Le Festival international du jazz de Montréal honore le roi du raï

C’est un rythme d’enfer qui a été imposé à Khaled qui, sans s’être remis de son concert de la veille (4 juillet) à Central Park (New York), a dû rejoindre la salle de presse dès son arrivée de l’aéroport Trudeau de Montréal. Il y recevra le trophée Antonio Carlos-Jobim qui le consacre comme artiste s’étant distingué dans le domaine des musiques du monde et dont l’influence sur l’évolution du jazz et des métissages culturels est reconnue.
Le trophée lui est remis par M. André Menard, l’un des fondateurs et piliers de la programmation de cette énorme organisation qu’est l’équipe Spectra qui organise non seulement le Festival international du jazz de Montréal, mais également les Francofolies et Montréal en lumière entre autres.
Cette reconnaissance vient à point nommé pour Khaled, qui poursuit sa tournée mondiale en effectuant un long périple aux Etats-Unis. Le roi du raï devient ainsi le deuxième lauréat à recevoir cette distinction après Ibrahim Ferrer du légendaire groupe cubain Buena Vista Social Club, que le cinéaste Wim Wenders nous a fait découvrir il y a moins de 10 ans.

Montréal, rendez-vous du jazz
En honorant Khaled, ce 26e Festival international du jazz de Montréal (FIJM) rehausse le statut de l’artiste qui n’a eu de cesse depuis le début des années 1980 de tenter d’inscrire son art, le raï, parmi les styles dominants. Pour avoir donné ses lettres de noblesse au raï qui n’était confiné que dans des lieux obscurs, telle une maladie honteuse, Khaled réussit dans sa longue quête à installer dans les sommets ce style qui devient exportable à souhait et apprécié à travers la planète.
En guise de rappel, le Festival international du jazz de Montréal est considéré par ses dimensions et son éventail stylistique comme le meilleur festival de jazz au monde. La programmation effectue un mélange universel où se côtoient la musique traditionnelle, africaine, latine, pop, blues, rock, reggae. C’est le lieu de convergence des plus grands musiciens qui affluent de partout. C’est ainsi que ce festival a été inscrit en 2000 et 2004 dans le livre des records Guinness. Il est également répertorié au 3e rang des entreprises les plus admirées des Québécois. Ses impacts économiques ne sont plus un secret et les retombées sont évaluées à plus de 150 millions de dollars canadiens qui sont injectés dans le circuit commercial montréalais.
Cette année, pas moins de 350 concerts extérieurs gratuits et 150 concerts en salle (dont celui de Khaled et ses invités) sont programmés. Plus de 2 000 musiciens participeront à la grande fête dont Omara Portuondo, Paul Anka, Roberta Flack, Al Jarreau et Michael Bublé (le nouveau crooner que certains comparent à Sinatra) pour ne citer que ceux-là.
Et comme pour s’illustrer dans l’originalité, le FIJM innove encore cette année en laissant une place de choix aux enfants, encadrés par des accompagnatrices, qui, tous les jours et par centaines, convergent vers le site du festival et participent assidûment à la «Petite école de jazz» spécialement aménagée au sein du Complexe Desjardins sur le site du festival et qui rappelle étrangement Riadh El Feth d’Alger, car en tout point, il en est la copie conforme, à la différence que ce lieu qui jouxte le Place des Arts, poumon culturel de Montréal, est vivant !
Ainsi, même les enfants bénéficient de la mission didactique du festival, car les organisateurs ont compris que cette frange de la population constitue une véritable pépinière pour la culture, la musique et toutes les formes d’expression de l’art. On les familiarise avec les instruments de musique, les musiciens se prêtant eux-mêmes au jeu, de bonne grâce et participant ainsi à façonner le goût des enfants. Cette activité est une partie intégrante du festival, puisqu’elle se déroule tous les jours avec l’appui des plus grands noms de l’industrie de la pratique musicale.
En effet, un salon des instruments de musique et des musiciens, commandité (sponsorisé) par une grande marque de constructeur automobile nord-américain, se tient du 7 au 10 juillet et a pour mission de promouvoir la pratique musicale sous toutes ses formes. Ce salon qui se déroule sur le site du festival se donne comme objectif d’appuyer la formation de musiciens, qui auront à cœur de faire valoir la musique et contribuer également à la conservation et au rayonnement du patrimoine musical mondial.

Khaled enflamme le Métropolis
La programmation du concert de Khaled le 5 juillet n’est pas un cadeau fait à l’artiste, car en cette même soirée et au même moment se déroulait le principal événement public du FIJM : le concert gratuit qui regroupe généralement plus de 100 000 spectateurs.
Dès lors, remplir le Métropolis avec ses 1 500 places constituait une gageure, car les prix affichés et la proximité du lieu de ce grand spectacle de mi-parcours du FIJM étaient un double défi pour Khaled, défi que le King relèvera puisque son concert s’est déroulé dans une salle comble avec un public bruyant, et même quelque peu indiscipliné.
Justement, les spectateurs non avertis ne se doutaient pas que la tournée de Khaled en Amérique du Nord est originale en ce sens où elle est faite en compagnie de plusieurs artistes qui se sont partagé la scène et se sont succédé tout au long d’une soirée de quatre heures.
Au cours de la conférence de presse qui a suivi la remise du prix, Khaled avait annoncé des surprises pour la soirée car ses invités ne sont pas des inconnus sur la scène artistique et ont taquiné la scène en compagnie de grands artistes tels que Carlos Santana.
Prévu à 21h, le spectacle a débuté par l’entrée en scène du célèbre DJ Cheb I. Sabbah, qui est ce compatriote résidant sur la côte Ouest des Etats-Unis et qui a réchauffé la salle avec des airs remixés de Cheikha Rimiti et de nombreux airs traditionnels algériens dont du tindi remixé en studio. Cette entrée en matière fera redoubler d’ardeur les spectateurs qui appelleront Khaled en vain, puisque c’est Ellan, cet autre artiste américano-marocain qui occupe la scène une trentaine de minutes avant que Khaled n’y entre et mette le feu avec ses anciens tubes (N’ssi N’ssi, Bakhta, Wahran, Abdelkader et l’inévitable Aïcha reprise en chœur par les spectateurs). L’interprétation de quelques morceaux de son nouvel album Ya Rayi n’a pas provoqué l’engouement des spectateurs qui montraient plus d’intérêt pour ses anciens tubes. A plusieurs reprises, Khaled est même interrompu pour donner l’accolade à ses fans qui envahissent la scène. Les services de sécurité jusque-là surpris et débordés redoublent de vigilance et font face aux assauts répétés des spectateurs attirés par leur idole. Les impressionnants agents chargés de la sécurité garderont certainement un souvenir de cette longue soirée qui ne prend fin qu’à une heure du matin et après quatre heures d’un spectacle où la présence des cuivres donnait la nécessaire touche de jazz au raï de Khaled, cet ambassadeur de la FAO, dont la générosité légendaire a permis aux spectateurs patients de passer une très belle soirée où le nombre impressionnant de drapeaux algériens nous rappelle que c’était une journée de réjouissance que ce 5 juillet, jour de fête de l’indépendance et de la jeunesse de notre pays.
Si Khaled n’a pas réalisé sa meilleure prestation, comparativement à ses précédentes sorties sur cette même scène rénovée du Métropolis, il pourra cependant s’enorgueillir de retourner en France, avec en poche un trophée de valeur et d’avoir affronté une soirée de gala gratuite se déroulant à quelques dizaines de mètres et qui a regroupé malgré les impressionnants orages plus de 50 000 spectateurs.

Source: http://www.latribune-online.com/1007/culture.htm