Qui dit adoption dit enfant abandonné. L’abandon a de tout temps existé, nos mythes fondateurs participent de personnages solitaires ; cela n’a pas empêché l’humanité — en l’absence de maîtrise de la procréation — de s’accommoder du sort réservé aux enfants malvenus, handicapés, fruits d’inceste, de viol ou d’adultère.

En 1972, un séminaire international s’est tenu à Alger sur le thème de l’enfance abandonnée, la tenue 30 ans plus tard d’assises sur le même thème montre la sollicitude des autorités de ce pays envers cette catégorie de population.
La valeur affective de l’enfant n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui, un rapide survol historique des conditions faites à l’enfant illustre de façon éloquente ce fait. L’enfant malvenu était enterré vivant en Perse, immolé en offrande à Carthagène.
En Grèce, le père pouvait d’un simple signe devant témoins signifier l’abandon de son nouveau-né.
A Rome, ce droit était dévolu au pater familias jusqu’à ce que l’Etat romain, en quête de soldats pour ses conquêtes, substituât l’esclavage avec possibilité de libération à l’élimination physique (cf. le cas d’Octave adopté par César (101-44 av. n.e.) et futur empereur auguste).
Il a fallu attendre le VIe siècle (le code justinien, 528/534, et la loi de 553) pour que l’infanticide et les transactions sur les enfants esclaves soient sévèrement punis, puis l’avènement de l’Islam au VIIIe siècle pour que ces pratiques soient interdites à tout musulman (cf le cas de Zaïd Ibn Harath offert comme esclave au Prophète qui l’adopta après l’avoir libéré).
Les premiers hospices pour enfants abandonnés virent le jour en Europe à partir du XIVe siècle et c’est grâce à l’action sans relâche de Saint-Vincent-de-Paul (1581-1660) qu’un peu d’humanisme se fit jour dans la société européenne. C’est après la Deuxième Guerre mondiale et la maîtrise progressive de la procréation que la valeur affective de l’enfant prend un sens.
Un projet sur les droits de l’enfant, proposé par la Pologne en 1953, fut mis de côté, la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) ne vit le jour qu’en 1989 après des années de débat et de multiples réserves pour tenir compte de la philosophie des Etats (qui ne l’ont d’ailleurs pas tous ratifiée). Après des siècles de stagnation en matière de sauvegarde de l’enfant abandonné, la société occidentale s’est progressivement dégagée de l’inhibition religieuse rétrograde qui frappait d’opprobre toute naissance hors mariage et a pu ainsi envisager des solutions au profit de la mère et de l’enfant.
L’action pour promouvoir un véritable humanisme au profit des plus démunis a grandement contribué, pour ce qui concerne l’adoption, à la définition d’une réglementation qui tienne compte des progrès sociaux, des exigences de la modernité et du respect de la liberté des femmes.
Le dernier demi-siècle a enregistré les plus belles pages de l’adoption dans la société occidentale. Il en va tout autrement pour la société musulmane où le code du statut personnel puise ses règles dans les interprétations des écritures sacrées des premiers siècles de l’Islam.
Un bref retour historique permet de saisir les raisons des prescriptions qui ont fondé le droit musulman pour ce qui concerne la famille et l’adoption. Dans la société préislamique jusqu’à l’époque du Prophète, coexistaient deux systèmes d’union, différenciés par le statut de la femme dans chacun d’eux et impliquant des différences fondamentales en matière d’éthique et de droit ; ce sont : le système matrilinéaire et le système patrilinéaire. A l’instar de la religion chrétienne, l’islam a privilégié le système patrilinéaire et a, pour ce faire, opté pour l’institution du mariage.
Il a considéré la famille comme la structure de base fondamentale de la société ; il édicta des principes et des règles pour la protéger contre toute transgression. Selon l’origine de la privation de parents, le droit musulman classe les enfants en 3 catégories : légale (enfants nés dans le mariage), illégale (nés hors mariage) et d’origine inconnue (enfants trouvés). Il laisse cependant toute latitude aux docteurs de la loi pour imaginer les solutions les plus appropriées, propres à garantir la paix sociale.
Ainsi fût fait durant des siècles, dans un esprit de générosité envers la mère et l’enfant, quelquefois au mépris du bon sens pour tempérer les conséquences de la fameuse maxime latine : « dura lex, sed lex » (la loi est dure, mais c’est la loi).
Afin d’éviter les éventuelles controverses relatives à la filiation d’un enfant, le législateur musulman a décidé que tout enfant né d’une mère mariée appartient réellement ou de manière putative au lit du mari, et doit donc être systématiquement inscrit dans sa filiation.
Afin d’écarter autant que faire se peut le doute sur la paternité de l’enfant à naître, il est exigé de la femme veuve ou divorcée de respecter un délai de viduité couvrant plusieurs cycles menstruels avant de pouvoir se remarier.
Afin d’éviter les naissances hors mariage (illégitimes), la polygamie est reconduite et il est recommandé aux parents de marier leurs filles dès la puberté, dès qu’elles sont en âge de procréer.
Les maternités hors mariage sont prohibées, les précautions juridiques sont prévues pour qu’il n’y en ait point et s’il advenait qu’une femme mariée soit enceinte alors que le mari est absent depuis plus de 9 mois, la tradition, confortée par certains imams, permettait le recours à un subterfuge qui consistait à admettre que la grossesse pouvait durer très au-delà de la gestation normale (connue sous l’expression « ragued boumergoud »), jusqu’à 3 ou même 5 ans, selon l’imam Malek. Il en va ainsi des sociétés policées, chacune d’elles engendre des mécanismes régulateurs de tension sociale en fonction de ses valeurs.
