L’idée d’instaurer une carte d’identité nationale jusque-là inexistante au Canada, comme le veut la tradition anglo-saxonne, continue de faire son chemin, soulevant de nombreuses craintes et de multiples interrogations.

Pourquoi maintenant ? A quoi servira-t-elle ? Quels renseignements contiendra-t-elle ? Comment l’utilisera-t-on ? Telles sont en partie quelques préoccupations des députés membres du comité de l’immigration qui se sont réunis la semaine dernière à la Chambre des communes (Parlement) pour débattre de la question.

En fait, le véritable problème pour les initiateurs du projet est de savoir si la carte d’identité nationale telle que suggérée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, qui pourrait comporter des données biométriques (empreintes digitales et rétiniennes), est compatible avec la Charte canadienne des droits et libertés. Laquelle charte, adoptée en 1982, garantit aux citoyens les libertés fondamentales et démocratiques, en plus de les protéger contre l’arbitraire, y compris celui de l’Etat. C’est probablement l’ancrage profond de cette Charte des droits et libertés dans les mentalités canadiennes qui rend la grande majorité des députés très sceptique à l’adoption d’une carte d’identité pouvant contenir des informations biométriques. «J’ai un petit problème avec Big Brother», a résumé le député libéral John O’Reilly, faisant référence à l’essai culte 1984 de George Orwell qui décrivait le totalitarisme de l’Etat et son usage des technologies.

Où commence Big Brother et où s’arrêtent les prérogatives de l’Etat ? Les Etats démocratiques peuvent-ils tout faire «gober» à leurs citoyens en brandissant l’étendard de la lutte contre le terrorisme ? Non, répond le commissaire à la vie privée George Radwanski. Dans son rapport annuel, ce dernier mentionne que «le gouvernement utilise les événements du 11 septembre comme excuse pour justifier de nouvelles collectes et utilisations de renseignements personnels sur nous tous, les Canadiens et Canadiennes. Ces mesures ne peuvent justifier les besoins de la lutte contre le terrorisme et, par le fait même, n’ont pas leur place dans une société libre et démocratique.»

Après les événements du 11 septembre 2001, cette tendance a aussi été observée en Australie, en Autriche, au Danemark, aux Etats-Unis, en France, en Allemagne, en Inde, au Singapour, en Suède, indique une enquête publiée par Privacy International et Privacy Information Center, deux centres de recherches, le premier anglais et le second américain, qui dénonce une «érosion» de la vie privée. Cette prédisposition des Etats n’est pas nécessairement nouvelle, reconnaissent les auteurs. Ce qui est nouveau, c’est la vitesse avec laquelle ces politiques ont été acceptées, et dans de nombreux cas, celles-ci sont devenues des lois. Le terrorisme, voilà un autre aspect évoqué par les partisans de la carte d’identité nationale. Si d’aucuns reconnaissent à Ottawa l’obligation, voire même le devoir de resserrer la sécurité à ses frontières, dans ses ports et ses aéroports, de même que sur son territoire, ils accusent le gouvernement canadien de plier devant les exigences de Washington. Certes, l’époque où les Canadiens étaient certains de pouvoir traverser la frontière pour se rendre aux Etats-Unis avec un simple permis de conduire, semble maintenant révolue, mais est-ce pour autant qu’il faille accepter tout ou n’importe quoi ?

Source: http://www.elwatan.com/journal/html/2003/02/15/cad