La vie politique a un seul objectif, pérenniser le système politique en place depuis l’indépendance du pays, divisé en clans, puis en castes et, enfin en dynasties, qui ne sont pas seulement l’apanage des monarchies.



Il veut rester à vie ou trop longtemps au pouvoir auquel il a accédé par des coups d’Etat par les armes ou par les urnes. Les coups d’Etat militaires sont la conséquence d’échecs politiques que l’armée n’est pas arrivée à réparer. La fraude électorale, vieille tradition coloniale, amplifiée depuis l’indépendance du pays, bien intégrée dans les mœurs politiques du pays, est au rendez-vous de toutes les élections. Elle déforme le suffrage universel et la vérité électorale, ainsi que les pratiques qui faussent le scrutin et le libre choix des électeurs.
Le jeu de bascule a consisté pour les décideurs de l’armée à remplacer à la tête de l’Etat untel par untel, sans rien changer à son fonctionnement. Pour paraphraser Rudyard Kipling : «La Révolution algérienne n’a pas appartenu aux premiers qui l’ont déclenchée, mais aux derniers qui l’ont terminée, et qui l’ont tirée à eux comme un butin.»


Le portrait du président Abdelaziz Bouteflika éclaire sa politique


Il faut poser sur le Président et la fonction présidentielle qui est complexe, multiple et exigeante, le regard froid et impartial de l’objectivité. Le président Abdelaziz Bouteflika, qui est couvert de nombreuses cicatrices du passé, concentre entre ses mains la quasi-totalité du pouvoir qui s’est transformé au cours des années en monarchie. La verticale du commandement a fait de lui une sorte de pharaon omniprésent, dominateur et totalitaire, qui se croit propriétaire de l’Algérie et des Algériens. Il veut tout régenter, tout diriger, tout contrôler. Il a voulu le pouvoir, puis tout le pouvoir qu’il a personnalisé. Il est l’homme d’une ambition sans fin et sans freins qui règne sans partage sur le pays avec le sens de la durée. Tout émane de lui, tout dépend de lui et de lui seul. Il se comporte comme un monarque doté d’un blanc-seing pour privilégier la décision solitaire. Son pouvoir est grand et son appétit insatiable. Il s’est octroyé par la révision de la Constitution, faite par lui et pour lui seul, des pouvoirs de plus en plus étendus et illimités. Il n’y a aucun contrepoids à son pouvoir. Il cherche à satisfaire ses pulsions narcissiques qui sont une donnée de base de sa personnalité. Il ne supporte pas d’être discuté, critiqué et surtout contredit. Ses mots ont du poids et ses gestes ont un sens. Il fait preuve d’habileté oratoire, d’éloquence même, de séduction, sans être affable et attentif devant ses fidèles et ses fervents.
Dans les trois partis de la coalition gouvernementale, le ton est à l’autosatisfaction, et l’on ne tarit pas d’éloges pour «l’homme providentiel», le visionnaire politique qui préside à la destinée du pays. Les éloges et les vaines flatteries justifient et encouragent le culte de la personnalité. Un pays qui cultive le culte du chef ne prépare pas une succession ordonnée. Personne ne lui arrive à la cheville, fût-elle enflée. Il n’est pas capable de se remettre en question, ne découvre pas son jeu et conserve plusieurs fers au feu.


Il ne possède pas les trois éléments qu’un président doit avoir : une sagesse politique, une morale élevée, une claire vision des faits. Il lui manque l’humilité politique. Tout pouvoir s’use quand on en abuse. Il a provoqué à la longue des sentiments de lassitude, de saturation et de rejet. Chez certains qui le connaissent bien, il y a doute, scepticisme et inquiétude. Le Président s’égare et égare le peuple algérien.
L’accélération de l’histoire qui a frappé à la porte de l’Algérie est pour tous les dictateurs un danger de chaque instant. Le départ du Président est un préalable absolu, un impératif même. Il se croit voué à une grande destinée, mais rien n’est jamais définitivement acquis en politique.
Il doit passer la main, à condition bien sûr que les mains soient nouvelles et s’ouvrent. Le déclin du  pouvoir ne relève pas d’un phénomène passager, de son passage dans la zone des tempêtes, mais est irréversible et rien ne pourra l’arrêter. Il subit depuis quelques années une lente érosion. De très nombreux Algériens et Algériennes souhaitent que le président de la République tire, le plus rapidement possible, les leçons de ses échecs et laisse à des hommes et des femmes éclairés le pouvoir qu’il détient. Sans agressivité dans la forme, mais sans aucune ambiguïté sur le fond, Bouteflika doit partir. L’ouverture et le renouveau sont indispensables.


