«Le bonheur, c’est relatif»
Il était cadre dans le secteur bancaire. L’idée de partir lui est venue comme à tant d’autres Algériens qui ont quitté le pays à la recherche d’un sol plus accueillant. D’une atmosphère plus respirable. C’est que la décennie rouge a laissé des traces indélébiles. Marwan El-Andaloussy émigre avec sa petite famille au Canada, à Montréal. Quatre ans après son départ, il revient au pays à l’occasion des vacances d’été, pour se ressourcer en famille, revoir sa maman en particulier, ses amis, dans son quartier natal, Meissonnier. Dans ce long entretien, que nous publierons en deux parties, Marwan El-Andaloussy nous raconte ses impressions d’Algérien qui redécouvre son pays, sa ville natale Alger, après des années d’absence. Il nous raconte aussi sa nouvelle vie au Canada, ce qu’il apprécie et ce qu’il n’est pas prêt d’adopter comme mode de vie même s’il devait vivre  tout le reste de sa vie au Canada. Malgré toutes les critiques qu’il porte à l’endroit de la société canadienne, notre interlocuteur trouve que l’essentiel est que c’est un pays de droit et d’organisation. Ce sont, d’ailleurs, les principales différences qu’il voit entre l’Algérie et son pays d’accueil. Pour le reste, il trouve que «le  bonheur est relatif» et qu’on peut aussi bien le trouver ici ou ailleurs.

Les Débats : Dis-moi, quelles sont tes impressions après plusieurs années loin du pays ?
Marwan El-Andaloussy : Les choses évoluent d’une manière logique. Il n’y a pas de surprise. Ce qui m’impressionne le plus, c’est la capacité de survie des Algériens. Très sincèrement, je considère les gens dans leur majorité comme étant des héros. Même si je sais que quand on vit en Algérie on a tendance à critiquer, à dramatiser et à voir le mauvais côté des choses. Nous avons cette culture de la critique très sévère. Mais quand tu vois la situation économique de la majorité des Algériens et le fait qu’ils puissent survivre en se débrouillant, par n’importe quels moyens, c’est impressionnant. Lorsqu’on compare avec ce qui se passe dans les pays dits développés, je ne pense pas que ces sociétés puissent survivre à une guerre terrible qui a fait pas moins de 200  000 morts et a été d’une rare violence, et essayer de mener une vie digne. Je vois les jeunes des quartiers populaires comme Meissonnier, Belcourt ou ailleurs. Comment se sont-ils imposés en commerçants faute de trouver du travail ou d’avoir une formation ? Ils sont là 12 heures par jour, qu’il pleuve ou qu’il fasse chaud, ils essayent de survivre et de gagner leur vie. Cela, c’est génial. C’est vrai que ça dérange les gens de ne pas pouvoir marcher sur les trottoirs, mais on doit tirer chapeau à ces jeunes qui arrivent à gagner leur vie. Par contre, ce que je considère comme un grand problème, c’est la banalisation de la violence qui est très présente.

  Plus qu’avant ton départ pour le Canada ?
Oui, beaucoup plus. On voit qu’il y a un extraordinaire potentiel de violence qui est là et qui n’attend que l’occasion d’exploser. Bien sûr, cette violence s’explique par les années de terrorisme et de répression que nous avons vécu durant 10 années. On a l’impression que la guerre a déverrouillé les derniers scrupules. Les égorgements d’enfants, les massacres de populations étaient devenus choses banales, et de là tout est permis. On assiste à des agressions avec arme blanche pour un téléphone portable, des bagarres qui peuvent entraîner la mort de personnes parmi les supporters de deux équipes de football… Ça c’est très dangereux parce que je ne peux pas m’empêcher de penser à ce qui ce passe dans des pays comme la Colombie et le Brésil où le kidnapping et les assassinats sont devenus de véritables industries.

  Le kidnapping a fait son apparition ici…
Je sais, c’est très inquiétant.

Autres aspects découverts après quatre ans d’absence ?
La saleté et la circulation automobile en ville. Ça a empiré, ya kho ! C’est l’expression d’une incompétence grave des gestionnaires de la ville, de l’environnement et de l’hygiène. Je ne comprends pas comment on puisse être aussi défaillants dans ces domaines.

C’est ton long séjour à Montréal qui te fait dire cela…
Justement, la possibilité qui m’est offerte de vivre ailleurs me permet de comparer et de constater qu’il est possible de bien gérer les déchets urbains. C’est juste une question de volonté et d’organisation de la part des gestionnaires, mais aussi (il faut le dire franchement) de civisme de la part des citoyens.
Idem pour l’organisation de la circulation des voitures et du stationnement. Quoique en matière de stationnement, la débrouille des jeunes a créé une véritable activité de gardiens de trottoirs (qu’ils se sont appropriés) qui permet aux automobilistes de garer leurs voitures, parfois pendant toute une journée, pour 20 DA, avec l’assurance que leurs véhicules sont en sécurité.

