Rencontrée après la décision prise par le CRTC–CCNR contre CKAC et Doc Mailloux, Mme Christiane Devillé-Bendada a bien voulu nous livrer son appréciation de cette affaire qui a vu la station de radio et son animateur épinglés pour commentaires abusifs et discriminatoires. La Tribune : Comment vous est venue l’idée d’entreprendre des démarches et de faire votre plainte et pourquoi ?

Christiane Devillé-Bendada : Vous savez, je suis vraiment peinée d’entendre cette question, car non seulement je suis concernée, puisque moi-même je suis immigrante, mais mon époux, mes grands enfants sont non seulement algériens et maghrébins toujours, mais également musulmans. La cible dans cette horrible émission, c’était l’ensemble des communautés culturelles qui étaient visées. Ce que ce coloré animateur visait, c’était à l’aveuglette. Vous vous imaginez ce qu’il a dit des sikhs au cours de cette même émission ? Heureusement ou peut-être malheureusement que ses propos sont exprimés dans une radio francophone et en français, ce qui éloigne quelque peu ces auditeurs connus pour leur simplicité et leur vie tranquille. Pour en revenir à votre question, je vous dirai que, le fait qu’il avait pour cible les Maghrébins, m’a interpellé en tant qu’épouse d’un Algérien, mère de deux adultes et finalement en tant qu’immigrante ayant vécu en Algérienne et en Algérie 18 ans durant.Vous savez, j’ai passé les meilleures années de ma vie, de ma jeunesse en Algérie et je ne peux plus penser et réagir différemment des membres de ma famille. Qui plus est, je cuisine algérien, il m’arrive de réagir en Algérienne et je me sens Algérienne également. Vous savez, depuis notre arrivée ici, il y a une douzaine années, nous nous extasions devant la protection dont le citoyen bénéficie et les recours que la loi lui permet pour faire valoir ses droits et les défendre le cas échéant. La Charte des droits et libertés s’applique à tous, même aux immigrants, alors pourquoi ne pas en faire usage lorsque nous sommes insultés ?

Cette démarche, l’avez-vous effectuée seule ou avez-vous été approchée par des immigrants qui se sont sentis insultés ?

Ecoutez, mon mari est assez documenté et, en discutant sur le sujet, il m’a tout simplement mis sous les yeux la Charte des droits et libertés et m’a dit textuellement : voilà la bible des immigrants. Moins on s’en sert, plus on a tort !Le prenant au mot, je lui ai demandé quel est l’organisme qui doit être saisi pour se plaindre et tenter d’obtenir réparation. C’est comme cela que j’ai engagé la procédure. Le reste est du domaine public. Quatorze mois se sont écoulés et le xénophobe est interpellé. J’espère qu’il y réfléchira par deux fois avant de s’attaquer à nouveau, lâchement, à des immigrants tranquilles.

Pensez-vous que cette décision, lorsqu’elle sera médiatisée, encouragera des opérations similaires par des immigrants en quête de justice et de réparations ?

Je n’ose pas m’aventurer à une réponse dans ce contexte. Vous savez, les Maghrébins, tout Méditerranéens qu’ils sont, jubilent très vite, s’extériorisent sur le moment, lorsque quelque chose leur fait de la peine, ils jurent, menacent et se calment rapidement après la tempête. Pourtant, ils s’extasient, ouvrent grands les yeux devant le bon fonctionnement de l’administration et surtout des droits qui leur sont garantis par ce pays qui fait l’effort nécessaire pour instaurer une société juste et équitable. Ils sont prompts également à crier à l’injustice en des moments où ils sont effectivement lésés, mais hésitent à faire les recours légaux. C’est un peu le fatalisme arabe qui prend le dessus et souvent ils se résignent devant la volonté de Dieu ! Cette frilosité gagnerait à être vaincue par les membres des communautés culturelles car c’est une manière de prendre sa place dans cette société où les mirages sont des mirages, et n’existent pas ici.Il y a des moments où les associations maghrébines gagneraient à être plus vigilantes dans ce domaine de préservation du droit et du respect de la personne. Il me semble que la communauté maghrébine gagnerait à se doter d’une autorité morale ou peut-être d’un comité consultatif qui pourrait se concerter périodiquement ou lorsque des événements importants le nécessitent. Regardez bien ce qui se passe dans d’autres communautés, lorsqu’elles sont la cible d’une attaque et jugez de la fulgurance de leur riposte : ils ne se laissent pas marcher sur les pieds, c’est la tolérance zéro. Nos communautés, qui ont souffert de certains préjugés et surtout d’une fausse réputation surfaite ainsi que d’amalgames éhontés, gagneraient à s’organiser pour éviter de nouveaux et potentiels bourreaux. Ils auraient avantage aussi à occuper le terrain pour expliquer, convaincre les partenaires sociaux et autres comités que leur apport à la société est positif et enrichissant.Lorsque leur place et leur présence sur le terrain seront effectives, alors ils pourront s’enorgueillir et deviendront une référence dans cette société où il y a de la place à prendre si on est organisé.Je ne dis pas que cela peut se faire du jour au lendemain, mais il y a un travail de fond et une approche seine et sérieuse à réaliser.

Que ressentez-vous après le dénouement de cette affaire ?

J’ai une satisfaction. Une seule. C’est que cette sanction peut donner une petite leçon à l’animateur et à la radio qui l’emploie. À l’avenir, ils y réfléchiront deux fois avant de casser de l’immigrant à nouveau. C’est également une leçon à quiconque ne respecte pas le code de déontologie qui régit la pratique d’une profession.

Source: http://www.latribune-online.com/1004/ev01.htm