Selon la diaspora tunisienne au Québec, la clé du changement en Tunisie passe en bonne partie par des pressions internationales


La diaspora tunisienne d'Europe et du Québec a exprimé hier son appui aux manifestants de la Tunisie, où la colère des chômeurs et des plus démunis agite le pays depuis trois semaines. À Montréal, une centaine de personnes ont demandé au gouvernement canadien d'effectuer des pressions sur le président Ben Ali.

La crise qui ébranle le plus petit pays du Maghreb a éclaté le 17 décembre à Sidi Bouzid, une ville au centre du pays située dans la province portant le même nom. Un jeune diplômé de 26 ans, Mohamed Bouazizi, a tenté de s'immoler par le feu pour crier son désarroi après que la police lui eut confisqué son kiosque de fruits et légumes, faute de permis pour commercer; il est d'ailleurs mort de ses blessures mardi. Son geste a déclenché tout un mouvement de protestations sociales et politiques unissant étudiants, militants des droits de la personne, syndicalistes et chômeurs. On parle d'ailleurs des dernières semaines comme de la plus grande vague de manifestations depuis que le président actuel, Zine el-Abidine ben Ali, a pris le pouvoir il y a 23 ans. Cinq personnes y ont laissé leur vie: deux lors de manifestations et trois suicides.

À Montréal, où plus de 5000 Tunisiens sont établis, la communauté en était hier à son cinquième rassemblement en deux semaines. Les manifestants présents estiment que la clé du changement en Tunisie passe en bonne partie par des pressions internationales. «Si vos gouvernements parlent de nous, il peut y avoir du changement», assure Lotfi, un homme rencontré devant le consulat tunisien, où se tenait la manifestation.

Prenant tour à tour la parole au mégaphone, ces Montréalais ont questionné le gouvernement canadien. «M. Harper, où êtes-vous?» a demandé le porte-parole du Collectif de solidarité au Canada avec les luttes sociales en Tunisie, Haroun Bouazzi. «Après combien de morts allez-vous vous prononcer sur la situation en Tunisie?» Pendant ce temps, à Québec, quelques dizaines de personnes se sont réunies dans la rue Saint-Jean, devant les bureaux de Radio-Canada.

Hier toujours, mais de l'autre côté de l'océan, des rassemblements ont également été organisés en France, en Belgique, en Suisse, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie et en Algérie dans le cadre d'une Journée de solidarité internationale avec Sidi Bouzid et le peuple tunisien. En France aussi on demandait au président d'intervenir. Sur des pancartes à Paris, on pouvait lire «Sarkozy, votre ami est désavoué, Ben Ali est bien un dictateur».

Selon des militants actifs à Montréal, il s'agit d'une mobilisation rare. «J'organise des événements à Montréal depuis 2000 et je n'ai jamais vu ça», dit le porte-parole de l'Association des droits de la personne au Maghreb au Canada, Jamel Jani. Croit-il à une révolte passagère en Tunisie ou à une révolution plus profonde? «Ça fait trois semaines que les gens manifestent partout en Tunisie de façon pacifique pour demander au gouvernement de penser aux régions et d'établir un État de droit.» M. Jani estime que ça ne peut que continuer.

En Tunisie, ce sont les avocats qui se sont mobilisés hier. Près de 95 % des 8000 membres de l'Ordre national des avocats de Tunisie ont fait la grève pour protester contre la répression policière des dernières semaines, selon le bâtonnier de l'ordre, Me Abderrazek Kilani.

Selon lui, des avocats ont été violentés par des policiers lors d'occupations organisées dans plusieurs villes, vendredi dernier, en soutien aux manifestations de Sidi Bouzid. «La grève porte le message clair que nous n'acceptons pas les attaques injustifiées contre les avocats. Nous voulons protester fermement contre le passage à tabac d'avocats au cours des derniers jours», a-t-il dit à l'agence Reuters.

À Sidi Bouzid, la plupart des écoles et collèges étaient en grève également hier. Les manifestations dans les rues se sont poursuivies également dans plusieurs villes du pays. La police a quant à elle arrêté trois blogueurs et un rappeur critiques du gouvernement actuel.

La Tunisie est connue comme un pays généralement stable. Elle a joué un rôle important pour l'émancipation des femmes et l'éducation au Maghreb, mais son développement économique des dernières décennies semble se limiter aux régions côtières, où le tourisme est notamment florissant. Même si le président Ben Ali a annoncé la semaine dernière des investissements de 124,4 millions d'euros pour favoriser la création d'emplois et de projets, son régime est toujours vivement critiqué.

«[Les Tunisiens] manifestent parce qu'ils étouffent, ce n'est pas une violence seulement sociale, mais une protestation contre le fonctionnement du régime. Le régime et la famille Ben Ali ont écarté toutes les relèves potentielles. Il n'y a plus de relais du pouvoir, il y a la peur qui règne», analyse le politicologue Antoine Basbous, de l'Observatoire des pays arabes, en France.

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Source: Le Devoir










Une centaine de Montréalais d’origine tunisienne ont manifesté hier contre le gouvernement de Ben Ali - Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir