Voilà le titre d'une émission de radio animée tous les samedis par mon confrère Lamine Foura, sur les ondes de Radio Centre-Ville. Un soir d'été, dans l'hystérie du débat entourant le code de vie imbécile de Hérouxville, j'avais répondu à l'invitation de Lamine.

Après une heure d'émission à échanger sur les ondes en tribune téléphonique avec des Maghrébins, nous étions tous les deux descendus fumer une cigarette ensemble sur le trottoir du boulevard St-Laurent. Puis vinrent se greffer à notre conversation quelques chauffeurs de taxi, tous originaires d'Afrique du Nord. C'est ce souvenir qui m'est revenu en mémoire lorsque j'ai appris la nouvelle de l'assassinat de Mohammed Nehar-Belaid, ce chauffeur de taxi de Montréal, 64 ans, marié et père de 4 enfants.


Mohammed, c'est celui qui a quitté l'Agérie dans l'espoir d'un monde meilleur. C'est celui qui s'est déraciné de ses origines, et qui a fui l'extrémisme afin d'offrir à ses enfants ce qu'il n'aura jamais pu s'offrir à lui-même. Parce que quitter son pays et son histoire, c'est se faire violence et repartir à zéro. C'est vivre un autre drame personnel et passer son tour en faisant le pari incroyable qu'on agit pour le mieux de nos enfants et de notre descendance. Bien évidemment, nous -Québécois de souche- ne pouvons comprendre cette aventure vers l'inconnu. Après 400 ans sur le continent, on finit par tenir les choses pour acquises.


RAMASSER LES MIETTES


Mohammed, c'est aussi cette hypocrisie de nos dirigeants qui invitent le Maghreb à la table du Québec, mais qui refusent de leur donner à manger. «Venez au repas ! Venez contribuer à notre société !» de dire nos dirigeants. Et lorsque Mohammed s'avance respectueusement, on lui retire la chaise. Demeurant debout à regarder le banquet, Mohammed finit par chauffer le taxi et ramasser les miettes qui tombent sur le tapis, à la manière de Lazare dans la parabole du Nouveau Testament. Ils sont médecins, ingénieurs, professionnels et venant de tous les corps de métiers. Des gens triés sur le volet, qui ont sué à monter leurs dossiers d'immigration comme des fous. Et voilà qu'on leur dit qu'ici, ils n'ont plus les compétences qu'ils avaient pourtant avant d'émigrer au Québec.


Puis Mohammed a dû faire face à la folie collective des «nanalystes» et des pseudo-leaders d'opinion qui voyaient en lui une menace à la sécurité nationale. Une autre belle connerie inventée par un pauvre conseiller municipal en manque d'attention et supportée par les médias jaunes épris de sensationnalisme payant. Depuis ce temps, Mohammed a dû supporter le regard des bornés et des reculés qui voyaient en lui un autre Ben Laden en puissance. Mais malgré tout, Mohammed a continué à chauffer le taxi parce qu'il avait le sens de l'honneur et du coeur au ventre, ce que bien des Québécois de souche n'ont plus.


POIGNARDÉ


Finalement, par un dimanche matin de novembre, Mohammed s'est levé pour aller travailler. Comme chaque jour depuis qu'il est au Québec. Et il n'est plus revenu. Mort poignardé comme un vulgaire déchet que l'on balance dans un boisé. Là s'arrête l'aventure incroyable d'un homme -- comme tous ces Maghrébins en quête de liberté en terre d'Amérique. Brutalement. Mort au combat pour avoir eu le courage d'offrir le meilleur à sa femme et à ses 4 enfants. Mohammed, que ton Dieu Allah te pardonne, te fasse miséricorde et qu'il t'accorde le Salut !