Le ministre canadien des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, est à Alger depuis hier dans le cadre d’une visite officielle de trois jours. L'Algérie est le premier partenaire du Canada en Afrique et dans le monde arabe, note le communiqué, qui relève que les domaines de coopération portent surtout sur les secteurs de l'énergie, la construction, l'agriculture et l'éducation.

Dans cet entretien, le MAE revient sur les perspectives de la coopération, l’intégration des immigrés algériens et les dossiers d’intérêt commun.

Liberté : Les relations économiques entre l’Algérie et le Canada continuent de se focaliser sur les hydrocarbures, même si en termes d’échanges le volume a considérablement augmenté depuis 2001. Pourquoi les entreprises canadiennes hésitent-elles encore à venir investir en Algérie notamment dans les secteurs hors hydrocarbures ?

Lawrence Cannon : Il est vrai que les chiffres du commerce extérieur font surtout dire que notre relation commerciale est grandement tributaire des importations canadiennes de pétrole algérien. L’Algérie est, en effet, le premier fournisseur du Canada en hydrocarbures étrangers, devant la Norvège et la Grande-Bretagne. La balance commerciale entre nos deux pays est donc largement favorable à l’Algérie. Le déficit commercial du Canada pour la période de janvier à octobre 2010 est évalué à $ 2.6 milliards.

La valeur globale de ce commerce bilatéral est passée de $ 8.6 à $ 4.1 milliards de 2008 à 2009 et s’élève à $ 3.2 milliards pour la période de janvier à octobre 2010. La variation est essentiellement due aux fluctuations du prix du pétrole.

En revanche, les exportations canadiennes de marchandises vers l’Algérie, qui se sont chiffrées à $ 350 millions, se composent de blé et de légumineuses (environ 76%) ainsi que d’équipements industriels (13 %). Les principaux exportateurs canadiens sont la Commission canadienne du blé, l’industrie aéronautique et des entreprises pharmaceutiques. Une partie des exportations canadiennes en Algérie sert à la réalisation de projets dans le secteur extractif ou dans celui des infrastructures dont les contrats de planification et d’exécution ont été obtenus par des firmes canadiennes de génie-conseils.

Dans le domaine des services, la valeur des commandes obtenues des entreprises de génie-conseils, ces dernières années, est estimée par l’ambassade du Canada en Algérie à environ $ 500 millions. Le nombre et la valeur des contrats suivent le rythme de l’exécution des plans quinquennaux d’investissement du gouvernement algérien.
Par conséquent, en 2009, on évalue à plus de soixante les entreprises canadiennes faisant des affaires en Algérie. Selon les données du CNRC algérien les plus récentes, 47 sociétés canadiennes sont établies dans le pays. Mais je crois que le Canada peut faire mieux.

L’exemple le plus significatif de projet d’investissement canadien en ce moment est le projet du groupe Rio Tinto Alcan de Montréal qui souhaite implanter une aluminerie en Algérie. Ce projet, évalué à 7 milliards de dollars US contribuera, s’il voit le jour, à la diversification de l’économie algérienne et au développement des ressources humaines et de la communauté.

Le Canada constitue l’une des destinations favorites des Algériens pour l’émigration. Combien sont-ils, aujourd’hui, à vivre au Canada et comment se fait leur intégration ?

La population d'origine algérienne au Canada est estimée à plus de 45 000 personnes et, chaque année, s'ajoutent quelque 4 900 nouveaux immigrants. Les Algériens choisissent le Québec comme province d'accueil dans plus de 91 % des cas.  La langue française et le bassin important d'Algériens vivant au Canada sont des facteurs importants qui incitent une grande majorité d'immigrants en provenance d’Algérie à choisir le Québec comme nouvelle résidence et qui facilitent leur intégration. Toutefois, plus de 8 % des immigrants algériens choisissent une autre province que le Québec. De ce fait, ils contribuent à développer la francophonie hors Québec. Le Canada déploie des efforts pour soutenir ce mouvement.

Comment percevez-vous le climat d’affaires en Algérie à l’heure de la crise financière internationale et des mesures prises par le gouvernement algérien dans le cadre de la protection de l’économie nationale ?
Les compagnies canadiennes respectent les mesures prises par le gouvernement algérien pour la protection de son économie. Elles ont conscience qu'elles auront à s'adapter pour favoriser le partenariat et le transfert de savoir-faire si elles veulent continuer à y faire des affaires. Les fondements macro-économiques de l’Algérie sont très sains. L’Algérie d’aujourd’hui a clairement exprimé qu’elle souhaitait diversifier son économie hors hydrocarbures. Elle a clairement indiqué quels seraient les moyens à prendre et les règles pour y parvenir. L’Algérie a identifié les branches industrielles qui présentent un fort potentiel de développement. La filière chimie, les industries sidérurgique, métallurgique, mécanique et électronique, dont le secteur de l’aluminerie, les matériaux de construction, l’industrie agroalimentaire, l’industrie automobile, les technologies de l’information et de la communication. Des secteurs où le Canada excelle, où nous possédons un savoir-faire incontestable et une capacité qui s’affirme aux quatre coins de la planète. Les entreprises canadiennes planifient une présence à long terme en Algérie et elles envisagent d’y créer de nombreux partenariats. Je crois que leur haut niveau de professionnalisme et la qualité de leur réputation faciliteront la mise en œuvre de projets avec des partenaires locaux. Les bases de relations de partenariats durables “gagnant-gagnant” se fondent, à notre avis, sur un engagement envers les valeurs et les principes de la responsabilité sociale des entreprises. On entend par “responsabilité sociale des entreprises” les moyens qu'emploient les entreprises pour intégrer, de manière transparente et responsable, les préoccupations sociales, environnementales et économiques à leurs valeurs et à leurs activités. Ceci inclut la façon dont une entreprise interagit volontairement avec les intervenants d'une société dans le traitement d'enjeux comme les relations de travail, la protection de l'environnement, la corruption et le respect des droits de la personne. Un engagement auquel le Canada est fortement attaché et qui fait de lui, à mon sens, un partenaire de choix pour l’Algérie.

