La famille algérienne Seddiki-Bourouisa brillait par son absence hier à l’aéroport de Dorval, où les agents d’Immigration Canada les ont attendus en vain pour les renvoyer en Algérie, tel qu’en a décidé le ministère de l’Immigration vendredi.

Le ministre Denis Coderre interviendra-t-il pour empêcher le retour forcé vers l'Algérie de Yakout Seddiki, Mourad Bourouisa et de leur petit garçon de deux ans? La question était sur toutes les lèvres hier, alors que le couple choisissait de défier la loi en refusant de se soumettre à un avis d'expulsion.

Ce n'est pas d'hier qu'ils sont au Canada. Lui, comptable de formation, depuis sept ans. Elle, éducatrice en garderie, depuis trois ans. Ils se sont connus ici, mariés ici, ont maintenant un petit garçon de deux ans, Ahmed, et attendent de nouveau un bébé pour avril.

En arrivant au Canada en 1999, Yakout Seddiki a quitté avec l'Algérie un pays où sa «vie était régulièrement menacée», tel qu'elle le confiait la semaine dernière à la télévision de CBC. «J'ai entendu dire que le Canada était le meilleur pays enmatière d'accès aux réfugiés, ajoutait-elle. C'est pour cela que j'étais prête à traverser l'enfer pour y arriver.»

Aujourd'hui, devenue hors la loi en refusant de se soumettre à un avis d'expulsion, son idéal s'est considérablement assombri. Si elle et son mari ne se manifestent pas en effet aujourd'hui auprès des autorités d'Immigration Canada, un mandat d'arrestation sera carrément émis contre eux. Ils pourraient donc être arrêtés, incarcérés pour une période maximale de 48 heures, pour être de nouveau confrontés au retour possible en Algérie. «En Algérie, j'ai peur pour ma vie, et pour celles de ma femme et de mon enfant», confiait encore à CBC Mourad Bourouisa.

Les dernières semaines ont été particulièrement difficiles pour ce couple algérien qui fait face à un retour imminent en terre natale depuis que le gouvernement fédéral a levé un moratoire permettant aux ressortissants algériens sans statut de réfugié de demeurer au Canada par pures raisons de sécurité. Après avoir épuisé tous les recours légaux prévus pour faire la preuve qu'il valait mieux qu'il reste au Canada, le couple a appris vendredi dernier que le ministère de l'Immigration les obligeait à quitter le pays hier après-midi.

La situation particulière de Mme Seddiki, enceinte de trois mois et demi, n'a pas convaincu les autorités fédérales non plus.

«Ils avaient l'obligation de communiquer avec nous aujourd'hui ou de se présenter à l'aéroport avant 14h, ce qu'ils n'ont pas fait», a expliqué hier le porte-parole d'Immigration Canada, Robert Gervais, après que l'avion qui leur était destiné se fut envolé sans eux. «Un mandat d'arrestation sera émis [aujourd'hui] s'ils ne communiquent pas avec nous.»

En choisissant ainsi de défier la loi, ce qu'ils ont fait en toute connaissance de cause, selon leur avocat William Sloan, le couple pourrait être arrêté, pendant une période maximale de 48 heures, et puis soumis de nouveau à l'avis d'expulsion. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, Denis Coderre, à qui une demande d'intervention a été formulée par les avocats, pourrait toutefois changer le cours des choses.

«Ils regardent la possibilité de surseoir temporairement à leur décision», explique Me Sloan, qui affirmait en fin d'après-midi ne pas avoir parlé à ses clients. «Mais ça semble ne pas avoir porté ses fruits puisque les agents d'immigration attendaient toujours la présence de la famille [hier] matin.»

Le sort de ces gens, qui se terrent sans doute dans un endroit tenu secret à Montréal, est donc entre les mains du ministre Denis Coderre. «Il peut décider de surseoir à un renvoi, à cause d'une situation particulière», explique Me Sloan. «Il est aussi déjà arrivé que la Cour fédérale intervienne pour imposer aux autorités de l'immigration un sursis pendant que le dossier est à l'étude.»

L'avocat croit qu'il est maintenant temps d'élargir le mouvement de pression, en allant chercher des appuis hors du Québec. «Nous allons sûrement essayer de contacter d'autres organisations pour faire pression sur le ministre, aller chercher des appuis en dehors du Québec. Rien ne garantit les résultats, mais l'expérience montre que plus il y a des pressions qui viennent de la population, plus ça peut influencer le ministre pour changer son avis.»

Venus hier à l'aéroport manifester leur soutien au couple algérien, des membres du mouvement militant Personne n'est illégal, dont fait partie l'activiste bien connu Jaggi Singh, observent l'agitation médiatique faite autour de ce seul cas d'un oeil un peu critique. «C'est souvent comme cela que les choses se passent», explique Andrea Schmidt, qui dénonce la politique d'Immigration Canada. «Quand c'est couvert par les médias, c'est une couverture individuelle, sans remise en question du contexte global.»

Ce contexte, juge le mouvement, ce sont des lignes aériennes qui se font complices des politiques fédérales en acceptant de donner suite aux avis d'expulsion, ce que les membres de Personne n'est illégal dénonçaient hier en distribuant des tracts un peu partout dans l'aéroport.

«Voilà donc ce qui arrive quand les demandeurs de statut de réfugié respectent les règles», explique Jaggi Singh, activiste connu depuis son arrestation à Québec en avril 2001, lors du Sommet des Amériques. «En leur envoyant le message que c'est l'avis d'expulsion qui les attend, on encourage les faux passeports, le travail au noir, l'illégalité!»

C'est le «rétablissement des renvois en Algérie» annoncé en avril dernier par le ministre fédéral de la Citoyenneté et de l'Immigration, Denis Coderre, qui a changé le cours des choses, et le destin de familles comme celle de Mourad Bourouisa, Yakout Seddiki et leur petit garçon de deux ans, Ahmed.

En reprenant sa pratique habituelle de rapatrier en Algérie les personnes qui ne sont pas admissibles au Canada, le ministère peut ainsi renvoyer d'où ils viennent tous les ressortissants algériens dont la demande, après avoir traversé les voies d'appel prévues, a été refusée.

La suspension temporaire des renvois en Algérie a été maintenue entre 1997 et avril dernier, période pendant laquelle le ministère fédéral jugeait que les conditions qui régnaient là-bas «mettaient sérieusement en danger la vie ou la sécurité de la population en général». Après évaluation fédérale, cette prémisse ne tient plus la route.

Ils sont donc un potentiel de 1000 Algériens, à qui on a refusé le statut de réfugiés, mais qui sont restés au Canada pour raisons de sécurité, et dont le dossier doit maintenant être réévalué. «Ce ne sont pas les 1000 qui retournent en Algérie demain», a précisé hier Robert Gervais, porte-parole d'Immigration Canada, à l'aéroport de Dorval où le couple Seddiki-Bourouisa était attendu avant 14h. «La vaste majorité sont devant les tribunaux [auxquels ils ont accès pour défendre leurs arguments], et plusieurs vont demeurer ici.» Depuis la levée du moratoire, 32 Algériens ont été expulsés, et une dizaine d'autres sont «prêts pour le renvoi», a précisé M. Gervais.

Le Québec, quant à lui, admet son impuissance totale dans le dossier. «Malheureusement, pas de commentaires, parce que la gestion des réfugiés et la déportation sont de responsabilité fédérale exclusive, tout le dossier est du ressort fédéral», a expliqué hier Geneviève Mathieu, attachée de presse du ministre délégué à la Citoyenneté et à l'Immigration, André Boulerice.

Il a été impossible de joindre hier le porte-parole du ministre Denis Coderre.

Source: Le Devoir