  Crois-moi, ça ne plaît pas à tout le monde.
Je sais que les gens se sentent arnaqués, mais sachez que dans toutes les villes du monde les parkings sont payants, et beaucoup plus cher. Ici on donne 20 DA à un jeune, et dans les pays développés on met des pièces de monnaie dans un parcmètre. Je pense que quand on a un véhicule de 100 ou 120 bâtons, il est dérisoire de payer 800 DA par mois pour sa sécurité, de jour comme de nuit. Je reste impressionné devant cette capacité des Algériens, et des jeunes en particulier, à trouver une solution pour survivre à partir de rien.

Peut-on dire la même chose des Algériens qui ont émigré au Canada ?
Tout à fait. Il faut signaler que partir au Canada pour y vivre, ce n’est pas une mince affaire. C’est une très grosse épreuve pour les candidats à l’émigration. Un déchirement qu’on vit mal, surtout au début. On fait plus de 5  000 km pour aller dans un pays dont ne connaît presque rien. Ni les mœurs, ni le mode de vie, ni les lois… Malgré ça, les Algériens arrivent à se débrouiller, à se frayer un chemin, à travailler, à faire vivre leurs familles, certains se sont même lancés dans les affaires, alors que ce n’est vraiment pas évident.
J’ai l’impression que l’épreuve aide les Algériens, ceux d’ici et ceux d’ailleurs, à trouver les solutions pour vivre.

  Tu n’as pas regretté d’être parti ?
Non. De toutes les façons, on ne peut pas parler en terme de regrets. D’abord parce qu’on ne part jamais de gaieté de cœur. C’est souvent par désespoir, pour pouvoir réaliser ses rêves ici qu’on fait le choix de partir à des milliers de kilomètres dans un pays où il neige 6 mois par an.
C’est une déchirure et ça le restera toute la vie. Un malaise constant. Parce qu’on est partagé par ce qu’on laisse (nos mamans surtout) et ce qu’on trouve là-bas comme confort de vie. Je préfère donc parler de déchirure plutôt que de regret. Quand je passe par des moments difficiles, je me dis souvent que ça aurait été différent si j’étais chez moi.
Objectivement, la vie est difficile partout. Sauf que la fameuse ghorba, le fait de se retrouver seul, de ne pas avoir la grande famille (heureusement qu’il y a la petite !), les amis, le quartier...
Mais, franchement, je ne regrette pas. C’est une expérience très intéressante dans le sens où vivre ailleurs, rencontrer d’autres sociétés, valeurs et mœurs, ça te permet de relativiser le jugement sur la nature humaine. Il y a beaucoup de mythes qui s’effondrent et de préjugés qui s’évaporent.
 
Par exemple ?
Ici, on dit toujours que les Occidentaux sont honnêtes. Je peux attester que ce n’est pas vrai. D’abord c’est stupide de généraliser en pensant que les Canadiens, les Américains, les Français ou autres «sont  honnêtes». La malhonnêteté existe partout. Elle n’est pas un trait de caractère spécifique à une société X ou Y.
On pense aussi que les Occidentaux sont plus intelligents que nous. Non, définitivement non. Ce n’est pas une question d’intelligence. La différence entre nos pays c’est juste le droit. Le Canada est un Etat de droit où tout est bien organisé et où la loi s’applique à tout le monde. C’est la grosse différence.
 
C’est ce qui explique que la vie soit «plus facile» qu’ici ?
On entend souvent, ici, qu’à l’étranger «les choses sont toujours disponibles». Oui, les choses sont disponibles mais elles coûtent de l’argent. Ce n’est pas gratuit. D’ailleurs, tout leur système est basé sur la consommation que je considère, pour ma part, comme un gros problème.
A cause du matraquage publicitaire pour les produits en tout genre et les services (bancaires, surtout), les gens sont noyés dans les dettes. C’est incroyable, ils achètent tout à crédit : la voiture, la maison, les vêtements, la nourriture… La carte de crédit est utilisée à tout va.
Ces mythes, on ne peut les constater que lorsqu’on vit à l’étranger et non pas à l’occasion d’un court séjour ou à travers la télévision. On se rend compte que la vie est difficile partout.
Mais  je tiens à le répéter, au Canada la loi est applicable pour tout le monde. Un automobiliste qui commet une infraction est arrêté et on lui inflige la sanction qu’il mérite. Il n’y a aucune discussion possible avec le policier ou le gendarme, ni aucun «piston» qu’on peut faire fonctionner. Le seul recours possible, c’est devant la justice. C’est à cette dernière de trancher et de réhabiliter l’automobiliste s’il y a eu abus de la part du policier. Voilà ce que je trouve merveilleux dans leur système. D’ailleurs, je pense que c’est pour cela qu’il n’y a pas beaucoup de circulation.
 
