Cet ancien conseiller financier en milieu bancaire a constaté que, pour aider ses concitoyens à faire fructifier leur argent, il vaut mieux leur enseigner les rouages de la finance que leur vendre des placements.

Au troisième étage du collège Montmorency, à Laval, une trentaine d’étudiants ont le nez collé à leur cahier de notes ou à leur écran d’ordinateur en ce lundi après-midi. Après quelques minutes d’introduction, l’enseignant les interpelle en souriant : « Qui veut s’enrichir ? » Presque toutes les mains se lèvent.

Youcef Ghellache, 37 ans, a atteint son but. Le regard des étudiants de son cours de finances personnelles est désormais tourné vers lui. Le prof d’administration, qui s’assure d’attirer l’attention de toutes les manières possibles, utilise d’ailleurs la même méthode pour toucher un large public. Et il est partout : sur la plateforme en ligne et l’application mobile Éducfinance qu’il a créées, aux commandes du groupe Facebook L’argent ne dort jamais… Il donne aussi des formations, organise des activités publiques, produit des vidéos pour YouTube, des chroniques pour ICI Première… « Bien gérer ses finances peut avoir un impact majeur dans la vie. J’ai décidé d’en faire ma mission », dit ce grand gaillard musclé et jovial, qui vous regarde droit dans les yeux lorsqu’il vous adresse la parole.

L’argent ne dort jamais, le groupe Facebook qu’il a mis sur pied en 2019 et qu’il alimente avec des articles et des vidéos, compte désormais près de 75 000 membres, ce qui en fait l’une des plus importantes communautés virtuelles consacrées aux finances personnelles au Québec. En l’espace de quelques années, Youcef Ghellache a réussi à ajouter son nom à la courte liste des figures publiques qui font de la vulgarisation des questions économiques une priorité.

Il ne blâme pas les nombreux Québécois à qui les mots « placement » ou « Bourse » donnent des sueurs froides. « On a confié l’éducation financière aux institutions bancaires, se désole cet enseignant. Elles font un travail louable mais, normalement, ce serait à l’école d’outiller la population. » Oui, il y a ce cours d’éducation financière introduit il y a quelques années en 5e secondaire — qui a succédé au cours d’économie abandonné en 2009 —, mais c’est trop peu, juge-t-il.

« L’utilité de l’argent intéresse tout le monde, mais la gestion de l’argent n’intéresse pas beaucoup de gens. »

« Avec ma plateforme, j’essaie d’offrir des ressources objectives pour répondre aux besoins des gens, poursuit-il. Ça ne touchera peut-être pas des millions de Québécois, mais si je peux aider quelques milliers de personnes, tant mieux. »

Youcef Ghellache a commencé sa carrière comme conseiller à la Banque Nationale, après des études universitaires en comptabilité et en finance. « Je rencontrais des clients et je voyais qu’ils dépendaient beaucoup des conseils que je leur donnais pour leurs placements ou la planification de leur retraite. L’utilité de l’argent intéresse tout le monde, mais la gestion de l’argent n’intéresse pas beaucoup de gens. J’ai donc compris l’importance d’offrir de bons outils. »

Il aimait rencontrer des clients et vulgariser des concepts économiques, mais après un peu moins de trois ans, il en a eu assez de remplir de la paperasse et de vendre des produits financiers. C’est ainsi qu’il a décidé d’enseigner au cégep, d’abord au collège Bois-de-Boulogne en 2009, puis au collège Montmorency l’année suivante.

Sa mission d’éducation financière a débuté en 2017. Il a alors créé un jeu de cartes permettant de simuler un budget, qu’il a testé dans certaines écoles primaires et secondaires. « C’est difficile de commercialiser un produit dans le domaine de l’éducation », dit-il. Avec un ami développeur, il a tenté une autre approche. La même année, les deux partenaires ont lancé un site Web consacré à l’éducation financière, cette fois destiné aux adultes : c’était le début d’Éducfinance.

