Dans un extraordinaire retournement de l'histoire, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, dont l'allégeance aux islamo-conservateurs n'est plus à démontrer, a brandi il y a quelques jours la menace islamiste pour se maintenir au pouvoir tout comme l'avait fait son ami Ben Ali pendant 24 ans.

Qu'en est-il au juste?

Bouteflika est l'homme qui a changé la Constitution avec pour seul but de se porter une troisième fois, en 2009, à la tête de l'État algérien. Depuis son arrivée au pouvoir en 1999, il n'a d'yeux que pour les islamistes à qui il n'a cessé, à maintes et maintes reprises, de faire des appels du pied. Lors d'une visite officielle au Canada en 2000, il avait déclaré au sujet des terroristes à la télévision de Radio-Canada : «Il n'y a rien à pardonner. Il y a des bonnes raisons pour être hors-la-loi, des raisons politiques, idéologiques, sociales, (...). Ils n'ont pas pris les armes pour rien. Si j'avais 20 ans, j'aurais pu faire comme eux.» Ce jour-là, sur les ondes de la télévision publique canadienne, Bouteflika n'avait pas seulement banalisé les crimes les plus odieux commis contre des Algériens, il les avait justifiés.

J'étais abasourdie! Une dizaine d'années plus tard, il a foncé tête baissée dans la mise en place d'une politique aveugle qui s'est soldée par la mise en liberté de terroristes notoires, non sans les avoir indemnisés. Il aura fallu dix ans et deux mandats pour que le monarque franchisse le pas et lève prudemment le tabou d'une amnistie générale des islamistes armés. Sa dernière élection, il la doit notamment à Hassan Hattab, fondateur et ancien chef du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), groupe paramilitaire qui s'est rallié en septembre 2006 au réseau Al-Qaïda et rebaptisé, par la suite, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

Bouteflika, c'est l'homme qui voue une haine excessive aux journalistes qu'il a affublés du sobriquet de «commères de hammam» et qu'il qualifie de «terroristes des mots». C'est l'homme qui a mis au pas la justice algérienne et à terre les démocrates. Il est prêt à brader les richesses du pays en fragilisant le rôle des entreprises nationales et en amendant la loi sur l'exploitation des hydrocarbures. Bouteflika, c'est l'homme qui maintient les femmes algériennes dans un statut de mineure à vie. C'est l'homme qui refuse d'assumer l'héritage pluriel de l'Algérie. C'est l'homme qui persécute les minorités religieuses et linguistiques. C'est l'homme qui a honte d'adhérer à la Francophonie et qui n'a aucune gêne à s'afficher aux côté des monarques des monarchies du Golf à qui il voue une admiration infinie. Bouteflika, c'est l'homme qui a sorti l'artillerie lourde pour mater la révolte des jeunes en Kabylie à la suite de l'assassinat, le 18 avril 2001, de Massinissa Guermah, un jeune lycéen de 16 ans. C'est l'homme qui s'est terré dans son palais, en décembre 2001, lors de la terrible coulée de boue qui avait emporté plus d'un millier de personnes. C'est l'homme qui tourne le dos à la jeunesse. Des chômeurs, il y en a en masse. L'oisiveté s'est imposée dans leur vie comme une affliction faisant du mot «dégouttage» (du verbe dégoûter) qu'ils ont inventé, l'un des plus populaires.

La démocratie bouteflikienne n'est qu'une vulgaire parodie. Pire encore, même si les coffres de l'État son pleins, le pouvoir est incapable de mettre le pays sur les rails. C'est dire sa médiocrité. Il manque cruellement d'inspiration. Il est en panne de projets. L'Algérie aussi. Le peuple, quant à lui, souffre terriblement et a soif de justice. L'Algérien veut vivre dignement dans un État de droit respectueux de ses libertés. Il réclame du travail, un toit et un avenir pour ses enfants. Est-ce trop demandé?

Source: Cyberpresse

* Djemila Benhabib, auteure de «Ma vie à contre-Coran»