«Je suis né pour écrire. Je suis le nègre de mes personnages et l’esclave de mes lecteurs», a affirmé l’auteur de L’Attentat.
Rencontré lors d’une discussion autour de son oeuvre à la troisième édition du Festival culturel international de la littérature et du livre de jeunesse, à l’Esplanade de Riad El Feth, Yasmina Khadra répond à nos questions et à celles du public, avec aisance et franchise non dénuée d’émotion et de sincérité. Sans condescendance, l’écrivain, fidèle à lui-même et à son verbe altier, répond aux accusations dont il a fait l’objet récemment et parle de son dernier roman l’Olympe des infortunes. Un souffle nouveau, un style qui détonne, mais une écriture acérée et un désir d’écrire toujours renouvelé.

L’Expression: Vous faites actuellement l’objet d’une polémique. On vous accuse d’avoir plagié le roman de Youssef Dris, Les Amants de Padovani. Que répondez-vous à ces accusations relayées récemment par la presse nationale?
Yasmina Khadra: J’appartiens à une intelligentsia qui n’est pas tellement responsable de ses actes. Il y a eu pas mal de polémique sur le Web. Ce n’est pas dangereux car Internet est une sorte de dépotoir où on déverse n’importe quel fiel et n’importe quel dépit. Je n’ai pas voulu réagir jusqu’au jour où un journal algérien, El Khabar, m’accuse, moi, de plagiat et, bien sûr, à travers le milieu parisien. Ce que je tiens à vous dire c’est qu’à Paris, on ne m’aime pas, parce que je suis un Algérien. Je suis digne, honnête, et je n’appartiens à aucun réseau, mais à aucun moment Le Parisien n’oserait m’accuser de plagiat. Pour atteindre un tel sommet d’abjection il faut être vraiment irresponsable.
Ceci est l’apanage d’une poignée d’Algériens qui, peut-être, ne trouve plus sa place dans la littérature et pense que la littérature c’est une question de chance alors qu’il s’agit de travail, d’application, de courage, de vaillance littéraire. Ces gens, je crois qu’ils exagèrent beaucoup. Je tiens à vous dire que dans tous les pays où je vais, les gens sont écoeurés par l’attitude de cette petite poignée de pseudo-intellectuels qui racontent n’importe quoi, je crois que j’ai fait mes preuves. Mes livres sont édités dans plus de 40 pays et dans 34 langues, j’ai touché des millions de lecteurs. S’il y avait quelque chose de louche, avec tout les détracteurs que j’ai, on ne m’aurait pas fait de cadeau. Je tiens à vous rassurer, non seulement je ne pourrais jamais m’inspirer seulement d’une oeuvre, mais je ne pourrais jamais concrétiser un centième de ce que j’ai dans la tête, car j’ai beaucoup d’imaginaire. La place que j’occupe en tant qu’Algérien dans la littérature du monde n’est pas permise. Dans la doctrine occidentale, la conscience seule peut être incarnée que par les Occidentaux. Il arrive qu’un Algérien, par son travail, son engagement, sa sincérité, atteigne un certain niveau de respect et de considération. On a dit que j’étais espion, écrivain de l’armée, que ce n’est pas moi qui écris mes livres. Je tiens à dire tout simplement que dans la logique des choses, quand une oeuvre atteint une telle dimension, elle ne peut pas se permettre d’être écrite par d’autres gens, on peut avoir un nègre quand il s’agit d’un livre populaire, mais pas quand il s’agit d’un style, je dirais même de l’excellence, c’est peut-être triste, mais c’est comme ça. Heureusement, il y a des prix Nobel qui m’ont salué, je n’ai jamais plagié personne. Je n’ai pas besoin de ça. Je n’ai jamais eu de nègre dans ma vie. Quelqu’un a accusé ma femme d’être l’auteure de mes livres, elle est arabisante. Il y des races et des espèces. Les races font d’une lueur d’espoir une torche et les espèces, quand elles voient un semblant de lumière au bout de son tunnel, elles crient au feu.
Malheureusement pour moi j’appartiens à un milieu intellectuel qui relève beaucoup plus de l’espèce que de la race. Je réitère ce que j’ai dit ici à Alger, en 2002, alors que je n’étais pas aussi vomi à ce point: «Les gens qui m’aiment vont se régaler. Les gens qui me détestent vont se diluer dans leur fiels». C’est un combat mené par un homme strict. Je ne suis pas tombé d’un arbre. J’ai une histoire. J’ai passé 36 ans de ma vie dans l’armée. Chacun de vous a probablement un parent dans l’armée. Dites-leur ce qu’ils pensent de moi, quel homme j’ai été, quel a été le degré de mon honnêteté.
Même dans l’armée, j’ai été considéré comme une anomalie, j’ai résisté pendant 36 ans, alors que je n’étais même pas connu...Je suis quelqu’un de très honnête dans la vie, avec mes amis, y compris avec mes ennemis, j’ai essayé de servir mon pays du mieux que je pouvais, j’ai eu la chance d’être élevé dans l’école des cadets. A l’âge de neuf ans, alors que je n’étais même pas encore né, on me disait que j’allais mourir pour ma patrie, vous imaginez, un enfant à qui on dit à cet âge-là: «Tu va mourir pour ta patrie»! J’ai vécu durant ma vie dans la vénération de mon pays. J’ai rencontré des êtres fabuleux, j’ai admiré des gens pour les qualités qu’ils incarnaient, pour leur bravoure et leur vaillance, j’espère rester moi- même jusqu’à la fin de mes jours. Voilà ce que j’ai à dire sur cette pseudo-polémique qui n’existe, hélas, que dans le milieu intellectuel algérien. Allez au Japon, en Scandinavie, au Brésil, aux USA, j’ai toujours honoré mon pays par ma plume, j’espère l’honorer aussi par mon honnêteté jusque bout.

