Quelque dix-sept auteurs, vingt-cinq chapitres et plus de cinq cents pages seraient la solution à la panne sèche que connaît le développement économique en Algérie.

Telle est l’ambition de Taïeb Hafsi, professeur en management aux HEC Montréal et qui a dirigé un ouvrage collectif à paraître en mars chez Casbah éditions* : Le développement économique algérien, quelques idées et des propositions. Un travail qui a demandé  près de quatre ans. «L’idée originale remonte à une quinzaine d’années et revient à Azzedine Ammara, professeur en finances aux HEC Montréal, décédé en 2009», nous explique le professeur Hafsi en nous recevant dans son bureau au dernier étage des Hautes études commerciales de la métropole canadienne. «La nécessité de cet ouvrage s’est fait ressentir ces dernières années. Les problèmes de l’Algérie sont devenus plus visibles, plus nombreux et plus importants», affirme celui qui a fait partie de l’équipe qui a créé, avec les Japonais, la raffinerie d’Arzew au début des années 1970 avant d’aller aux Etats-Unis pour faire des études et passer les trois dernières décennie au Canada.

Pas de prêt à l’emploi

«Tous ceux qui avaient le pays à cœur s’accordaient sur le fait que l’économie en Algérie ne semblait pas être très bien comprise et donnait l’impression d’être mal gérée», ajoute Taïeb Hafsi. Il a ensuite établi une table des matières qui correspond à la plupart des aspects touchant les problèmes de développement économique dans les pays en développement, un sujet sur lequel il a beaucoup travaillé. «Il fallait que je trouve parmi les Algériens que je connais, soit au Canada, soit à travers le monde, ceux capables de contribuer à ces chapitres», explique-t-il. Deux conditions étaient nécessaires pour participer à l’ouvrage : l’intégrité de l’auteur et une réelle légitimité pour écrire (études, diplômes, publications et réalisations). Après la sélection des auteurs, dont deux femmes, quelques orientations s’imposaient. Comme l’ouvrage s’adresse aussi bien «aux universitaires qu’aux gestionnaires dont ceux en charge de l’Etat algérien», Taïeb Hafsi a demandé aux auteurs de privilégier le transfert de connaissances et d’éviter le langage académique. Bannir les reproches et inonder le lecteur de suggestions est la deuxième directive du professeur Hafsi à son équipe. Et bien sûr, la lisibilité. Le coordinateur de cet ouvrage se défend d’avoir initié un livre de recettes économiques prêtes à l’emploi.

Intégration

«Nous ne proposons pas de programme spécifique au développement. Nous disons à ceux qui veulent élaborer des programmes : voilà les leviers sur lesquels il faut peser. Si les gens veulent savoir, par exemple, quelles sont les grandes questions liées aux aspects financiers, ils vont les trouver. Maintenant, qu’est-ce qu’il faut faire en Algérie sur le plan financier ? Il y a quelques pistes, mais il n’y a pas d’indications précises sur ce qu’il faut faire», insiste le professeur Hafsi. Il se dit frappé par l’incohérence qui a caractérisé la prise de décisions en Algérie ces dernières années et même avant. «Comment des gens qui nous paraissent qualifiés et bien formés prennent des décisions complètement incohérentes ? s’interroge-t-il. C’est peut-être dû au fait qu’il n’y a pas une compréhension de tous les aspects du développement économique. Les gens agissent comme si chacun des aspects est séparé du reste. On ne peut plus gérer le développement économique en isolant les différents aspects. La coordination ou l’intégration est l’élément-clé. Pour passer à cette intégration, il faut que des gens qualifiés dans chacun des domaines disent comment cette intégration se présente de leur point de vue. Par exemple, l’auteur qui s’est intéressé à l’éducation parle de question d’éducation mais prolonge le sujet à la politique d’éducation qui est arrimée à tout le reste», explique Taïeb Hafsi. Le professeur mesure bien la relation entre intellectuels et décideurs en Algérie et le risque que l’ouvrage ne soit pas valorisé par ces mêmes décideurs.

Tradition anti-intellectuelle

«Culturellement, nous n’avons pas de tradition d’écoute des intellectuels de la part du dirigeant. A titre d’exemple, en Chine, la première des choses qu’un empereur fait est de chercher les meilleurs conseillers. Notre tradition anti-intellectuelle remonte, probablement, à la guerre de Libération, car historiquement l’Islam est une tradition pro-connaissance. Les Français nous ont tellement manipulés pendant la guerre de Libération qu’ils ont réussi à faire passer les intellectuels pour des agents du colonialisme aux yeux des combattants de l’ALN. Il y a eu l’élimination de beaucoup d’intellectuels pour ‘‘préserver’’ l’unité nationale.» Traiter le collectif d’auteurs de donneurs de leçons ne le gêne pas outre mesure.

«Nous sommes des enseignants. Nous assumons ce rôle de donneurs de leçons fondamentales. Si le soleil se lève à l’Est, nous vous le dirons même si vous n’êtes pas d’accord. Nous vous donnons les leviers qui influent sur le développement économique. Vous ne pouvez pas les ignorer, conclut-il. Nous ne disons pas aux gens qu’ils n’ont qu’une seule politique à suivre. Il y a mille et une façons de réaliser le développement économique. A vous de choisir le modèle et les stratégies… Mais vous ne pouvez pas ignorer comment se comportent les êtres humains, comment se crée la richesse, comment se fait le management des organisations.»


*Ouvrage collectif sous la direction de Taïeb Hafsi
- Les auteurs : Mehdi Abbas (économiste à l’université de Grenoble), Esma Aïmeur (professeur spécialiste des questions de gestion de la sécurité de l’information à l’université de Montréal), Abdou Attou (spécialiste de la finance internationale, basé à Londres), Boualem Aliouat (juriste de formation et spécialiste du management stratégique), Ahmed Benbitour (économiste et ancien Premier ministre), Ahmed Bensaâda (docteur en physique, pédagogue et auteur de manuels scolaires au Canada), Ramdane Djoudad (économiste), Ali Dib (économiste), Kamel Khiari (spécialiste en droit des affaires), Rezki Lounnas (ancien cadre à Sonatrach et chercheur en énergie), Bachir Mazouz (professeur spécialisé dans le fonctionnement et l’intervention de l’Etat), Noureddine Belhocine (spécialiste en management), Abderrahmane Mebtoul (professeur, économiste et conseiller), Nadji Safir (sociologue à l’université d’Alger), Oumelkhir Touati (sociologue à l’université de Montréal) et Morteda Zabouri (expert en économie politique internationale).

 

Source: El Watan