Finalement, c’est quoi le «way of life» canadien ?
C’est très nord-américain. La suprême priorité est accordée au travail. Rien ne passe avant le boulot : ni la famille ni la santé. Ce n’est pas une question de motivation pour construire une société et participer au développement, mais c’est surtout parce qu’ils gagnent de l’argent. Il est rare de rencontrer des gens qui travaillent pour l’amour du métier ou pour réaliser un rêve. C’est simple, les gens quittent leur travail pour un salaire meilleur qu’on leur offre ailleurs, même s’il n’a rien à voir avec son métier.
Le boulot permet d’acheter une maison, qui est la deuxième priorité, avec le plus de confort possible (piscine, gazon et autres), ensuite la voiture. Et éventuellement la famille.
 
Avec tout ce confort, et ils ne font pas beaucoup d’enfants !
Très peu. D’ailleurs, le Canada a le taux de natalité le plus bas du monde. Et ça pose un grand problème. De plus en plus de gens partent en retraite et il faut bien qu’il y ait une relève pour payer les pensions mais, surtout, pour relancer la consommation. C’est très important économiquement. Il n’y a pas assez de main-d’œuvre dans certains secteurs. C’est pour cela que l’émigration est très utile et nécessaire pour la pérennité du Canada.

  Par contre, ils adoptent beaucoup d’animaux…
Je pense que c’est une particularité occidentale. Ils ont un rapport aux animaux qui est très surprenant, en tout cas pour moi qui viens d’une société très différente où l’être humain est plus important que l’animal.
Le rapport qu’ils ont aux animaux est intriguant, voire mystérieux. Personnellement, je ne comprends pourquoi on s’occupe d’un animal comme si on s’occupait d’un enfant (excuse la comparaison !) en lui assurant une nourriture et des soins de qualité. Ils l’emmènent se promener, etc. Il ne manque que l’école à cet animal (rires). Alors pourquoi ne pas faire des enfants ?

Les animaux sont des sujets de discussion…
Ah oui, c’est incroyable. Les gens en parlent à table, dans la rue, au boulot : le chat,  le chien, ses problèmes médicaux, le vétérinaire, les injections, les comprimés… Et même la psychologie de l’animal, la dépression… Dans une discussion de rue, on a même entendu parler d’un chien à qui on a prescrit un antidépresseur.
D’ailleurs, pour te faire rire, on a remarqué que les chats ne miaulent pas de la même façon, là-bas, comme s’ils avaient muté parce qu’ils ne vivent plus dans leur milieu naturel ; ils n’ont pas besoin de chasser ni de survivre. Ils sont choyés, ils ont leur lit, leur nourriture…
Par contre, de plus en plus de gens adoptent des enfants, généralement à l’étranger. Il faut savoir qu’au Canada il y a une certaine sensibilité aux problèmes du monde. Par exemple, les jeunes et les moins jeunes s’investissent beaucoup (de leur personne et financièrement) dans les ONG humanitaires pour venir en aide à des pays d’Amérique Latine, d’Afrique ou d’Asie.
 