Pourquoi le monde des clochards, et ce livre l’Olympe des infortunes (dernier roman sorti chez Media Plus, Ndlr)?
Toute ma vie a été baignée dans la fiction. J’ai évolué dans un monde qui n’était pas le mien, à savoir l’armée. La seule façon pour moi d’aller ailleurs, c’était de lire ou d’écrire. Au fait, ce livre a été écrit en 1990. Il faisait partie d’un recueil de nouvelles qui s’intitulait Cousine K. La première c’était donc Cousine K, la seconde s’intitulait l’Appel de la ville. C’était le titre initial de l’Olympe des infortunes. Un éditeur a souhaité le publier. Il a beaucoup insisté. J’ai pris cette nouvelle que j’avais déjà déposée chez mon éditeur en 2003, je l’ai retravaillée et voilà.

Votre personnage qui apparaît à la fin du livre intrigue, il a déjà fait du mal en même temps il vient pour donner des leçons aux autres en quelque sorte, les responsabiliser sur leurs actes. Que représente-t-il finalement?
Il incarne un peu ce courage qui accompagne l’homme à travers son histoire, le courage de rebondir, de se reconstruire, quand il tombe. Mais vous savez, ce personnage a écoeuré beaucoup de mes lecteurs. Je ne comprends pas cette réaction. Ils l’ont trouvée absolument exécrable. Ce n’était pas de mes intentions de le présenter de façon détestable, mais le fait d’éveiller les autres à leurs obligations, à leurs responsabilités, c’est devenu quelque chose de répréhensible, que l’on rejette avec violence. C’est dommage, car d’un seul coup, on s’aperçoit que le spectaculaire et le mensonge ont beaucoup plus de chance de nous éveiller aux choses dérisoires du monde que la vérité.
Ben Adam est détesté par les lecteurs car il traine du mal derrière lui.
Car il a incité un homme, un simple d’esprit, à tenter l’aventure humaine alors qu’il n’avait ni les moyens, ni le recul, ni les arguments pour se battre, ce qui fait qu’il l’a envoyé un peu à l’abattoir. Dans la vie, cela ne se passe pas comme ça.

Vos personnages dans l’Olympe des infortunes vivent très mal en ville, ils y reviennent encore plus cassés qu’avant. La ville est présentée comme une source de malheur. Préconisez-vous alors la vie dans la marge?
J’ai été marginalisé dans ma vie de militaire, par le cercle littéraire, le résultat? J’avance. La marginalisation, quand elle est une blessure, elle nous éveille à nous-mêmes, avec force.
Je préconise la marge peut-être parce que je suis un homme du Sahara, je préfère la nudité du ciel et de la terre, où je suis très à l’aise car c’est un monde intérieur, mais la ville c’est la négation de l’individu, c’est le stress, une dynamique qui me dépasse.

Finalement, la caravane d’Albert Camus a été annulée...
Oui, elle a été annulée par la volonté d’un groupe d’Algériens qui a été assez puissant dans la médiocrité et dans la détestation de soi. Un groupe d’Algériens qui ne sera jamais à la hauteur des aspirations de ce peuple qui a tant donné pour pouvoir s’élever dans le concert des nations. A ces détracteurs qui m’interdissent même de rendre hommage à des écrivains que j’aime, je leur dis qu’ils devraient se référer à ce spot publicitaire qui, il y a quelque années sur les chaînes françaises disait: «Tu t’es vu quand t’a bu?» J’espère qu’ils vont se souvenir de ça. C’est une véritable honte parce qu’elle éclabousse surtout ce que nous avons de meilleur. Je pense que ce qui représente le mieux un peuple c’est sa culture, c’est elle qui sauve un peuple de l’ignominie, de la bassesse, de l’infamie, de l’obscurantisme.

Côté cinéma, où en êtes-vous concrètement dans l’adaptation cinématographique de votre roman l’Attentat, qui traîne depuis quelques années maintenant?
Il y eut quand même cinq scénarios, mais à travers les cinq, les Américains ont voulu tomber dans le manichéisme qui ferait du Palestinien une bête immonde et l’Israélien un bon soldat et moi j’ai été contre ça et j’ai retiré mes droits. Le film sera adapté par le même réalisateur prévu, Zied Toueri qui est un collaborateur de Tarentino et que j’aime beaucoup.


Entretien réalisé par O. HIND


Source: L'Expression - Edition du 30 mai 2010