Le vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (Laddh) affirme, dans cet entretien, que le droit des citoyens à manifester pacifiquement ne diffère pas d’une wilaya à une autre. Concernant l’état d’urgence, M.Benissad estime que son maintien ne repose sur aucune mesure légale.


L’Expression: Que pensez-vous de la levée de l’état d’urgence?
Nourdine Benissad: Je considère que cette mesure est salutaire dans la forme.
Cependant, il ne faut tout de même pas, à ce que l’annonce de la levée de l’état d’urgence soit juste introduite dans le discours populiste, visant à mystifier ceux qui revendiquent sa levée, depuis des lustres. Aussi, la levée de l’état d’urgence ne doit pas être faite par un projet de loi portant sur des mesures spéciales, sous prétexte de la lutte anti-terroriste, qui limiteront l’exercice des libertés individuelles et collectives.
Et puis, s’il y a réellement une volonté politique et effective pour lever l’état d’urgence, je pense que cette mesure peut être également levée par un décret présidentiel, comme elle a été instaurée par un décret présidentiel, et ce, selon le parallélisme des formes.
Par ailleurs, il faut dire que la levée de l’état d’urgence n’est pas une fin en soi. Car, notre pays a plus besoin, plus que jamais, de profondes réformes.
Des réformes politiques, économiques et sociales.
Voire une rupture radicale et pacifique pour parvenir enfin à un changement, où les institutions seront représentatives par des forces vives, où il y ait effectivement une séparation des pouvoirs et une redistribution équitable des richesses du pays.

Quelle évaluation faites-vous des 19 ans que l’Algérie a vécus sous l’état d’urgence?
L’évaluation est toute simple. L’état d’urgence a torpillé toute vie politique, laminé la société et empêché toutes formes d’expression libre.
L’état d’urgence a été instauré pour la lutte contre le terrorisme, mais on relève, fort malheureusement, une contradiction capitale quant à son maintien au moment même où l’éloge de la paix retrouvée à la suite de la réconciliation nationale est à chaque fois évoqué. Alors par quelle raison peut-on maintenir un tel état d’exception?
D’un côté on déclare, haut et fort, que le terrorisme est vaincu, et de l’autre, on maintient cette mesure pour justifier la lutte contre le terrorisme. Et pour la symbolique: l’état d’urgence a été instauré, en Algérie, par un décret présidentiel n°92 du 9 février 1992. Puis, il a été prolongé par un décret législatif n° 93-02 du 6 février 1993.
La notion d’état d’urgence a pour objectif la limitation des libertés publiques; c’est une sorte de doublé de l’état de siège politique. Aussi, il importe de dire que la Constitution algérienne précise expressivement que l’organisation de l’état d’urgence et l’état de siège sont fixés par une loi organique, toutefois celle-ci n’a jamais été promulguée. Il faut donc y remédier afin de les cadrer au lieu de persister dans le flou. Car, il s’agit là d’une entorse à la Constitution du pays.

Le président a ordonné l’ouverture du champ médiatique. Qu’en pensez-vous?
Comme je l’ai souligné plus haut, nous avons besoin d’un changement de système pour parvenir à l’avènement d’un Etat de droit. Et puis, l’ouverture du champ médiatique ne se fait pas par le discours. Elle se fait par une volonté effective accompagnée par une batterie de mesures concrètes, en mettant en oeuvre un cahier des charges pour le service public dont le champ audiovisuel, en l’ouvrant notamment aux investisseurs privés et permettre aussi l’expression plurielle.
Cependant, il ne faut pas qu’on se mente entre nous, étant donné que le système en place a, jusqu’ici, verrouillé la vie politique, la liberté d’expression et l’absence de l’indépendance de la justice, et, d’une manière générale, la confiscation des libertés, fait qui ne date pas, d’ailleurs, d’hier.
En d’autres termes, ce qu’il faut aujourd’hui est incontestablement d’entamer un processus de démocratisation, en lui donnant notamment un sens, c’est-à-dire par l’exercice des droits politiques et civils, sociaux, économiques et culturels, car ils sont essentiels à l’alternance au pouvoir.

Comment interprétez-vous l’interdiction des marches pacifiques à Alger?
La Constitution algérienne et les différents pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques ratifiés par l’Algérie accordent le droit de manifester pacifiquement et de s’exprimer librement sans pour autant toucher à la liberté de l’autre.
Cependant, le droit de manifester pacifiquement à Alger ou Tamanrasset est pareil. D’autant plus qu’il n’y a aucun texte de loi interdisant de manifester pacifiquement. C’est dire, donc, tout ce qui n’est pas interdit expressivement par la loi est autorisé par conséquent.
Nous sommes un Etat géré par des lois, pas par des déclarations.


Source: L'Expression