On peut considérer l’adoption comme l’un de ces mécanismes qui consiste à pallier les conséquences d’une privation parentale et secondairement l’absence d’enfant. C’est l’enveloppe d’une sauvegarde éthique, dont la forme juridique dépend de la culture et du degré de prégnance des traditions dans le pays considéré à une période donnée. Elle participe de l’éthique d’une société, elle change avec elle et présente de ce fait une dimension historique qui relativise sa conception dans le temps.
Hormis en Tunisie, l’adoption, en tant que sauvegarde avec filiation, est prohibée dans tous les pays où l’Islam est religion d’Etat. Dans ces pays, la sauvegarde de l’enfant privé de famille est conçue différemment selon le degré d’engagement des militants de l’enfance et l’esprit d’ouverture des décideurs.
Aucune œuvre privée de placement n’existe dans les Etats musulmans lesquels sont juridiquement tuteurs des enfants privés de famille jusqu’à ce qu’ils soient confiés en kafala ou tutelle légale. En Algérie, la seule autorité compétente pour ce faire est le wali et, par délégation, le directeur de l’action sociale. L’enfant est confié en kafala après enquête sociale de la famille postulante qui doit le considérer comme son propre enfant et peut, s’il est d’ascendance inconnue, lui donner son nom patronymique par décision du ministère de la Justice ; pour autant l’enfant makfoul (adopté) n’en a pas la filiation ni les attributs (héritage notamment). Seule la kafala judiciaire est recevable pour la concordance de nom, à condition que l’enfant soit d’ascendance inconnue ou que la mère biologique ait préalablement donné son consentement par écrit à ce changement de nom.
La Convention internationale sur les droits de l’enfant, adoptée en novembre 1989 et ratifiée par la quasi unanimité des pays, stipule dans son article 20 alinéa 2 : « Les Etats parties prévoient pour cet enfant (privé de famille) une protection de remplacement conforme à la législation nationale. »
Et dans son alinéa 3 : « Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafala du droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfant, approprié... »
La « fetwa » autorisant le kafil à donner son nom patronymique au mekfoul — ce qu’il est convenu d’appelé la concordance de nom — on le doit à la pugnacité de notre association AAEFAB qui a présenté et âprement défendu cette demande auprès du Haut Conseil islamique à la faculté d’Ijtihad de ce conseil alors présidé par le défunt cheikh Hamani.
Cette disposition fut un encouragement incontestable à la kafala, des milliers de familles kafilate en ont bénéficié.
A l’usage, certains aménagements législatifs s’imposent pour donner son plein sens au décret de février 1992 portant sur le changement de nom. Ainsi en va-t-il de l’inscription du mekfoul sur le livret de famille avec mention marginale du jugement de kafala et de l’irrévocabilité de la kafala, sauf cas exceptionnel de déchéance civique du kafil.
Depuis sa constitution en 1985, Pl’AAEFAB œuvre sans relâche à la réalisation de ses objectifs et à apporter sa contribution malgré les vicissitudes aux efforts des pouvoirs publics pour une meilleure prise en charge de l’enfant privé de famille. Les distinctions et les reconnaissances reçues au plan national et international n’ont pu qu’inciter ses responsables à plus de persévérance. La priorité a été donnée au plus urgent, entre autres à l’accueil des nourrissons abandonnés par la réalisation en 1987 et 1988 de deux pouponnières et d’une école de formation des « berceuses » appelées à les prendre en charge, à la réalisation d’un « abri parental » pour l’accueil des enfants malades en soins lourds et récurrents dans les hôpitaux de la capitale et de leurs accompagnateurs, fruit d’un téléton initié et organisé entre autres par l’AAEFAB, inaugurée en novembre 2000 et récupéré 6 ans après — à notre corps défendant — par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité et à la création d’un centre de ressources qui impulse un réseau euro-méditerranéen, « Prévention et prise en charge de l’abandon ».
L’Institut méditerranéen de la petite enfance (IMPE) — c’est son nom — est destiné aux professionnels, chercheurs, étudiants... Construit à proximité d’Alger dans l’enceinte du Parc d’attractions (PZLA), il réunira tout ce qui se rapporte à la petite enfance, en général, et à celle du bassin méditerrané, en particulier.
L’IMPE est le fruit d’un véritable partenariat Sud-Nord.
Son financement a été assuré (à moitié) par des ONG européennes qui avaient eu l’opportunité d’apprécier le travail et le sérieux de l’AAEFAB et (à moitié) par le service de coopération du gouvernement français et la délégation de la Commission européenne en Algérie. L’IMPE a été inauguré en novembre 2006.
Parallèlement à la prise en charge, l’AAEFAB a œuvré à l’amélioration de la législation relative à l’enfance privée de famille : de menus aménagements ont été apportés dès 1987, mais le plus significatif, de par sa portée et son influence sur la prospérité de la kafala, est le décret relatif à ce qu’il est convenu d’appeler la « Concordance de nom » évoqué ci-dessus. Beaucoup a été fait mais — comme pour toute œuvre humaine — beaucoup reste à faire pour entretenir, améliorer et pérenniser notre action, ce à quoi s’attache avec bonheur et détermination la nouvelle direction de l’association qui a inauguré le 24 mai un cycle intitulé « Kafala café », lequel se propose à intervalles réguliers de réunir les familles kafilate — mais pas seulement — en vue d’échanger et de partager leur expérience.
Je ne peux que souhaiter réussite et longévité à cette conviviale instructive et joyeuse initiative.
*Réactualisation de la communication présentée au colloque de Cordoue (Espagne) en 2001 sur le thème « Maghreb entre passé et avenir, savoir et action ».

Source: http://www.elwatan.com/spip.php?page=article&id_article=81231