Jeudi le 4 août, le gouvernement libéral annonce la nomination de la première femme noire Gouverneure Générale du Canada. Le lendemain, vendredi 5 août, le même Gouvernement annonce la création d'une liste noire de passagers aériens, indésirables au Canada. Jeudi, le Canada est ouvert. Vendredi, le Canada est fermé. Bonjour la dualité canadienne. Néanmoins, au delà des calculs politiques d'un gouvernement minoritaire, la nomination de Michaëlle Jean est un évènement historique qui fait suite à trois autres évènements tout aussi historiques survenus en 2004. L'élection de Maka Koto comme premier homme noire francophone à la Chambre des Communes, l'élection de Yolande James comme première femme noire à l'Assemblée Nationale du Québec et le choix de Luck Mervil comme premier noir québécois nommé patriote de l'année 2004. La nomination de Michaëlle Jean correspond à un mouvement de fond qui dépasse la politique politicienne d'un quelconque parti ou gouvernement. Tout comme la nomination de Condoleezza Rice, celle Michaëlle Jean sera une source de fierté pour les noirs au Canada, à Haïti et ailleurs dans le monde. Une fierté fondée sur l'espoir, pour notamment tous ces jeunes noirs en quête de models positifs. Une fierté dont l'impact devrait bénéficier à tous les canadiens quelques soient leurs origines ou leur couleur de peau.

Certains sceptiques se demandent si la nouvelle Gouverneure Générale, saura se montrer à la hauteur des exigences du poste ? C'est le poste qui devrait, à mon avis, se montrer à la hauteur des exigences de l'équipe formée par Michaëlle Jean et son mari Jean-Daniel Lafond. Il arrive aussi qu'à côté d'une grande Dame, il y'a un homme..! En acceptant ce poste, Michaëlle Jean répond OUI à l'Histoire. Une Histoire qui évolue difficilement, mais sûrement.

Cela dit, j'aurais aimé vivre l'effet de cette bonne nouvelle un peu plus que 24 heures. Ce n'est pas à tous les jours, que les politiciens, nous étonnent. Annoncer la création d'une liste noire de passagers aériens indésirables au Canada est une décision qui fait preuve d'incohérence et d'un total manque de suite dans les idées. Quand on sait de quelles erreurs on est capable au Canada en matière d'expulsion..!
Par l'aveu même du Ministre fédéral du Transport qui en a fait l'annonce, en plus de nous coûter très cher, la création de cette liste noire ne garantira que relativement la sécurité des canadiens contre d'éventuels attaques terroristes. Aucun critère de sélection n'a été révélé et c'est le Ministre lui-même à qui reviendra la décision finale pour chaque nom à ajouter dans la liste, qui sera évidement secrète. D'après l'éditorial de Josée Boileau dans le Devoir de samedi dernier, "Les consultations pour la mise en oeuvre de cette liste ont commencé en mai 2004, son entrée en vigueur n'est pas non plus fixée.. début 2006, a souhaité le ministre.." . Une annonce qui n'annonce rien de concret. En la comparant à celle de la veille, je me sens déjà loin de l'image du Canada et de l'ouverture sur le monde exprimée par le Premier Ministre en nommant la première femme noire au poste de représentante de la Reine.

Mais quelle est la pertinence de dévoiler la création de cette liste noire au lendemain de la nomination de Michaëlle Jean ?

Avec les certificats de sécurité, le gouvernement sait qu'il a passé le test de l'opinion publique pour aller plus loin dans cette chasse aux sorcières. Au nom de la sacro sainte sécurité nationale, on tire dans toutes les directions. Certificats de sécurité, expulsions arbitraires, liste noire, etc. L'affaire Arar et l'affaire Cherfi démontrent à elles seules la panique et le manque de savoir faire des décideurs. Par ailleurs, la peur qu’inspirent les actes terroristes de Londres et de Madrid chez les citoyens est devenue pour certains gouvernements occidentaux, fragiles ou minoritaires, un prétexte pour se faire du capital politique. Ils croient ainsi, se donner une crédibilité qu'ils n'arrivent pas à gagner par des actes plus courageux que celui, par exemple, de créer une liste noire de passagers aériens indésirables.

La cohérence et l'apparence de cohérence, c'est de cela que le Canada a besoin, plus que jamais. Il y'a des gestes symboliques qui valent mieux que n'importe quelle mesure répressive de sécurité. La nomination de Michaëlle Jean, en tant que première femme noire Gouverneure Générale, devrait a elle seule contribuer au renforcement de l'image de tolérance et de paix du Canada. En plus, Michaëlle Jean incarne par son sens de la justice et de la citoyenneté, des valeurs universelles de fraternité. Elle est la fille d'un peuple haïtien qui lutte encore pour sa dignité.

La nomination de Michaëlle Jean aura plus de sens et de cohérence si bientôt le gouvernement canadien procédait à l’établissement d’un moratoire sur la déportation en Haïti. Particulièrement celle des jeunes contrevenants qui ont grandi et construit leur identité ici. Malgré la situation plus que déplorable en Haïti, depuis 1995, le Canada expulse quand même des ressortissants haïtiens en séparant des familles. Combien d'enfants grandissent ici loin de leurs pères déportés là bas. Et si on annonçait également, la fin des cinq certificats de sécurité pour se conformer au principe des procès justes et équitable. Si on régularisait une bonne partie des 400 000 sans statuts au Canada. Si on allait au bout de notre désengagement dans les conflits en Irak et en Afghanistan, non par peur des terroristes, mais par cohérence. Si Michaëlle Jean représente la nouvelle image du Canada, un changement profond, dans les politiques d'immigration et les affaires étrangères, doit accompagner sa nomination.

De toute façon, avec ou sans liste noire, avec ou sans menaces terroristes, avec ou sans séparation du Québec, le Canada sera désormais, de plus en plus, une terre d'accueil pour des millions de nouveaux canadiens. Le mouvement de fond est incontournable. Soyons un peu plus visionnaires et cohérents avec l'avenir. Évitons d'impardonnables erreurs qui pourraient rendre difficile et tortueux la marche d'une société.

Depuis 1867, trois femmes seulement ont été choisies pour occuper le poste de Gouverneure Générale du Canada. Jeanne Sauvé en 1984, Adrienne Clarkson en 1999 et Michaëlle Jean en 2005. Toutes les trois ont fait carrière de journalisme à Radio Canada. Elles proviennent du domaine de l'image et des communications. Mais aussi d'une profession ou la neutralité est la règle d'or. Jusqu'ici, la mission d'un Gouverneur Générale c'est d'être neutre. De ne pas avoir d'opinion partisane. De se montrer aussi sage qu'une image.

Pour une fois, le passage d'une femme, à la tête d'une des plus grandes et coûteuses institutions du pays, sera pour une mission plus grande que l'institution elle-même. Qu'on se le tienne pour dit.

Source: http://www.algeroweb.com