Cette plateforme se divise en plusieurs sections. Elle comprend une application mobile payante (39,99 $ par année) grâce à laquelle on peut gérer activement un budget en y entrant ses revenus, ses dépenses et ses objectifs financiers, qu’il s’agisse d’un projet de voyage ou d’épargne pour la retraite. Il y a aussi des ressources gratuites, comme une « boîte à outils » permettant de démystifier budget, placements, impôt et assurances. On peut également y trouver des articles de différents blogueurs.

Pour les gens qui veulent aller plus loin, Youcef Ghellache offre aussi depuis janvier 2021 une formation en ligne de 15 heures sur l’investissement, qui aide à se fixer des objectifs, à planifier sa retraite, etc., dont le coût est de 800 dollars. Près de 200 personnes y ont assisté jusqu’à maintenant. Dès le premier cours, il insiste sur un point : il ne donne pas de conseils financiers, il fait de l’éducation financière, n’en déplaise à ceux et celles qui recherchent la clé de la richesse instantanée. Les revenus découlant de ces formations et de l’appli servent à financer le développement de la plateforme Éducfinance.

Dans le groupe Facebook, une foule de sujets sont abordés. Cartes de crédit, immobilier, placements, tout y passe. Un jeune papa qui se demande s’il devrait sortir de l’argent de son compte d’épargne libre d’impôt (CELI) pour investir dans un régime enregistré d’épargne-études (REEE). Une femme qui cherche à savoir s’il est plus avantageux d’acheter ou de louer une voiture. Et de nombreux autres qui hésitent entre une hypothèque à taux fixe ou à taux variable.

La sollicitation est strictement interdite et les échanges sont filtrés par une équipe de sept modérateurs, dont la conseillère en sécurité financière Annie Pelletier. « Si on voit des gens qui recommandent des titres ou qui offrent des conseils financiers très précis, on les supprime et on dirige les membres vers des ressources professionnelles », explique-t-elle.

Les échanges, selon la conseillère, incitent à l’action. « Des membres nous disent qu’ils ont repris leurs finances en main. Certaines personnes affirment même qu’elles ont pu éviter la faillite en s’éduquant. »

En consultant les commentaires des membres qui tentent de s’entraider, on constate cependant que la ligne est parfois mince entre éducation et conseil financier. « Même si certaines discussions sur les réseaux sociaux peuvent offrir des points de vue intéressants et transmettre de l’information qui semble pertinente, la vigilance est toujours de mise », souligne le porte-parole de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Sylvain Théberge. Elles ne remplacent pas les conseils de professionnels autorisés par l’AMF, comme des planificateurs financiers, ajoute-t-il.

Mis à part la soif d’éducation financière, la popularité grandissante du groupe Facebook et d’Éducfinance n’est pas étrangère au fait que Youcef Ghellache y consacre près de cinq heures par jour. Et sa personnalité y est aussi pour quelque chose. Chacune de ses interventions dans L’argent ne dort jamais est largement commentée par des membres qui le félicitent et le remercient pour son travail. Une participante à une activité qu’il a organisée en mai dernier au collège Montmorency lui a même donné une toile sur laquelle on reconnaît le personnage emblématique du jeu Monopoly.

« C’est quelqu’un qui a beaucoup d’entregent, qui est très charismatique. On prend facilement plaisir à participer à ses initiatives », soutient un de ses collègues au collège Montmorency, Alexandre Labelle. « Il ne cherche pas le succès rapide. Il construit ses projets un morceau à la fois. » 

Le principal intéressé rit nerveusement quand on évoque cette dose d’amour régulière. « Je crois que les gens voient l’énergie que je déploie, les efforts que je mets pour les aider. Donc je pense que je reçois à la hauteur de ce que je donne, affirme-t-il. Pour moi, cette reconnaissance est aussi précieuse que l’argent. »

Cet article a été publié dans le numéro de mars 2023 de L’actualité, sous le titre « L’argent des autres ».

 

Source: https://lactualite.com/finances-personnelles/youcef-ghellache-le-prof-qui-vous-veut-du-bien/