Les Canadiens ont-ils le même rapport à la politique que les Algériens ? Sont-ils plus ou moins désintéressés que nos compatriotes ?
C’est pratiquement la même chose. Je pense que ça s’explique par ce fameux ultralibéralisme qui tient le monde. Il y a tellement de matraquage, la politique a tellement été dévalorisée que les gens n’y croient plus. D’ailleurs les politiques canadiens sont très vieux. Les jeunes ne s’intéressent pas beaucoup à la politique. Tout le monde constate, en fait, que la politique ne sert pas à grand-chose, puisque c’est l’entreprise qui dirige tout et a le dernier mot. Par contre, les Canadiens s’investissent plus volontiers dans la société civile. Les gens sont très impliqués dans les associations de quartiers, de villes, de certains secteurs… Ils essayent de changer les choses à travers le mouvement associatif.
Tu écrirais un article sur la politique en Occident ou au Canada en particulier, la conclusion en serait «  l’inutilité de la politique». Ça ne sert vraiment à rien.
Je te raconte une histoire. Dans un coin perdu du Québec, le gros distributeur Walmart ouvre un magasin ; après un certain temps, les employés ont voulu créer un syndicat. Ce qui est tout à fait légal puisqu’ils étaient au nombre requis pour se constituer en syndicat. La direction de l’entreprise a rejeté la décision des travailleurs. Ces derniers ont recouru à la justice et aux organismes du travail qui leur ont donné raison. Résultat des courses : le magasin a carrément fermé. Les employés se sont retrouvés au chômage. Et c’est devenu un véritable dilemme dans la région. Fallait-il maintenir le syndicat pour défendre les droits des travailleurs avec pour conséquence leur mise au chômage, ou alors fallait-il se taire et accepter les conditions de l’employeur pour garder son travail ?  Dans ce genre de situation, le gouvernement et les élus ne peuvent absolument rien faire. Du coup, les gens se disent à quoi cela sert-il de s’impliquer en politique et d’élire des représentants du peuple puisque ce sont les multinationales qui dirigent ?
Mais ce qu’il faut savoir, c’est que ces grosses boites sont souvent subventionnées par les gouvernements et ont beaucoup de facilités fiscales pour créer de l’emploi.
C’est un problème auquel les politiciens doivent trouver des solutions.
 
Actuellement, il y a un grand débat sur les salaires en Algérie. Est-ce qu’un salarié canadien peut bien vivre ?
Avec un salaire moyen, oui. Au Canada on est payé à l’heure, ce n’est pas un salaire mensuel. La rémunération dépend donc du nombre d’heures travaillées. Et puis, l’employeur décide de t’employer à mi-temps ou à plein temps. Donc si tu es payé au salaire minimum d’environ 7 dollars canadiens de l’heure, c’est vraiment difficile de joindre les deux bouts. Par contre, les loyers des logements sont relativement abordables. Tout dépend des quartiers et de la superficie du logement, c’est en moyenne 500 à 600 dollars par mois. Ce qui est correct pour un couple qui travaille. En plus, le logement ce n’est pas un problème monstre comme chez nous. Si ça ne te plaît pas, tu peux en changer une fois par an.

  Qu’en est-il de la situation des femmes aux Canada. Sont-elles «heureuses» ?
Heureuses ? Je ne sais pas. Mais au Québec et au Canada en général, il y a un très fort mouvement féministe qui a établi les droits entiers de la femme. Il n’y a aucune sorte de discrimination. Mais bizarrement, il y a toujours des associations qui défendent les droits des femmes, ce qui veut dire que ce n’est pas si acquis qu’on peut le penser et qu’il y a encore des mentalités qui doivent changer. Bizarrement aussi, il y a une inégalité salariale. Aux mêmes postes, les femmes touchent moins que les hommes. C’est un combat qui dure des années, mais ce n’est pas encore réglé y compris dans la fonction publique.
Sinon, du point de vu de la loi, la femme est tout à fait l’égale de l’homme. Mais dans la réalité, certaines choses ne sont pas réglées. Outre le salaire, il y a aussi la question des femmes battues. Les rapports sont alarmants à ce propos. Les familles monoparentales (femmes sans époux ou conjoint) vivent des situations difficiles et très souvent les enfants ont des difficultés à l’école.

  La femme est-elle obligée de ramener sa quote-part dans le financement du foyer ?
C’est totalement inconcevable autrement. La femme est l’égale de l’homme, donc elle amène sa part dans le budget familial. Il n’y a pas de couples qui tiennent si la femme ne travaille pas. C’est valable aussi pour l’homme.

  Les émigrés issus de la sphère arabo-musulmane s’adaptent-ils à cette culture ?
Pas forcément. Généralement, les Algériens essayent de maintenir leur conception de la vie. Tu trouves énormément de couples où c’est l’homme qui travaille alors que la femme s’occupe des enfants et de la maison. Même si là-bas elle peut travailler à mi-temps ou faire des choses simples qui ne l’éloignent pas de son foyer.
Par contre, certaines difficultés apparaissent lorsque c’est la femme qui trouve du travail et pas le mari. Ça finit généralement par un divorce. L’homme se sent diminué et n’accepte pas cette situation.
Une autre difficulté est d’être confronté à des mœurs qui nous sont totalement étrangères. Mais je pense qu’avec le temps, les gens vont s’adapter et trouver des compromis.
En général, les Algériens résidant au Canada tiennent à leur culture. Mais en même temps, ils s’adaptent très facilement sur le plan professionnel et dans leurs rapports avec les gens.