Quelle approche préconise le Canada dans le cadre de la lutte contre les réseaux extrémistes au moment où l’islamophobie se développe un peu partout dans le monde et particulièrement en Europe ?
L’extrémisme, qu’il soit religieux ou politique, devient problématique lorsqu’il dégénère en violence. Les Canadiens attachent beaucoup de prix à leur liberté d’expression et de pensée, c’est-à-dire des libertés protégées par la Charte canadienne des droits et des libertés. Toutefois, lorsque l’extrémisme se traduit par des violences, il constitue une menace pour la sécurité d’un pays et de ses citoyens. Au Canada, les forces de police ont dévoilé plusieurs complots planifiés par des extrémistes violents nés dans ce pays. Face à cette menace, nous avons agi rapidement, avec pour objetif d’arrêter ces personnes et de les traduire en justice en vertu de nos lois antiterroristes. Par conséquent, le Canada convient que la répression de l’extrémisme violent occupe une place importante dans la lutte contre le terrorisme. Toutefois, il ne suffit pas de se limiter à la détection et à la perturbation de leurs opérations pour lutter efficacement contre la menace de la radicalisation menant à la violence. Il nous faut également mettre sur pied des programmes de prévention à long terme visant à favoriser la résilience des personnes et des collectivités contre le discours des extrémistes violents. C’est pourquoi le gouvernement du Canada s’attache à renforcer les relations interculturelles avec différentes communautés, notamment par des programmes de prévention et des activités de sensibilisation au niveau des collectivités. Je suis conscient que les Algériens ne connaissent que trop bien les horreurs de l’extrémisme auquel donne lieu le terrorisme. Je tiens à saluer les efforts et les sacrifices consentis par l’Algérie pour contrer cette menace. Le Canada est déterminé à aider des pays de la région à lutter contre AQMI et nous serons heureux de collaborer étroitement avec l’Algérie pour aider à mettre fin à l’extrémisme violent à l’échelon régional. C’est d’ailleurs dans cet esprit que s’inscrit le Programme d'aide au renforcement des capacités antiterroristes (Parca) auquel participe le Canada.

L’Algérie et le Canada partagent un certain nombre de positions communes sur les dossiers internationaux. Pouvez-vous nous en dire plus sur le cas de la décolonisation du Sahara occidental et de la question nucléaire iranienne ?

Il est vrai que le Canada et l’Algérie ont des positions communes sur des dossiers internationaux importants. Un bon exemple est l’Union africaine (UA). En tant que pays de grande influence en Afrique, l’Algérie joue un rôle majeur au sein de l’UA. Le Canada valorise grandement son dialogue avec l’UA,  interlocuteur incontournable sur les questions de politique et de sécurité continentales. Depuis 2000, le Canada a versé à l’UA plus de 17 millions de dollars. Nous avons également travaillé avec l’Algérie en élaborant le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). Sous le leadership du Canada au Sommet du G8 à Kananaskis en 2002, les dirigeants ont adopté le Plan d’action de l'Afrique du G8 à l'appui du Nepad et de plus de 100 autres engagements futurs pour transformer et moderniser l'Afrique, notamment l'allégement de la dette, la libéralisation des échanges et des investissements directs étrangers. Plus récemment, sous le leadership canadien au Sommet du G8 à Muskoka en 2010, auquel a participé le président Bouteflika, les dirigeants se sont engagés à y accorder 5 milliards de dollars en financement nouveau et supplémentaire d’ici 2015 pour appuyer l’initiative du Canada sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants. Le Canada a annoncé qu’il y affectera 2,85 milliards de dollars canadiens sur cinq ans. Environ 80 % de ces fonds seront destinés aux pays d’Afrique. En ce qui concerne le Sahara occidental, le Canada appuie les efforts déployés par les Nations unies visant à parvenir à un règlement pacifique et négocié du conflit. Nous invitons les parties à poursuivre, sous l’égide de M. Christopher Ross, envoyé du secrétaire général des Nations unies, leurs discussions directes afin de trouver promptement une solution pacifique, juste et équitable à cette dispute.

En ce qui concerne l’Iran, le Canada demeure grandement préoccupé par la situation des droits de la personne dans ce pays. Par exemple, il est inacceptable qu’un État puisse condamner une femme à la mise à mort par lapidation. Le Canada ne souhaite pas s’ingérer dans les affaires intérieures des autres pays, toutefois, nous croyons fermement que les États doivent respecter les conventions internationales sur les droits de la personne.

Le Canada s’inquiète également de l’intransigeance que l’Iran continue d’afficher en ce qui concerne ses activités nucléaires. L’Iran est soumis aux mêmes règles que tous les autres États non dotés d’armes et doit se plier aux exigences de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Comme l’Algérie, nous avons la responsabilité de mettre en œuvre la résolution 1929 du Conseil de sécurité des Nations unies qui a introduit de nouvelles sanctions contre l’Iran. En même temps, nous accueillons favorablement l’annonce d’un dialogue entre l’Iran et le groupe P5+1. Nous espérons que la prochaine série de pourparlers, qui se tiendra en janvier, amènera les parties à approfondir les questions pertinentes.



Source: Liberté