ALGER/RABAT (Reuters) - Le débat en France sur l'interdiction du voile intégral dans l'espace public rencontre un écho passionné en Afrique du Nord, où s'opposent défenseurs et adversaires du projet de loi voulu par Nicolas Sarkozy.

 

En Algérie comme en Tunisie ou au Maroc, l'éventuelle interdiction du voile intégral, qu'il soit burqa ou niqab, dans l'ancienne puissance coloniale, suscite des réactions divergentes.

Certains estiment qu'une telle disposition constitue une attaque en règle contre l'islam, tandis que d'autres reconnaissent à la France le droit de défendre l'un des fondements de son organisation sociale, la laïcité républicaine.

Beaucoup se rejoignent dans les deux camps pour craindre que le débat autour du texte ne fasse l'objet d'une exploitation politique et ne ravive les tensions entre les autorités françaises et la communauté musulmane.

"Je suis contre ce type de vêtement (...) mais on ne devrait pas légiférer là-dessus", estime Khadija Ryadi, présidente de l'Association marocaine des droits humains (AMDH), la principale organisation de défense des droits de l'homme au Maroc.

"La droite utilisera cette loi à l'occasion des élections, alors qu'elle devrait s'occuper de la situation des musulmans en France et tenter de les aider à surmonter le chômage, la pauvreté et le racisme", ajoute-t-elle.

"UNE GUERRE, PAS UNE CAMPAGNE"

La Belgique a adopté le mois dernier un texte similaire, que certaines personnalités politiques en Autriche et aux Pays-Bas appellent de leurs voeux, contrairement au gouvernement allemand, qui exclut une telle disposition.

En France, le projet de loi d'interdiction du voile intégral dans tous les lieux publics sera présenté mercredi en conseil des ministres. Il devrait être examiné début juillet par les députés et début septembre par les sénateurs, l'objectif étant de le voir adopté définitivement à l'automne.

Pour une partie de l'opinion publique nord-africaine, de tels débats en Europe sont la preuve d'une poussée de racisme anti-islamique visant à chasser les musulmans du Vieux continent.

"Il ne s'agit pas d'une simple campagne, mais d'une guerre contre notre peuple en Europe", s'insurge Cheikh Abdelfetah Zeraoui, un chef religieux algérien de la tendance salafiste, un courant traditionnel de l'islam.

"Nous demandons à nos décisionnaires d'appliquer la réciprocité pour les Européennes venant en Algérie. Elles devraient porter le voile musulman. Sinon, nous ne les laisserons pas entrer en Algérie", menace-t-il.

A l'instar des musulmanes européennes, peu de femmes portent le voile intégral en Afrique du Nord. A la burqa, qui recouvre entièrement la tête, ou au niqab, qui ne laisse qu'une fente pour le regard, elles préfèrent le hijab, qui couvre la tête et le cou mais laisse le visage exposé.

En outre, une importante minorité se déplace tête nue.

Fatima Bougttaya, 32 ans, originaire du quartier populaire de Salé, ville jumelle de Rabat, porte la burqa, ne laissant à la vue des autres que ses mains.

"C'est une décision raciste pour détruire l'islam. Pourquoi ne votent-ils pas une loi contre les femmes qui exhibent leur corps en public et devant les caméras?", demande-t-elle.

"PAS UN SYMBOLE D'OPPRESSION"

Pour Saad Eddine El-Otmani, dirigeant du Parti de la justice et du développement (PJD), la principale formation islamiste d'opposition au Maroc, un tel texte ne s'impose pas et son adoption comporte des risques.

"Je ne vois pas la burqa comme un symbole de l'oppression de la femme et cette tendance à légiférer contre la burqa ne peut qu'aggraver la tension entre musulmans et non-musulmans en Europe", juge t-il.

"Elle sera perçue comme de la xénophobie et du racisme et va contribuer à la marginalisation des musulmans dans la société européenne", ajoute-t-il.

"Porter le voile intégral n'est pas quelque chose qui est nécessaire à un niveau religieux. Mais ceci n'est pas un problème religieux ou culturel. C'est une réaction aux conditions de plus en plus difficiles dans la société européenne, d'une marginalisation économique et sociale", estime le dirigeant du PJD.

"On sait maintenant qu'avec la crise financière, parmi les groupes les plus touchés par les effets de la crise sont les musulmans d'origine maghrébine. Je pense que légiférer ne peut qu'exacerber cette tendance vers le port du voile intégral. Il ne va pas amener les femmes musulmanes à l'abandonner", prédit-il.

A l'opposé, certains au Maghreb, inquiets de la montée de l'islamisme dans leur propre pays, ne cachent pas leur sympathie pour le projet français.

"L'Occident a le droit de préserver sa laïcité", affirme Abdelrhani Moundib, professeur de sociologie et d'anthropologie à l'université Mohammed V de Rabat.

"En tant que Marocain musulman, je suis contre la burqa, je n'y vois rien qui ait rapport à l'islam et à la chasteté. C'est une aberration", dit-il.

Avocate à Tunis et opposante déclarée au gouvernement, Radhia Nasraoui ne porte aucun voile. "Je suis hostile à toute forme de limite de la liberté individuelle, mais dans ce cas précis je pense que les explications avancées par l'Occident sont logiques", dit-elle.

"Comment peut-on savoir qui est vraiment la personne qui porte un niqab?", avance-t-elle.

Avec Tom Pfeiffer à Rabat, Tarek Amara à Tunis et Hamid Oul Ahmed à Alger; Pascal Liétout pour le service français

 

Source: Nouvelobs.com