Faute de norme commune, n'importe quel producteur peut aujourd'hui coller ce label rituel sur son emballage. Rien d'étonnant à ce que nous y ayons trouvé du porc.

Musulmans, on vous ment  ! Vous avalez peut-être du porc à votre insu. C'est ce que démontre le test exclusif que nous avons commandé au laboratoire Histalim. Trois des 42 échantillons strictement halal que nous lui avons donnés à analyser comportent du cochon. Ce qui fait tout de même 7% du total. Oh, certes, on ne parle pas ici d'un morceau de jarret coincé dans le steak haché. Juste de traces d'ADN porcin (0,1% du poids total) sans doute dues à une contamination de la chaîne de production.

"C'est dérisoire", soupire le producteur de saucisson de boeuf fumé contrôlé positif, depuis son établissement de Seine-Saint-Denis. Peut-être, mais 0,1%, c'est déjà trop pour les plus pratiquants. "C'est très grave, estime Hanen Rezgui Pizette, la présidente de l'association de consommateurs musulmans Asidcom. Si l'abattoir dédie une ligne de production au halal ou la nettoie intensivement avant de l'utiliser, il ne doit pas y avoir de porc."

Les non-musulmans auraient tort de prendre ces histoires cochonnes à la légère. Estimé à 4,5 milliards d'euros par le cabinet spécialisé Solis, le marché du halal rivalise aujourd'hui avec celui du bio. Longtemps cantonné aux boucheries indépendantes, il a envahi les rayons des supermarchés, où ses ventes progressent trois fois plus vite que la moyenne depuis 2012, selon Iri. Charcuterie, surgelés, mais aussi bonbons, vins ou rouge à lèvres, tous les linéaires sont concernés. Les grands industriels comme Fleury Michon, LDC ou Maggi, de même que Casino, Carrefour ou Leader Price, ont créé leur marque ou leur gamme dédiée pour rivaliser avec les acteurs spécialisés que sont Isla Délice ou Isla Mondial.

Malheureusement, ce boom économique n'a pas mis fin aux pratiques artisanales et aux divisions qui gangrènent le halal et désorientent le client. Premier problème, la certification. En théorie, l'abattage halal doit être réalisé par un musulman qui, tout en prononçant les mots "Bismillah Allahou Akbar" ("Au nom de Dieu le plus grand"), oriente la tête de l'animal vers La Mecque et lui tranche le cou. Pour prouver qu'elles respectent ce rituel, les marques passent contrat avec des organismes de contrôle, dont elles apposent ensuite le tampon sur l'emballage.

 



L'ennui, c'est qu'aucune norme n'encadre cette vérification. "N'importe qui peut s'improviser certificateur", témoigne Abbas Bendali, du cabinet Solis. Et tous ne font pas bien leur travail. "Pour notre part, nous ne nous contentons pas de délivrer un cachet une fois pour toutes, précise Kamel Kabtane, le recteur de la grande mosquée de Lyon, dont l'association ARGML certifie Isla Délice, Labeyrie ou Quick. Nos 80 contrôleurs, salariés chez nous, surveillent la traçabilité tout au long de la chaîne." Bien sûr, tout cela à un coût. "Jusqu'à 13,5 centimes le kilo de viande rouge et de 2 à 4% du chiffre d'affaires pour la volaille, dévoile Fouad Imarraine, pour AVS, un autre organisme, réputé sourcilleux. Mais beaucoup de nos concurrents n'hésitent pas à casser les prix en contrôlant moins."

Certains semblent en effet moins regardants. Les lardons de volaille et le saucisson de boeuf piquant dans lesquels nous avons trouvé du porc sont par exemple respectivement labélisés par la mosquée d'Evry et CPH. Le point commun de ces certificateurs  ? Les contrôleurs sont salariés du client. Pas le meilleur gage d'indépendance. "Notre ligne de production est nettoyée intensivement avant chaque abattage halal et nos analyses ADN sont toujours négatives", se défendent en choeur les dirigeants de ces marques.

Même la prestigieuse mosquée de Paris n'est pas claire. En janvier, elle a envoyé un courrier alarmant à ses clients pour leur annoncer sa rupture avec son certificateur après avoir constaté un manquement. Rétropédalage en avril : finalement, elle conservera son partenaire jusqu'en 2019  ! Pire, certains bouchers se passent carrément de certification. "Beaucoup achètent la viande la moins chère à Rungis, puis mettent un tampon halal dessus", dénonce Hanen Rezgui Pizette.

Divisée sur le niveau de contrôle, la communauté musulmane l'est aussi sur un autre point crucial  : l'abatteur rituel peut-il étourdir les volailles avant de les sacrifier (cela augmente les cadences), bien que le Coran l'interdise  ? Les avis sont tranchés. Oui pour la volaille, répondent les mosquées de Paris, d'Evry ou de Lyon. Non dans tous les cas, rétorque Fouad Imarraine, du certificateur AVS, très à cheval sur le respect du rite.

Voilà pour l’ambiance. Pour le reste, les rumeurs sur le halal relèvent souvent du fantasme. La souffrance animale  ? Même sans étourdissement, les sacrificateurs bien formés seraient capables de l'atténuer. L214, l'association qui a diffusé les vidéos chocs des abattoirs de Mauléon, du Vigan et d'Alès, ne met d'ailleurs pas le halal en accusation sur ce point. "Il n'y a pas de façon respectueuse de tuer les bêtes", grince Brigitte Gothière, cofondatrice du réseau. La viande halal imposée en douce aux non-musulmans  ? Les dernières études sérieuses ont montré que 14% du tonnage de viande français était concerné, un taux à peine au- dessus de la consommation officielle. Un décret de 2011 impose d'ailleurs aux fabricants de justifier d'une commande pour pratiquer l'abattage rituel. Enfin, les certificateurs reversent certes une partie de leurs recettes aux mosquées, jusqu'à 30% dans le cas de Lyon. Mais il n'a jamais été prouvé que cet argent ait financé des filières radicales.

LE TEST QUI ACCUSE

Mi-avril, nous avons acheté 42 produits alimentaires halal dans différentes boucheries et grandes surfaces d’Ile-de-France, puis nous les avons confiés à Histalim, un laboratoire français de détection d’espèce animale. Ce dernier est capable de déceler la présence de porc à partir d’un seuil de 0,1%, soit 1 gramme par kilo. Et il en a trouvé dans  trois articles. Fondée par des étudiants de l’Edhec, la société Halal-Test propose également des tests de présence de cochon, vendus en ligne.

Source: Capital.FR - 24 juin 2016