Roman émouvant, troublant, dur, La Revanche de May a pour cadre l'Algérie des années 1930 pendant la colonisation française et celle de la décennie noire (1990-2000). Journaliste et écrivaine algérienne, Nassira Belloula s'attache au sort des femmes victimes du poids des traditions et du fanatisme religieux dans son pays.



La Revanche de May explore des tragédies féminines cachées, étouffées, muettes. Peu d'écrivains s'engagent avec une telle foi dans le romanesque et ses pouvoirs pour poser les questions qui font mal. Tendu sur le fil d'une mémoire blessée, ce récit chauffé à blanc atteint un degré de tension à la hauteur du propos.

Alger, 1998. Pour fuir la terreur sanglante qui s'abat sur son pays, une journaliste se réfugie dans l'écriture, l'unique planche de salut pour elle. Un jour, elle se voit confier un carnet jaune par un vieux marchand de livres ambulant. Bouleversée par ce manuscrit qui relate les histoires douloureuses de plusieurs femmes dont les blessures n'ont été ni adoucies ni guéries avec le temps, elle s'interroge. Qui est May, née en 1930, violée par son cousin à l'âge de 14 ans, qui a donné naissance à un garçon qu'elle n'a jamais revu, victime d'une société «cadenassée dans les moeurs d'un honneur tribal»? Qui est Rosa, la femme aux rêves brisés, donnée en mariage à un «fou d'Allah» durant les années les plus sombres du terrorisme? Qui sont ces autres femmes, Nada, Ouiza, Aïcha, Houria, passionnées, rebelles, traversées de bouffées de colère? Quel lien unit ces femmes? Qui est donc l'auteur de ce manuscrit? Et voilà que le marchand de livres insiste pour qu'elle retrouve Ayla, un enfant abandonné qu'il a autrefois hébergé. Désireuse d'éclairer tous ces mystères, elle se lance dans une enquête sur les enfants de la rue d'Alger, orphelins à l'existence misérable, aux coeurs durcis par trop de privations.

Dotée d'un sens du romanesque, l'auteure multiplie les énigmes, sème des indices tout au long de son récit et finit par installer un véritable climat de suspense. Roman à l'architecture narrative complexe — personnages et histoires se chevauchent, s'enchevêtrent —, La Revanche de May a de la tenue intellectuelle et de la retenue émotionnelle. Sans forcer le ton, sans pathos, Nassira Belloula décrit le bourdonnement intérieur de ses personnages habités par le chagrin et la révolte.

Écrire est un engagement contre tous les silences. La littérature fait partie des moyens que la romancière, récemment installée à Montréal, s'est donnés pour dénoncer toutes les formes d'obscurantisme qui maintiennent les femmes et les enfants abandonnés de son pays dans un «exil intérieur». Le pouvoir d'ébranlement de la littérature est d'autant plus vital qu'aujourd'hui, plus que jamais, des écrivains comme Nassila Belloula sont investis d'un rôle «d'ouvreur de conscience». La Revanche de May, d'abord publié aux éditions Enag (Alger, 2003), est réédité aux éditions de la Pleine Lune. Heureuse initiative de la petite maison d'édition, qui entrouvre un passage. En espérant que le lecteur, en le parcourant, se sentira interpellé par cette écriture émouvante et d'une grande force évocatrice.

Source: Le Devoir