Comment expliquer l’épuisement que l’on éprouve au sortir d’un ouvrage aussi fastidieux à parcourir ? Comment cautionner un écrit qui justifie la xénophobie quand il ne l’encourage pas ? Faut-il rappeler, par exemple, que les crimes d’honneur obéissent à des codes qui, à l’origine, n’avaient pas de références religieuses ?

Les crimes d’honneur s’inspirent de dogmes sociaux qui font les indécrottables préjugés à l’encontre du genre féminin. Ils répondent à des normes préétablies par les hommes pour légitimer leur domination et préserver un pouvoir institué au profit du système patriarcal. Un système construit de façon machiavélique pour asseoir l’emprise du sexe masculin sur celui que l’on s’évertue à vouloir décrire comme «le sexe faible». Affirmer que les musulmans entre autres ont mis à profit ces redoutables règles de conduite pour conforter leur volonté d’asservir les femmes serait plus juste. Le contraire n’est pas concevable si l’on considère que les codes en question sont aussi vieux que le monde et donc antérieurs à toute recommandation d’essence religieuse. Les relier à une quelconque croyance reviendrait à les réduire à leur plus simple expression. Ils sont autrement plus pervers.
Parallèlement aux femmes qui meurent parce qu’elles ne se conforment pas aux-dits préceptes de l’Islam, combien d’autres sont quotidiennement violentées dans un silence assourdissant ? Tout cela pour dire que les femmes musulmanes ne sont pas les seules victimes de la fureur masculine, de ce presque instinct meurtrier qui s’éveille et s’épanouit sous le regard approbateur de la mère, de la sœur ou de la tante. Volontaire ou non, la confusion que fait Djamila Benhabib entre Islam et violence à l’encontre du sexe féminin reviendrait à vouloir laisser croire que tous les musulmans sont de potentiels violeurs de femmes et égorgeurs de jeunes filles. Des islamistes intégristes, des barbares qui torturent et assassinent au nom d’Allah !
C’est un raccourci tellement aisé qu’il en devient inadmissible. Bien sûr qu’il y a la charia dont le code de la famille s’est inspiré pour avaliser les abus commis à l’encontre des musulmanes, mais il y a aussi cette espèce de schizophrénie masculine qui ne puise son origine d’aucune recommandation religieuse. Faudrait-il rappeler, par ailleurs, que la violence que l’auteure de Ma vie à contre-Coran dénonce à juste titre ne s’exerce pas seulement à l’égard de «femmes occidentalisées ». Le désastre amoindri parce que mis sur le dos de prescriptions coraniques transcende, hélas, le simple fait d’être musulman sinon qu’aurions-nous à dire pour témoigner du sort de ces millions de femmes victimes d’horreurs à travers le monde alors qu’elles n’appartiennent, ni leur conjoint d’ailleurs, à aucune confrérie religieuse ? En Algérie, la barbarie intégriste n’a, et l’on s’en souvient douloureusement, épargné ni les femmes ni les jeunes filles qui portaient le hidjab comme elle n’a d’ailleurs déroulé aucun tapis vert à ces paisibles pères de famille dont le sabre a furieusement tranché la tête au sortir de la mosquée. Si le livre de Djemila Benhabib a le mérite d’exister parce que très documenté même si l’auteure se laisse trop régulièrement aller à des digressions dont elle aurait aisément pu se passer, ce qu’il faut regretter, c’est qu’il ne s’adresse qu’à des lectrices et lecteurs déjà au fait de ce qui y est relaté. Parler de l’Algérie aurait suffi à illustrer tout ce que l’ouvrage s’est épuisé à aller chercher ailleurs. Quand on n’a pas de problème existentiel pourquoi s’en inventer ? C’est tellement inutile ! À moins que ces derniers ne s’avèrent indispensables à la justification du départ ou à l’adoption de soi par les autres ? Fuir le carcan algérien pour ne se revendiquer que comme citoyenne du monde, oui ! C’est même très bien ! Pourquoi culpabiliser, alors, au point de dire : «Je regardais ailleurs pour ne pas trop m’apitoyer sur mon sort» ? S’il est vrai que Ma vie à contre- Coran n’est pas destiné à un lectorat algérien, il faut certainement le lire non seulement pour éprouver cet intense plaisir d’en avoir fini avec mais aussi et surtout pour comprendre pourquoi il a été écrit par cette citoyenne québécoise d’origine algérienne qui pleurniche sur son itinéraire d’enfant gâtée et sa condition de femme privilégiée.
Il s’agit d’une femme «modèle» qui s’est forgée une personnalité juste comme on les aime en Occident. Ces femmes qui viennent de pays musulmans et qui, parce qu’en quête de reconnaissance, crachent plus loin que tous dans la soupe qui les a nourries. Des femmes qui pour mieux être regardées dans leur pays d’adoption empruntent dans un excès de zèle enragé le langage désopilant d’éternels pourfendeurs de l’Islam. J’ai vainement attendu que Djamila Benhabib aborde le combat féministe en Algérie. Rien ! Elle a fui les islamistes ici pour les retrouver au Canada. Les dénoncer là-bas en écoutant Rock Voisine et en s’adonnant au plaisir retrouvé de monter à cheval, c’est tellement plus confortable ! Que vive donc la liberté d’expression propre à l’Occident, mais que vive aussi celle qui fait l’objet de batailles quotidiennes en Algérie. C’est ce combat que beaucoup d’entre nous préfèrent mener. Il est plus excitant ! Et tant pis pour celles et ceux qui s’offusqueraient que l’on puisse défendre l’Islam et Allah sans être un fou de Dieu ni un adepte du foulard. Comme il est agréable de ne pas appartenir au clan !

Source: Le Soir d'Algérie