Les bénévoles du restaurant Le Goût du Bled ont préparé et distribué gratuitement près de 40 000 plats pendant le mois du ramadan qui vient de s'achever.
Le mois du ramadan, qui s’est achevé mardi dernier, restera gravé dans la mémoire de certains Montréalais dans le besoin.
Pendant les 30 jours de ce mois de jeûne pour les musulmans, près de 40 000 plats ont été distribués gratuitement par le restaurant Le Goût du Bled, soit environ 1200 par jour.
Derrière cette opération se trouve une femme, Meryem Zemouri, aidée par une armée de bénévoles. En entrevue avec Radio Canada International, celle qui est copropriétaire des lieux avec son mari affirme qu'elle a toujours rêvé depuis son enfance de réaliser ce genre d’action avec des associations dans son pays d’origine.
Mais ce n’est qu’en immigrant au Canada que le rêve est devenu réalité pour cette femme originaire de Chlef, en Algérie. "Comme vous savez, chez nous, le travail associatif est affaire d’hommes", lance-t-elle en souriant.
Il y a environ sept ans, désireuse de faire quelque chose pendant le ramadan, Meryem Zemouri a convaincu son mari d’aller proposer à un centre communautaire du quartier, BADR, de la laisser organiser une distribution d’iftar [repas pour rompre le jeûne, NDLR].
L’opération, bien que modeste, a été un succès, selon elle. Elle lui a permis de créer un premier noyau de bénévoles qui a poursuivi avec elle l’aventure, qui a pris une autre tournure par la suite.
Le groupe "informel", insiste-t-elle, s'est créé une page Facebook et s'est appelé : "El Yed Fel Yed Montréal" ["Main dans la main Montréal" en arabe]. Ce nom s'inspire de celui d’une célèbre émission de télévision algérienne d’aide aux personnes dans le besoin comme les orphelins ou les sinistrés.
Pendant le ramadan, le groupe organisait des distributions de repas en sollicitant les dons de la communauté. Il restait actif les autres mois de l’année sous forme d'espace d’échanges de biens et faisait la liaison entre les gens qui avaient besoin d’aide et ceux qui étaient prêts à aider.
"Il y a quatre ans, quand nous avons, mon mari et moi, ouvert ce restaurant, je lui ai dit : "Le ramadan, c’est pour moi.""
Une citation de Meryem Zemouri, copropriétaire du restaurant Le Goût du Bled
La première année, le nombre de paniers distribués oscillait entre 250 et 500. "Dieu merci, les gens nous ont fait confiance. Nous recevions des dons", se rappelle-t-elle.
"On trouvait que c’était beaucoup, car nous avions une petite cuisine", explique Meryem Zemouri, qui affirme que depuis qu’elle utilise le sous-sol du restaurant, l’équipe de bénévoles a pu atteindre les 1200 repas préparés par jour.
Le total se rapproche de 40 000 sacs-repas distribués gratuitement. Et cette opération engendre des coûts qu’elle a pu couvrir grâce aux dons en argent ou en aliments (viandes, légumes et autres denrées pour préparer les plats) de particuliers.
De fil en aiguille
C’est grâce aux réseaux sociaux et au bouche-à-oreille que les gens ont commencé à entendre parler de ce que fait Meryem Zemouri pendant le ramadan.
Son public est composé d'auditeurs de Zoom Montréal 213, diffusé sur la radio multilingue CFMB 1280, et d'abonnés à la page Facebook du restaurant, qui est suivie par près de 25 000 personnes.
Sur TikTok, une vidéo qui compte près de 27 000 visionnements montre une longue file — qui fait le tour du quadrilatère! — de personnes qui attendent leur tour pour prendre les sacs-repas préparés par les bénévoles.
"Les gens qui viennent chercher les paniers sont généralement de jeunes étudiants internationaux ou des personnes seules, des femmes monoparentales et des familles en visite au Canada avec des visas et qui n’ont pas encore décidé de rentrer", dit Meryem Zemouri.
"Les années précédentes, nous avions plus d’étudiants. Mais cette année, il y a beaucoup de visiteurs avec visas qui ont fait un changement de statut et qui n’ont pas le droit de travailler au Canada et ne trouvent pas de logements."
Une citation de Meryem Zemouri, copropriétaire du restaurant Le Goût du Bled
Selon elle, ces personnes ont eu des visas l’année dernière grâce à l’assouplissement temporaire des exigences pour les visiteurs temporaires au Canada. (nouvelle fenêtre)
"Certains influenceurs sur les réseaux sociaux font miroiter une vie facile au Canada et poussent les gens à venir sans planification. Et ils finissent par se retrouver dans des situations précaires", explique-t-elle.
Meryem Zemouri estime que les autorités canadiennes doivent trouver un moyen d’intervenir pour contrer cette désinformation.
Elle ajoute qu’elle charge aussi des bénévoles de faire quelques livraisons pour des personnes en situation de handicap et des personnes qui accompagnent des membres de leur famille à l’hôpital.
Le panier contient une chorba (soupe), une salade, des bourek (rouleaux), un plat principal et un dessert. Pour le plat principal, Meryem Zemouri alterne entre sept variétés de spécialités algériennes pour boucler la semaine, un peu comme elle le fait lorsqu’elle établit le menu hebdomadaire de sa garderie dans l’arrondissement de Verdun.
Pour être proche du restaurant pendant le ramadan, elle a loué un appartement. Cela lui permet d’être sur place à 7 h.
Elle trouve les ingrédients des plats de la journée déjà préparés pour la cuisson et supervise les opérations.
Bénévoles
La distribution des sacs commence à 16 h 30. La salle à manger du restaurant se transforme en comptoir où s’activent les bénévoles qui accueillent les bénéficiaires, qui forment parfois une longue file d’attente.
Vers 19 h, Meryem Zemouri rentre chez elle pour rompre le jeûne et se reposer un peu. Elle revient par la suite pour superviser l’équipe des bénévoles du soir, qui arrive vers 22 h 30 et finit son quart de travail à l’aube, heure du début du jeûne de la journée suivante.
"Nous avons 25 bénévoles pendant le jour et une quarantaine pour la nuit", explique celle qui est arrivée au Canada avec son mari en 2009.
Nassima fait partie des bénévoles de la première heure. "Je suis avec Meryem depuis huit ans", mentionne celle qui aide aussi bien dans la cuisine que dans la gestion.
Elle dit avoir remarqué elle aussi une augmentation du nombre de personnes en visite au Canada qui demandent de l’aide, généralement des Maghrébins.
Brahim est étudiant à la maîtrise en génie industriel. Il a embarqué dans l’aventure il y a deux ans.
"Au début, je voulais juste partager mon iftar avec des gens de la communauté comme je vivais seul. Puis, j’ai vu que le restaurant avait besoin de bénévoles pour cette opération, alors j’ai proposé d’aider", dit-il.
"J’ai commencé par la coupe des oignons. J’ai pleuré beaucoup le premier jour!", se souvient-il, amusé. Il aide actuellement à la coordination et commence à 7 h.
Visibilité
Plusieurs médias se sont intéressés cette année à l’opération de distribution de repas gratuits. Que ce soit de grands médias comme CBC, La Presse ou des médias communautaires, plusieurs reporters — parfois accompagnés de toute une équipe de tournage — sont venus visiter le restaurant.
Lors de la visite de Radio Canada International, les bénévoles et Meryem Zemouri étaient déjà habitués aux questions des journalistes.
"L’intérêt des médias ne me dérange pas. C’est bon pour notre communauté et son image. C’est une fierté", conclut-elle.
Ce reportage est également disponible en arabe.