Le crépuscule qui s’étend sur le pouvoir doit laisser la place à la démocratie, la liberté, la justice, la justice sociale et les droits de l’Homme. Tous les postes clés du gouvernement sont détenus par des hommes issus d’une même région, voire d’une seule wilaya, Tlemcen, de quelques tribus. Ce n’est plus du régionalisme mais du tribalisme. Les ministres qui ont sensiblement outrepassé leur crédit politique se maintiennent au-delà de leur utilité. Leur longévité n’est pas un facteur de stabilité, mais fabrique de la fragilité économique et de l’exaspération sociale.
Le Parlement et la Justice ont abdiqué leurs pouvoirs constitutionnels pour se mettre au service du pouvoir. L’Assemblée populaire nationale (APN) s’enfonce dans un discrédit dont elle aura du mal à se relever. Le Conseil de la nation ne reflète en rien la réalité du pays. Il est une dérive de la République. Le Parlement n’est en réalité qu’une maison de retraite lucrative pour cadres des partis politiques. Les tribunaux et cours de justice ne sont pas des lieux où la justice est rendue, mais des instances politiques où le pouvoir juge ses adversaires, plutôt ses ennemis. Les jugements et arrêts ne sont pas des actes de justice, mais des opérations de justice, dans les affaires politiques ou d’opinion, en fonction des consignes données par le pouvoir, par ministre de la Justice et services de sécurité interposés.

Quand la justice est bafouée, les libertés sont en danger. La perte de puissance et de prestige du pouvoir est due en partie à la fracture sociale. Il y a une malvie terrible dans des millions de foyers. Une partie importante du peuple algérien se retrouve en dehors des institutions de l’Etat et n’a d’autre alternative que la rue pour s’exprimer. Il y a une rupture entre, d’une part, une minorité importante jouissant d’un  niveau de vie égal ou supérieur à celui des pays les plus développés, et de l’autre, la majorité de la population, les pauvres, les femmes, les travailleurs, qui ne bouclent pas leurs fins de mois et souffrent de la faim. Le peuple est malheureux, il faut le redire. Une partie du peuple vit dans la pauvreté, végète dans la misère, et le pouvoir qui n’a pas répondu à sa souffrance, à sa détresse, donne encore plus à ceux qui en ont déjà trop, ce qui est le comble de l’injustice. Est-ce que le monde du travail peut vivre, non survivre, avec les salaires distribués ? Libéral en économie, conservateur sur le plan social, le gouvernement mène une politique de plus en plus antisociale.

Les Algériens ne croient pas à la fiabilité des statistiques sur l’inflation, le pouvoir d’achat, le chômage, le nombre de logements réalisés, manipulées à des fins politiques. Le scandale de la corruption est dévastateur. La corruption du clan kleptomane au sommet de l’Etat est telle que c’est le régime politique tout entier qui porte le nom de kleptocratie. Le pouvoir absolu corrompt absolument. Il y a une opacité dans la gestion des revenus des hydrocarbures, qui sont le sang et la liberté du peuple. Il y a gaspillage des fonds publics, incurie des institutions politiques et administratives, prédation de certains dirigeants qui ont rejoint les rangs fournis des prédateurs. La corruption est inséparable de l’exercice du pouvoir. Elle défie l’imagination, est devenue un monde de vie, va du vol simple aux contrats bidons, aux surfacturations et aux grands brigandages financiers. Une caste monopolise l’Etat et ses bénéfices, le transforme non seulement en instrument de domination politique, mais aussi en source de pouvoir économique. Le peuple n’oublie pas et ne pardonne pas. L’impunité doit cesser d’être le privilège des privilégiés.


