Un chercheur canadien détenu en Algérie pour avoir publié des informations classées secrètes et reçu des fonds dans l’intention de commettre des actes qui pourraient porter atteinte à l’ordre public sera jugé le mois prochain.

Le procès de Raouf Farrah, qui est né en Algérie mais qui vit au Canada depuis l’adolescence, a été fixé pour le 8 août dans la ville de Constantine. C’est ce que son avocat, Kouceila Zerguine, a confirmé, martelant que son client est innocent.

« Il n’a pas commis les deux crimes pour lesquels il est accusé », a assuré Me Zerguine lors d’une entrevue menée depuis l’Algérie.

« Au cours de l’enquête, nous avons présenté toutes les preuves matérielles qui réfutent les accusations. »

Le père de Raouf Farrah, Sebti Farrah, un résident de la région de Montréal âgé de 67 ans, avait été arrêté avec son fils alors qu’ils rendaient visite à de la famille en Algérie et il doit subir son procès en même temps.

Libéré sous caution à la mi-avril, après que son état de santé se soit détérioré, Sebti Farrah fait aussi l’objet d’une enquête pour avoir reçu des fonds dans l’intention de commettre des actes qui pourraient porter atteinte à l’ordre public.

Selon Me Zerguine, Raouf Farrah est aussi aux prises avec des problèmes de santé, tout comme son père. Une blessure au genou pour laquelle il recevait déjà des traitements s’est notamment aggravée pendant son séjour en prison. Malgré tout, trois demandes de libération provisoire ont été refusées, a précisé l’avocat.

« Au mauvais endroit au mauvais moment »

Des amis, des membres de la famille et des collègues de Raouf Farrah réclament sa libération depuis son incarcération, le 20 février.

Mark Micallef, qui est directeur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Sahel à l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, où M. Farrah travaillait comme analyste principal, est convaincu que son collègue se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment.

Il estime que les déboires judiciaires de M. Farrah découlent du fait qu’il connaît des personnes qui ont aidé à l’évasion d’une militante pro démocratie qui s’était vue interdite de quitter l’Algérie.

M. Micallef affirme que l’accusé ne connaissait pas l’activiste, Amira Bouraoui, et n’était pas impliqué dans sa fuite.

Il espère que le procès permettra à M. Farrah, qui est âgé de 36 ans, de laver sa réputation.

Alors que les accusations de publication d’informations classifiées semblent être liées au travail de M. Farrah pour l’observatoire, M. Micallef a précisé qu’il n’y avait rien dans ses écrits qui allait au-delà de ce que l’on attendrait d’un chercheur qui se penche sur le crime organisé.

« Il est extrêmement passionné par son travail et il est très méticuleux. Il se soucie des communautés, il se soucie d’essayer de développer des idées qui peuvent aider à développer une politique efficace qui ferait une différence pour les gens sur le terrain », a-t-il expliqué.

Né en Algérie, Raouf Farrah est déménagé au Canada à l’âge de 18 ans. Il a étudié les mathématiques à l’Université de Montréal, avant de compléter un deuxième baccalauréat en philosophie et politique.

Il a ensuite obtenu une maîtrise à l’Université d’Ottawa, rédigeant sa thèse sur la sécurité et la migration en Afrique du Nord, questions qu’il continue d’étudier dans son travail.

Répression plus large

Rita Abrahamsen, qui est directrice du Centre d’études sur les politiques internationales de l’université, a supervisé sa thèse de maîtrise. Elle est régulièrement en contact avec la femme de M. Farrah et a déclaré que les conditions dans la prison où il est détenu sont très minimales.

« Il va bien, dans les circonstances. Il est fort, il est résilient, mais il a perdu beaucoup de poids et plus la situation dure, plus c’est difficile », a-t-elle relaté.

Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch, a noté que les raisons de l’arrestation de M. Farrah ne sont pas claires, mais qu’elle s’est produite au milieu d’une répression plus large contre le mouvement pro démocratie du pays.

« Quiconque travaille pour une ONG qui montre une certaine distance par rapport aux positions gouvernementales risque d’être arrêté », a-t-il dit.

Il a ajouté que le verdict du procès de M. Farrah sera probablement basé sur des calculs politiques, et non sur la loi.

« Il n’a pas sa place en prison en premier lieu. Nous n’avons absolument rien vu dans son dossier qui serait considéré comme une infraction dans un régime juridique respectueux des droits », a déclaré M. Goldstein.

La famille de Raouf Farrah a mentionné dans un communiqué publié au printemps que sa femme avait pu lui rendre visite pendant 20 minutes toutes les deux semaines. Cependant, il n’a pas vu sa fille de quatre ans depuis son arrestation.

Affaires mondiales Canada s’est dit au fait de la situation.

« Les responsables canadiens fournissent une assistance consulaire à la personne concernée et à sa famille via son ambassade à Alger et son siège à Ottawa », a écrit le porte-parole Jérémie Bérubé dans un courriel, ajoutant qu’aucune autre information ne pouvait être fournie pour des raisons de confidentialité.

L’ambassade d’Algérie à Ottawa n’a pas répondu à une demande de commentaires par courriel envoyée la semaine dernière.

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