Le Canada reste toujours silencieux, près d’une semaine après l’arrestation, samedi dernier à Constantine, en Algérie, d’un de ses ressortissants, emprisonné pour délit d’opinion par le régime répressif en place.

Lazhar Zouaïmia était de passage en Algérie pour une visite familiale. Militant actif en faveur du Hirak, ce mouvement populaire appelant depuis deux ans à la démocratisation du pays, il a participé à plusieurs des rassemblements hebdomadaires tenus à Montréal depuis 2020 par la diaspora algérienne en soutien à cette révolution pacifique dite des sourires.

Sa famille se dit anéantie par cette arrestation, qu’elle juge « injuste » et « arbitraire ».

« Je suis sans mots et sous le choc », laisse tomber à l’autre bout du fil Fatima Benzerara, sa femme, professeure de mathématiques dans une école de Montréal, qui dit ne pas « comprendre comment [sa] vie a […] pu basculer de la sorte ». « Lazhar est un citoyen irréprochable. Tout ce que je veux aujourd’hui, c’est que le gouvernement canadien aide mon mari à rentrer à la maison. »

M. Zouaïmia, qui travaille comme technicien expert à Hydro-Québec, a été arrêté par des agents en civil à l’aéroport de Constantine, au nord-est de l’Algérie, le 19 février dernier, alors qu’il s’apprêtait à prendre un vol vers Alger pour ensuite revenir à Montréal.

Écraser la contestation populaire

Il a été présenté mardi devant un juge d’instruction du tribunal de Constantine pour répondre à une dizaine de chefs d’accusation. Le régime en place, qui a intensifié depuis plusieurs semaines sa répression contre les opposants politiques à son autoritarisme, l’accuse entre autres de faire « l’éloge des actes terroristes à travers la technologie des médias et de la communication » et de « soutenir et appuyer un groupe terroriste ».

Ces formulations abusives et lourdement chargées en Algérie — qui a été frappée par la violence du terrorisme durant la décennie noire, à la fin des années 1990 — sont utilisées à dessein par les militaires au pouvoir en Algérie pour discréditer et écraser le mouvement de contestation populaire.

Depuis juin dernier, une réforme du Code pénal algérien leur permet d’assimiler à du « terrorisme » et à du « sabotage » tout appel à « changer le système de gouvernance par des moyens non conventionnels ».

Pour sa femme, Lazhar Zouaïmia est surtout un citoyen engagé, militant pour Amnistie internationale, qui n’a rien fait de plus que de participer à des manifestations à Montréal contre le pouvoir cacique algérien et d’afficher son opposition politique sur les réseaux sociaux.

Dans les pages du quotidien d’information L’Avant-Garde Algérie, un média progressiste, Lazhar Zouaïmia est décrit par son frère, Larbi, comme un laïc défenseur du mouvement prodémocratie qui était de passage en Algérie afin d’y inaugurer une fontaine construite dans sa région natale de Sédrata à la mémoire du fils du Canadien, Mehdi, décédé subitement à l’âge de 21 ans en 2020.

L’assistance d’Ottawa

Mardi, l’ambassade du Canada en Algérie a été informée par la famille de l’arrestation de M. Zouaïmia, mais vendredi, la mission consulaire canadienne n’avait toujours pas pris contact avec sa femme, à Montréal, qui n’a pas pu parler à son mari depuis son arrestation. Elle dit vivre dans « l’angoisse » de ce silence depuis.

Vendredi, Affaires mondiales Canada a indiqué être « en contact avec les autorités locales afin de recueillir d’autres renseignements et [de fournir] une assistance consulaire », a indiqué une porte-parole, sans plus de détails. Le ministère recommande également aux Canadiens « de faire preuve de grande prudence en Algérie, et d’éviter tout voyage et tout voyage non essentiel dans certaines régions du pays ». Le cabinet de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, n’a pas voulu faire de commentaires.

Hydro-Québec, pour sa part, dit être en contact avec la famille de son employé et assure suivre la « situation de près, notamment par l’entremise de [ses] équipes de ressources humaines et de sécurité corporative », a indiqué Cendrix Bouchard, porte-parole de la société d’État.

La répression en cours contre les militants du Hirak a entraîné l’arrestation de plus de 300 Algériens dans les derniers mois, et ce, alors que le mouvement célébrait cette semaine son troisième anniversaire. Les manifestants ordinaires, les chefs des partis d’opposition et les journalistes sont ciblés par ces arrestations arbitraires.

« Nous avons perdu notre capacité à nous exprimer, a déploré le militant algérien Hakim Addad la semaine dernière en entrevue au Devoir. Un simple post sur Instagram peut vous conduire en prison. »

Fin janvier, 40 de ces prisonniers détenus dans la prison d’El-Harrach, à Alger, ont d’ailleurs déclenché une grève de la faim pour dénoncer la violence de leur détention provisoire, qui s’étire dans l’attente de leur procès, et surtout l’absurdité des accusations auxquelles ils font face.

Le gouvernement d’Abdelmadjid Tebboune n’hésite plus à s’attaquer à l’opposition exprimée par des Algériens établis à l’étranger et citoyens d’un autre pays. Depuis décembre, il a notamment arrêté au port d’Alger un ressortissant belge, Rachid Touam, et un ressortissant français, Amar Zebar, pour leur engagement dans la révolution des sourires.

Début février, l’organisation Amnistie internationale a vertement dénoncé ce nouveau cycle de répression en Algérie, qui a conduit à la suspension « temporaire » du Parti socialiste des travailleurs (PST), un parti d’opposition soutenant le Hirak, mais également à la condamnation de Fethi Ghares, coordinateur du Mouvement démocratique et social (MDS), une institution dans le paysage politique algérien.


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