L’actualité chaude au monde arabe s’est invitée jeudi dernier à l’université du Québec à Montréal  lors d’une conférence organisée par l'Observatoire sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord et par la la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.



Miloud Chennoufi,  professeur au Collège des forces royales de Toronto a mis en garde l’opposition tunisienne contre les risques de cette période de transition après la chute de Benali.  "Les luttes intestines au sein de l’opposition vont profiter au régime", a tenu à souligner celui qui a exercé le métier de journaliste en Algérie. 

Il a rappelé qu’en Algérie post-octobre 1988, l’ouverture démocratique n’a pas été exploitée pour la mise en place d’institutions de transition pouvant mener à un apprentissage démocratique. Les partis se sont lancés rapidement dans une bataille sur des projets de sociétés. Plusieurs erreurs ont été "sciemment" commises par le pouvoir dont la légalisation de partis islamistes radicaux, rappelle celui qui pense que la légalisation de partis islamistes modérés aurait suffi.

Le pouvoir algérien, machiavélique qu’il est, croyait qu’en autorisant les partis islamistes radicaux, l’attention allait se polariser sur eux et les gens finiraient par lui revenir. Ajouté à cela un mode de scrutin qui a fait que 3 millions de voix sur 13 millions d’inscrits ont permis un raz de marrée islamiste lors des élections législatives de 1991.

La suite, tout le monde la connait : le retour de l’armée aux affaires et un régime similaire à celui de Moubarak en Egypte (capitalisme prédateur, corruption, de plus en plus de misère…). Pour Miloud Chennoufi qui rejette et la laïcité jacobine et l’islamisme radical, des islamistes  "fréquentables" existent et se recrutent chez les frères musulmans progressistes ou chez ceux qui gouvernent en Turquie présentement.

Analysant l’actualité et l’épouvantail islamiste brandi par les média occidentaux, Miloud Chennoufi dit que ceci ne vient pas de nulle part. Le fond de la pensée occidental est simple sur le sujet : dans les pays arabes c’est soit la dictature ou la théocratie.

Samuel Huntington, l’auteur du Choc des civilisations, la résume bien en affirmant que "dans le monde arabe, on ne trouvera pas un seul journaliste ou universitaire  qui défendra les valeurs démocratiques".

De son côté le tunisien d’origine Kamel Béji, économiste et professeur de politiques publiques à l’université Laval est revenu sur le "miracle" économique tunisien durant les 23 années de règne de Benali. Il a souligné que ce "miracle" a été possible parce que, entre autres, tous les voisins de la Tunisie traversaient des crises (guerre civile en Algérie, embargo sur la Libye et transition au Maroc). Mais ce miracle ne profitait pas à tout le monde au pays de Bourguiba.

Nationaliser tous les acquis du clan Benali-Trabelsi,est l’une des actions préconisées par celui qui dit être content à l’idée de "ne plus avoir peur comme auparavant à chaque fois qu’il rentrait en Tunisie que l’agent de la police des frontières le trouve fiché  pour un paragraphe critique sur une quelconque politique de Benali qu’il  aurait écrit dans une thèse !".

Rachad Antonius, né en Egypte et professeur en sociologie, a rappelé que l’apprentissage de la mobilisation dans sn pays d'origine ne date pas des évènements actuels et qu’à titre d’exemple en 2008 sur Facebook un appel à la grève générale a été lancée pour le 6 avril. Ce jour là, il n’y a pas eu de grève mais le pays était pratiquement à l’arrêt.

Le rôle que peut jouer la diaspora ? "Aucun sauf le soutien", affirme Miloud Chennoufi.  "Le changement viendra de l’intérieur. La diaspora suivra et sera à la disposition de cette dynamique", a-t-il ajouté. Pour Rachad Antonius, au Canada, "la diaspora peut compter sur la société civile mais pas sur les gouvernements occidentaux qui continuent à entretenir des rapports coloniaux avec le monde arabe".

A noter que les interventions du public étaient d’un niveau inégal. Certains présents originaires de Tunisie, visiblement pas encore revenus d’avoir renversé Benali dont le nom n’est jamais cité directement, ont tiré le débat vers le bas en confondant débat universitaire public et forum populaire.

Source: El Watan