Bachir Lazhar n’est ni chanceux, ni porteur de bonnes nouvelles. Il faut dire que la vie ne lui a pas fait de cadeau. Il a tout perdu, mais il essaie, malgré son lourd et douloureux passé, de se [re]reconstruire loin de sa “Alger la blanche”.
Monsieur Lazhar, du réalisateur québécois Philippe Falardeau, a été projeté avant-hier soir à la salle Cosmos Alpha (Riadh El Feth), à l’occasion de l’ouverture des Journées d’expression francophone à Alger. Le long-métrage de quatre-vingt-dix minutes met en vedette Mohamed Fellag (récemment récompensé par le prix Génie 2012 du meilleur comédien du cinéma canadien à Toronto), incroyablement doué sur scène comme à l’écran. Adapté d’une pièce de théâtre d’Evelyne de la Chenelière, Monsieur Lazhar est l’histoire d’un instituteur algérien qui atterrit dans une classe à Montréal.
Bachir Lazhar (Mohamed Fellag) apprend dans le journal qu’une enseignante de primaire s’est pendue dans sa salle de cours, alors il décide d’aller proposer ses services. Très vite engagé, l’instit’ rencontre des élèves aussi attachants que blessés par le tragique incident qui s’est produit dans leur établissement.
Après des débuts plutôt chaotiques (une dictée extraite de la Peau de chagrin d’Honoré de Balzac par exemple, qui n’est pas du niveau des écoliers), Bachir Lazhar s’applique et s’implique auprès des écoliers, pour les aider à exorciser leur douleur et le fort sentiment de culpabilité qui habite notamment le petit Simon, qui pense –à tort- que sa prof’ s’est suicidée à cause de lui. Monsieur Lazhar écoute ses élèves s’interroger sur les raisons du suicide (une mort inutile) et de la violence. Il est particulièrement ému par l’expression écrite de la petite Alice, espiègle et très intelligente, qui lui rappelle combien il est difficile de trouver sa place dans ce monde. Car au moment où on fait connaissance avec Bachir Lazhar, il est encore en train d’essayer de trouver ses marques, ses repères, dans une société si différente de celle qu’il a toujours connue.
Une société qui possède d’autres codes et un autre mode de fonctionnement. L’Algérien va à la rencontre d’un autre monde et apprend à y apporter ce qu’il a de meilleur en lui et dans sa culture (les gâteaux traditionnels algériens, la musique algérienne, le parler-algérien…).
L’instituteur oublie même parfois sa propre douleur, et son passé, incroyablement violent. Lui aussi à tout perdu. Lui aussi a connu la violence et sait très bien que la vie se montre parfois très injuste, même envers les meilleurs d’entre nous. Son épouse et ses deux enfants ont péri dans un incendie criminel, durant la décennie noire. Si le film (nommé aux Oscars 2012 dans la catégorie du meilleur film étranger) devait nous apprendre une leçon, ce serait que la violence -qui n’a aucune explication et aucune justification- est universelle, parce que, hélas, notre monde en souffrance traverse une crise de l’individu.
Mais la véritable force de Monsieur Lazhar réside en deux points : le très grand talent de Mohamed Fellag qui a crevé l’écran, mêlant ainsi ses capacités de comédien à sa parfaite maîtrise de l’art de l’éloquence, et le magnifique scénario construit sur un texte qui place la parole comme le remède au malheur.
Source: Liberté - 31 mars 2012