La marche populaire et pacifique du 12 février 2011 appartient au peuple algérien qui veut être maître de son destin


L’accélération de l’histoire fait que cette marche pour le changement démocratique, qui est une revendication sur laquelle les Algériens et les Algériennes ne peuvent transiger, est une grande avancée politique et sociale, qui ne peut être annulée par les manœuvres du pouvoir qui cherche à isoler les marcheurs, à les diviser et les opposer. Quand on croit à son pays et à son destin, chacun et chacune se bat à la place qui lui revient, pour résister à toutes les anesthésies calculées du pouvoir. Aux manipulations du pouvoir, la réponse des marcheurs sera toute de dignité. Le temps de ce pouvoir est révolu, il doit quitter la scène politique, c’est la principale exigence de la nation. La dictature, une fois créée et consolidée, se permet tout. Le colloque international préparé par 12 associations de femmes, le 25 novembre 2010, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, intitulé «Stop à la violence contre les femmes», a été interdit par le wali d’Alger à la veille de l’ouverture du colloque. C’est un droit à la dignité humaine qui a été bafoué.

Toute expression en dehors des associations créées par le pouvoir pour le servir est interdite. Les jeunes sont en rupture avec le pouvoir qui refuse de les intégrer en tant qu’acteurs de la vie politique, sociale, économique et culturelle, et fait d’eux non pas des citoyens, mais des mineurs immatures. Le divorce est entre le peuple, privé de ses droits, et le pouvoir qui est supposé le représenter et parler en son nom pour l’empêcher de parler.Le pouvoir actuel, qui a annoncé à l’avance, dès son arrivée à la direction du pays en avril 1999, l’avènement d’un régime politique autoritaire, totalitaire, dictatorial, doit faire son examen de conscience, définir ses remords, les retenir, les nommer et les déclarer.
La marche du 12 février 2011 s’inscrit dans la révolution lancée dans la rue, préconisée par le martyr Larbi Ben M’hidi, appartient au peuple et particulièrement à la jeunesse, garçons et filles à égalité, qui sont une espérance pour l’avenir, ou une explosion à venir.
Les jeunes sont la clé de la solution parce qu’ils veulent disposer d’une pleine liberté de conception, d’expression et d’initiative, et leur pensée politique est soucieuse de rigueur et de cohérence. Ils ont du caractère, du courage, des certitudes, une forte sensibilité pour la démocratie, la liberté, la justice, le pluralisme politique syndical et culturel, la solidarité et la justice sociale, sont le thermomètre de la température ambiante politique et sociale. 


Chacun d’eux se sent concerné dans ce qu’il a de plus cher. La jeunesse, qui représente l’espérance, la vie, l’avenir, doit succéder à un pouvoir, dont presque tous les membres ont atteint l’âge de la retraite. Pour que naisse la liberté qui est le droit le plus fort et le plus constant, il faut accepter bien des risques. Toute cause suscite des martyrs qui utilisent cette arme ultime, leur vie, jusqu’au sacrifice suprême.
Le pouvoir, qui sait le nombre d’Algériens morts pour leur pays, ne peut faire mourir son pays pour lui. L’armée ne portera jamais l’infamante responsabilité de tirer sur les jeunes manifestants qui veulent rompre le silence des sourds et la nuit des aveugles, pour être écoutés et entendus.


Le pouvoir ne peut interdire la marche du 12  février 2011, parce que le monde entier pour qui la répression annihile la liberté le jugera comme le théoricien de la violence et le négateur du droit. Une révolution s’annonce et est en marche. Les jeunes et les moins jeunes descendront dans les rues et marcheront, parce que le sentiment d’injustice qui les fera crier vient des tréfonds de la nation. La diaspora algérienne doit être mobilisée et mobilisatrice pour la faire connaître au monde entier tous les événements qui se dérouleront dans leur patrie à partir du 12 février 2012.


Alger le 5 février 2011

Source: El Watan