C’est devenu une sorte de rituel : le vendredi, de façon hebdomadaire désormais, des centaines de milliers d’Algériens prennent la rue pour manifester leur colère envers le président Abdelaziz Bouteflika et son régime. Ce rituel manifestant trouve son écho à Montréal où, tous les dimanches depuis le 24 février dernier, la diaspora algérienne se mobilise également pour manifester à l’entrée du Consulat général d’Algérie, à l’angle des rues Sherbrooke et Saint-Urbain.

Pourquoi un tel élan, de l’autre côté de l’Atlantique ?

« Au début, c’était un mouvement de soutien, admet Nasser Bensefia, Algérien d’origine, infirmier de profession et l’un des organisateurs de ces rassemblements hebdomadaires du dimanche. On soutenait nos frères et soeurs en Algérie. Mais le discours politique et le slogan se sont développés. Maintenant, c’est le changement de tout le système politique que les gens veulent. »

L’élément déclencheur de cette contestation remonte au 10 février, lorsque le président Bouteflika a annoncé son désir de briguer un cinquième mandat à la tête du pays malgré son état de santé qui le laisse gravement affaibli. M. Bensefia, lui, situe plutôt le moment décisif de la cause au 22 février, en raison des manifestations d’envergure ayant balayé le pays ce jour-là, mettant en branle la mobilisation massive que l’on a remarquée ces dernières semaines.


Depuis, le discours du peuple ne tient pas juste à ce cinquième mandat contesté : on dénonce la corruption du système et son manque de transparence, mais aussi l’économie chancelante du pays, son système d’éducation affaibli, la mauvaise gestion des ressources…

Ce système politique, par son inefficacité, a poussé plusieurs à émigrer, selon M. Bensefia. « On est impliqués, directement. Ce n’est pas juste du soutien, là. On est dedans », ajoute-t-il.

Jihed Halami, lui aussi organisateur de ce mouvement, affirme qu’il était impossible aux Québécois d’origine algérienne de ne pas réagir aux événements se déroulant dans leur pays d’origine, malgré leur vie ici. « On n’a pas démissionné de notre rôle de citoyen algérien juste en débarquant ici. On est toujours des citoyens à part entière, on a des devoirs envers notre nation. Cet appel-là, on ne l’a pas raté. »

Il tient à souligner, d’ailleurs, la place de leur société d’accueil dans leurs motivations. « Aujourd’hui, au Québec, on vit dans le fruit du militantisme des générations de Québécois qui nous ont précédés, la Révolution tranquille, remarque-t-il. On apprécie ça, et on essaie d’être le pont entre notre société d’accueil, et notre terre natale, pour leur dire : « voilà des valeurs desquelles on peut s’inspirer”. »

Responsabilité de s’exprimer

Ce rôle de la diaspora en temps de crise est loin d’être inédit. « Les diasporas de tous les pays arabes, en crise, en conflit, ou en blocage politique, ont toujours joué un rôle symbolique important : celui de pouvoir s’exprimer et de faire caisse de résonance dans des pays où les libertés et les droits d’expression sont totaux », explique Sébastien Boussois, chercheur spécialisé dans le Moyen-Orient à l’Université du Québec à Montréal.

Il remarque aussi qu’une forte conscience politique ainsi qu’un sentiment de culpabilité d’avoir quitté le pays — par choix ou par obligation — peuvent motiver cette ambition d’amélioration des conditions dans leur pays d’origine. D’après lui, c’est ce qui se passe au Canada et en France, bien que ces mobilisations de diasporas diffèrent selon leur nombre et leur importance, souligne-t-il.

Ce sentiment de responsabilité face à la mère patrie est familier à Lamine Foura, ingénieur chez Bombardier et journaliste au sein de plusieurs médias communautaires maghrébins de Montréal, qui habite au Québec depuis une vingtaine d’années.

« On vit un déchirement, on vit un choc culturel, et on établit un lien assez nostalgique avec le pays d’origine, admet-il. On a été formés par l’Algérie, et on a quitté l’Algérie pour des raisons diverses, mais en fin de compte, on a failli à notre responsabilité de faire sortir l’Algérie de sa situation, que ce soit au niveau économique, scientifique, ou politique. »

La contestation des derniers jours est donc un moyen de remédier à cet échec, pense-t-il, tout en montrant son soutien à la réelle locomotive du mouvement : la jeunesse algérienne. « Je pense que cette jeunesse est en train de donner une leçon à notre génération. Je pense que la diaspora, aussi, voit ça comme étant un rattrapage de notre responsabilité vis-à-vis de ce qu’il se passe au pays. »

Nasser Bensefia partage cet avis. « L’Algérie va être sauvée par ses jeunes, qui n’ont pas connu la décennie noire. C’est ce qui se passe présentement. »

Il insiste aussi sur un aspect de ces manifestations, ici comme au bercail, qu’il juge impressionnant : leur pacifisme incontesté. « Les gens manifestent avec des sacs en plastique; quand ils finissent, ils nettoient. C’est du jamais vu. »

« On vit un moment historique, résume-t-il. C’est après qu’on va vraiment s’en apercevoir. On ne peut pas le rater. Il faut embarquer. »

Jeunes militants d’ici

Il n’y a pas que les jeunes en Algérie qui prennent la rue : leurs compatriotes québécois sont tout aussi impliqués au sein du mouvement de mobilisation à Montréal, bien qu’ils aient vécu une grande majorité de leur vie dans la métropole.

«Il est temps pour nous, en tant que jeunes, de lancer un mouvement collectif pour une Algérie démocratique, jeune, plurielle et ambitieuse », déclare Sarah El Ouazzani, étudiante en architecture à l’Université de Montréal d’origine algérienne. Arrivée au Canada à 3 ans, elle garde toujours un attachement très fort à son pays d’origine.

À son avis, habiter outre-mer n’empêche pas la jeunesse d’origine algérienne d’espérer, un jour, être fière de son pays et de participer à son développement. « Nous sommes la future génération qui prendra le flambeau de ce pays, souligne-t-elle. C’est la jeunesse qui peut avoir un grand impact sur la vie de tous les Algériens et Algériennes — dans son sens large — et faire démarrer le développement à son plein potentiel. »

Le modèle de ces jeunes ? La métropole dans laquelle ils ont grandi. « Nous sommes des jeunes qui ont encore l’espoir que leur pays puisse devenir un moteur économique, touristique et technologique, tout comme à Montréal », dit-elle.