 aout 2014

Lire la décision de la Cour d'appel :

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