Trois-Rivières et Shawinigan – En devant candidate - vedette - du Parti québécois dans Trois-Rivières, Djemila Benhabib a accepté d’endosser toutes les positions de son parti. Y compris celle concernant le maintien du crucifix au Salon bleu de l’Assemblée nationale, auquel elle est opposée. Mais elle promet de mener à l’intérieur du PQ un combat pour que le parti change d’idée à cet égard.



Mme Benhabib a rappelé hier matin être « soucieuse de la neutralité des institutions » et soutenu que l’Assemblée nationale « doit représenter la volonté du peuple, qui n’est pas assujettie à une quelconque religion ». « Ma prise de position [contre le crucifix] repose sur ce principe-là », a-t-elle dit lors d’une conférence de presse aux côtés de sa chef, Pauline Marois. Le PQ présentait son engagement à adopter une charte québécoise de la laïcité.

Or, la position du PQ sur le crucifix est claire : il a sa place au Salon bleu, en tant qu’élément du patrimoine historique québécois. Et Pauline Marois entend bien le laisser là - contrairement à ce que souhaitait André Boisclair en 2007. La position de Mme Marois rejoint le sens d’une motion adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en mai 2008, au moment de la publication du rapport Bouchard-Taylor, qui recommandait le retrait du crucifix.

Pour Mme Marois, le symbole est important. « Vouloir faire un pas pour s’assurer de la neutralité [de l’État par une charte de la laïcité] ne veut pas dire qu’on renie ce qu’on est. Simplement qu’on est à un autre moment de notre histoire », a-t-elle dit hier. Elle répondait à une question soulignant le paradoxe qu’il y a à tenir une conférence de presse sur la laïcité dans le vénérable moulin seigneurial de Pointe-du-Lac (à Trois-Rivières), qui appartient à la communauté des Frères de l’Instruction chrétienne. « Cela illustre qu’on ne renie pas le passé », a ajouté Mme Marois.

Auteure de Ma Vie à contre-Coran, intellectuelle championne de la laïcité et partisane du retrait du crucifix, Mme Benhabib a tout de même indiqué qu’elle « assume et appuie totalement les prises de position du PQ ». « Quand on s’engage en politique, on ne s’attend pas à ce que le parti appuie tous les arguments d’une personne, dit-elle. S’il y a des batailles à faire au sein du parti, je le ferai. »

Pour elle, la question du crucifix est toutefois secondaire dans le grand tout des accommodements raisonnables. « Dans ce débat, j’ai été davantage préoccupée par le fait qu’on insistait pour retirer les symboles de la majorité alors qu’on permettait ceux des minorités religieuses. En faisant ça, on brisait un fondement de la démocratie, soit l’égalité de tous, en créant deux catégories de citoyens. »

Paramètres clairs

Ce principe de l’égalité et celui de la neutralité de l’État sont au coeur du projet de charte du PQ, qui va à plusieurs égards plus loin que le projet de loi 94 abandonné à la dernière session. La présentation de mardi matin reprend des éléments déjà connus du programme du parti : la charte « stipulera que le Québec est un État laïque », qu’il est « neutre par rapport aux croyances des uns et des autres en matière de religion » et que « la liberté de religion ne pourra être invoquée pour enfreindre le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes ou le bon fonctionnement des institutions publiques et parapubliques ».

On précise également que tous les représentants de l’État (et pas seulement ceux identifiés par la commission Bouchard-Taylor) cesseront de pouvoir porter des signes religieux ostensibles si la charte est adoptée.

De manière générale, le PQ souhaite que cette charte « permette aux tribunaux de pouvoir interpréter le droit en fonction d’un texte de référence, et non en fonction d’une jurisprudence établie au cas par cas », indique-t-on. « La charte aura force de loi », a précisé Mme Marois, pour qui un gouvernement péquiste « va affirmer notre identité ».

« Nous n’avons pas à nous excuser d’être ce que nous sommes », a-t-elle dit. « Les Québécois sont tannés d’avoir l’impression de faire des compromis sur nos valeurs. Et c’est au gouvernement de fixer des balises claires en la matière. » Mme Marois estime que « ce débat de société nous concerne tous » et rappelle « qu’affirmer la laïcité ne veut surtout pas dire que l’État interdira les religions »… ou qu’il « touchera à certaines traditions qui font partie de notre héritage, comme celle du sapin de Noël ».

Clause dérogatoire ?

Si le PQ est élu, la charte sera rédigée avant d’être soumise à un débat qui permettra de « bonifier » le texte, mais sans en changer les grands principes. Pour Pauline Marois, pas question, toutefois, de faire une commission Bouchard-Taylor prise 2. « Non ! Non ! Non ! », a-t-elle spontanément répondu. « On ne recommencera pas ça. »

La chef péquiste s’est aussi dite prête à utiliser la clause dérogatoire si sa charte de la laïcité est contestée parce qu’elle entrerait en contradiction avec certaines clauses de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment celles concernant la liberté de religion et le multiculturalisme. « Nous ferons la bataille qu’il faut si elle doit être contestée, a-t-elle dit. Mais avant de penser à ça, nous allons la débattre et l’adopter. »

Hérouxville heureux

Lors d’un rassemblement partisan du PQ en soirée à Shawinigan, André Drouin, l’homme derrière le Code de vie d’Hérouxville, a donné son plein appui à la charte : il estime que « c’est probablement la meilleure chose qui puisse nous arriver en tant que nation ».

Depuis Beauport, François Legault a de son côté jugé que le PQ va trop loin avec certaines dispositions de la charte de la laïcité. Mais sur le fond, il est plutôt d’accord avec les objectifs centraux de la charte et se dit prêt à déposer une initiative semblable. Quant à Jean Charest, il a affirmé que son gouvernement avait mis en oeuvre la majorité des recommandations du rapport de la commission Bouchard-Taylor.

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Avec la collaboration d’Antoine Robitaille et de Robert Dutrisac


Source: Le Devoir - 15 aout 2012