L’exploitation malicieuse du sujet des accommodements raisonnables par certains a complètement faussé la tournure du débat, alors que la nature du problème et sa pertinence sont d’une importance primordiale pour une société multiculturelle comme la nôtre.

Certains politiciens en quête de capital et de visibilité à la veille de joutes électorales ont en fait un fond de commerce sans avoir la candeur et la maturité tant exigées de futurs leaders. Ce sujet a ouvert, pour d’autres, le champ à un défoulement où des sentiments xénophobes refoulés depuis belle lurette ont explosé sans gêne ni retenue, réconfortés par le soutien des «60% de sondés qui se déclarent racistes».

Même si dans cette frénésie dominante, des réflexions plus sensées et argumentées ont un tant soit peu atténué la frivolité du débat, leurs voix sont restées presque inaudibles car des apprentis commentateurs, des journalistes charlatans et des animateurs de télévision bouffons ont monopolisé la scène par leur médiocrité. Ainsi le sensationnalisme a pris le dessus sur le traitement d'enjeux sociaux capitaux avec tout le recul, l’éthique et le professionnalisme exigés. Les défis réels que vit cette immigration ont été réduits à des faits divers plus racoleurs que les problèmes de fond que cette catégorie de citoyens rencontre dans son intégration et les contraintes qui entravent ses ambitions.

Le néo-québécois en tant que citoyen et électeur aimerait que ses représentants politiques s’attardent davantage sur ses problèmes d’emploi, de pauvreté, de logements, de discrimination et d’intégration que sur l’épaisseur de la vitre d’un gymnase. Et pourtant, ce ne sont ni les problèmes, ni leur gravité qui manquent, encore moins l’urgence de s’y intéresser. Le tableau socio-économique de cette catégorie est peu reluisant. À titre illustratif, les statistiques gouvernementales font ressortir la fracture qui sépare les communautés ethnoculturelles en matière de chômage du reste de la population de la province, un écart qui va du double au triple: communauté algérienne 28% de chômage, maghrébine 24,1%, africaine 21,2%, sud-asiatique 17,3%, haïtienne 15,9% et latino-américaine 14,1%.

Le comble de la contradiction est que ces néo-québécois ne manquent ni d’atouts académiques, linguistiques ou professionnels, parfois même dans des secteurs en souffrance de main-d’œuvre (alors que le déficit des médecins de famille se chiffre environ à 800 au Québec, quelques 1000 médecins diplômés de l’extérieur seraient sans-emploi. En effet, la population immigrante se distingue par son niveau de formation et d’éducation qui dépasse la moyenne québécoise. Deux personnes sur cinq (38,4%) d’origine maghrébine détiennent un grade universitaire, 25,1% de québécois d’origine mexicaine, 15,3% de latino-américains et enfin la communauté noire présente un profil relativement semblable à celui de l’ensemble du Québec à savoir 14%.

On a souvent tendance à mettre à l’avant l’argument de la non maîtrise de la langue française pour expliquer le sous-emploi chez les néo-québécois. Il faut relativiser cette justification car dans plusieurs cas ce motif sert plutôt d’échappatoire afin d’occulter d’autres causes plus subjectives et diffuses (obstacles liés à la reconnaissance des acquis, à l'accès aux professions régies par les ordres professionnels, à la discrimination ethnique sournoise et aux perceptions négatives de certains employeurs envers les immigrants).

D’ailleurs, les données officielles témoignent que la langue française se porte à merveille au sein de plusieurs groupes d’immigrants où le taux de connaissance de la langue française est presque total : 97,7 de la population d’origine algérienne, 97,8% haïtienne, 96,5% nord-africaine, 89,6% latino-américaine, et 84,8 % africaine.

Certains secteurs, qui constituent pourtant la vitrine de cette diversité culturelle québécoise dont s’enorgueillissent tant les politiciens toutes tendances confondues, sont complètement hermétiques aux «minorités visibles». Les medias (ceux-là mêmes qui font des accommodements leurs choux gras), la fonction publique (seulement un petit 2,5% de l’effectif de la fonction publique québécoise est issu des minorités ethnoculturelles) et les institutions politiques ont un grand défi à relever et un retard à rattraper en ce domaine par la diversification de leur effectif et la mise en place d’une politique juste, ouverte et objective de recrutement qui ne se contente pas seulement de «l’ethnique de service» pour se donner bonne conscience.

L’immigration, c’est cette réalité regrettable que les chefs politiques font semblant d’ignorer en s’entredéchirant sur des sujets secondaires. Qu’ils orientent leur regard sur ces vérités plutôt que sur la chronique des faits divers des journaux ! La situation de l’immigration mérite une approche plus rigoureuse et courageuse, une stratégie globale d’intégration qui prendrait en compte l’ensemble des défis que pose cette catégorie de citoyens, allant de la précarité et du sous-emploi à la pauvreté chez les enfants et la marginalisation des femmes immigrantes.

L’intégration est une oeuvre commune à double sens et une volonté conjointe entre le nouvel arrivant et la société d’accueil. Les droits créent aussi des responsabilités et tout manquement d’une part ou d’autre entraverait cette intégration. Par conséquent, l’échec serait double, pour la société d’accueil qui n’aurait pas réussi à remplir ses obligations envers ceux et celles qu’elle a «adoptés» et pour l’immigrant, qui voit ses attentes et ambitions, minimes soient telles, évaporées à cause de sa marginalisation socio-économique qui risquerait de se traduire alors par une frustration sociale, un repli identitaire et un renforcement du sentiment communautariste.

Il incombe aux chefs de partis en lice et au microcosme politique d’inclure dans leurs préoccupations ces enjeux fondamentaux et de laisser aux membres de la Commission sur les accommodements raisonnables le soin de remplir leur mission avec sérénité.

Source: http://www.cyberpresse.ca/article/20070320/CPOPINIONS/70320048&SearchID=7327724037235