  Vivez-vous en «ghetto» à Montréal ?
Montréal est une ville cosmopolite. Quand tu marches dans la rue, tu as l’impression de regarder une publicité de Benetton «United Colors». Il n’y a pas de ghettos au sens propre du terme, mais les communautés se forment d’une manière toute simple. Les Algériens, comme les autres immigrants, s’entraident en matière de logement. Donc je trouve un appartement pas très loin de chez moi à un autre Algérien qui vient juste d’arriver. Ça fonctionne comme ça. Il n’y a pas une volonté dès le départ de s’installer entre immigrants d’une même nationalité.
D’ailleurs, dans les quartiers fréquentés par les Algériens tu trouves beaucoup de Marocains. Ils s’organisent autour de certaines activités, comme la boucherie, la coiffure, les cafés, les «music stores», etc.
Et je peux citer d’autres exemples, comme celui des Italiens. Dans leurs cafés, c’est la musique italienne, la télé italienne, ça parle italien. Voilà, ils gardent leur culture tout en devenant des citoyens canadiens.

  Qu’en est-il de l’éducation au Canada ?
Il y a pratiquement autant d’écoles privées que d’écoles publiques. Le constat que je peux faire, c’est que le niveau de l’école publique n’est pas aussi terrible qu’on aurait tendance à le penser. Comparé à d’autres pays comme la France, l’Angleterre ou l’Allemagne, ça ne vole pas haut.
Les Algériens qui vivent au Canada s’investissent beaucoup dans l’éducation de leurs enfants. Nombre d’entre eux arrivent à les inscrire dans des établissements privés. Ils font tout pour qu’ils réussissent et arrivent à des niveaux supérieurs dans leurs études. D’ailleurs, c’est un des traits de caractère des émigrés algériens et maghrébins en général : ils ne veulent pas que leurs enfants commencent à travailler en faisant de petits boulots dès l’âge de 18 ans.

  Il parait que la période du ramadan est un des moments les plus durs qu’on vit dans l’émigration, car on pense beaucoup à l’ambiance du pays…
C’est tout à faut vrai, mais on finit par s’y habituer. On apprend à travailler le jour de l’Aïd, à avoir des horaires pas possibles pendant le ramadan, etc. C’est difficile. Mais il suffit de rentrer dans ton quartier, où il y a beaucoup d’Algériens, pour que tout rentre dans l’ordre. Un café et un qelbalouz, des visites entre familles, et tu oublie tout… ou presque !
En tout cas, c’est moins dur qu’il y a 15 ou 20 ans, quand les premiers émigrés se sentaient vraiment isolés.
Le jour de l’Aïd El Adha, pratiquement tout le monde égorge le mouton. D’ailleurs, les fermes dans la région de Montréal s’en sortent très bien grâce à ces fêtes annuelles qui sont devenues une source non négligeable de revenus. Idem pour les magasins qui vendent des gâteaux traditionnels, surtout pendant le ramadan ; les gens font la chaîne, discutent et se disputent… comment ils le font ici !
Le seul truc qui est vraiment pénible, c’est le climat qui pèse très lourd pour les Algériens habitués à voir du soleil 10 mois sur 12. Voir la neige pendant six mois, c’est déprimant. C’est moins pénible au début parce que c’est nouveau, mais au fil des années ça devient embêtant.

Garde-t-on le caractère méditerranéen (rire…) même après des années d’émigration ? Oui, parce que les gens sont partis âgés. Leur personnalité était déjà construite. Par contre, ceux qui sont partis très jeunes, qui sont allés à l’école dès les premiers paliers, ça va être différent. Ce serait d’ailleurs intéressant de voir ce que ça va donner dans quelques années. Alors on verra si les Algériens sont capables du maintien d’une double culture, des langues maternelles (arabe et/ou kabyle), de maîtriser le français et l’anglais, et les valeurs auxquelles on tient. On verra si, par exemple, la culture de l’individualisme va déteindre sur notre culture plus communautaire. Le plus intéressant sera également de voir ce que sera le Canada dans 20 ou 25 ans.

Tu ne regrettes pas d’être parti ?
Non, pas du tout. C’est très dur au début, c’est le déchirement, mais ça vaut le coup d’essayer. Il faut de la volonté. Connaître d’autres modes de vie, ça permet de relativiser. Tout est relatif. Ce n’est pas noir et blanc.

Les Algériens emmènent-ils leurs clivages politiques au Canada ?
Oui, ils se rencontrent, ils discutent. Ils s’expriment librement, parce qu’ils sont dans un état de droit où chacun a le droit de dire ce qu’il pense tout en respectant les opinions des autres.

Source: http://www.lesdebats.com