2010 sera-t-elle une nouvelle chance pour le changement démocratique ?

Quel mal a frappé l’opposition démocratique algérienne pour rester en l’état près de 60 ans d’indépendance ? Autrement dit, pourquoi a-t-elle toujours été foulée aux pieds par les différents gouvernements et boudée par les populations au point qu’elle est devenue un élément négligeable dans les annales de la politique algérienne ? Une sorte de coquille vide qu’on exhibe pour anesthésier l’opinion et permettre la pérennité du pouvoir qu’elle est censée contrôler, voire sanctionner. Qui du peuple ou des leaders de cette opposition sont imputables de ses échecs successifs ? Qui du peuple ou des leaders peuvent être blâmés pour immaturité politique ? On a vite envie de disculper le peuple, sachant que de nombreux pays doivent leur émancipation à un leader politique avec une vision claire et un engagement communicatif.



Chaque peuple recèle en lui des graines de ces visionnaires exemplaires. Et l’Algérie n’est pas en reste. Des noms illustres ont marqué le parcours de la contestation et symbolisé l’opposition au pouvoir en place. Mais leur actions, souvent confinées dans des sphères élitistes, n’ont pas eu l’impact nécessaire pour leur valoir l’adhésion du peuple. Et c’est cette incapacité à rejoindre le plus grand nombre d’Algériens qui les a disqualifiés tout en permettant leur marginalisation par un pouvoir de plus en plus despotique mais qui, paradoxalement, trouve ses appuis et puise ses forces dans ce peuple qu’il méprise et opprime depuis des décennies.

Quel langage et quel message ?

Comment éviter aux initiatives d’opposition d’autres échecs dans la quête et la lutte pour un Etat de droit en Algérie ? Comment s’y prendre pour parler au peuple algérien de cette qualité de vie qu’il n’a pas parce que la minorité aux commandes a décidé de tout accaparer ? Comment le convaincre qu’il est capable de recouvrer ses droits confisqués et qu’il est le seul qui puisse donner à son quotidien du sens et du plaisir à vivre sous le ciel d’Algérie ? Qu’il est le seul qui puisse offrir à ses enfants et ses petits-enfants autre chose qu’un peuple désemparé dans un pays dévasté ? Comment s’y prendre pour ne pas tacher les uns et les autres, sachant les virus de la division qui pullulent dans le pays et intoxiquent le MOI algérien ? Que faudrait-il dire ? Quel langage utiliser pour ne pas blesser, ne pas décourager ? Où trouver les mots ? Des mots justes, convaincants et engageants ! Comment présenter une alternative de changement sans soulever la haine ni faire dans la dérision ? Quel message choisir pour parler aux Algériens de ce que leur vie devrait être dans un pays aussi beau que l’Algérie ? Un pays que tant de gens leur envient, mais dont eux ne perçoivent que ce côté obscur qui génère désespoir et lamentation.

A priori, cela semble simple de parler aux gens de leurs intérêts communs. De leur dire les choses comme elles sont, en s’appuyant sur leur réalité. Il suffit de recenser les sources de leur misère ambiante, de montrer leur point d’ancrage dans le mode de gouvernance, de désigner pour chaque fléau son ou ses responsables comme cela se fait dans les pays respectables. Cela paraît d’autant plus réalisable que la malvie a pris des allures d’une pandémie inquiétante. Elle a barbouillé ce beau pays jusqu’à faire de sa légendaire capitale, Alger, une des villes les plus sales du monde. Qui aurait cru que près de 60 ans après l’indépendance et une manne pétrolière plus que généreuse, on n’ait pas une ville moderne digne de l’Algérie et l’histoire de son peuple ? Il y a quelque temps, on se réjouissait à l’idée que des Emiratis allaient donner ce visage respectable à notre capitale. Y a-t-il vraiment matière à s’enorgueillir d’un tel projet ?

Sachant que nos ressources, qui auraient pu réaliser tant de projets et offrir aux Algériens un cadre de vie plus convenable, échappent à tout contrôle et sont dilapidées, quand elles ne prennent pas le chemin "overseas". Cela sans parler du génie algérien contraint à l’exil et qui, aujourd’hui, excelle et bâtit pour d’autres peuples que le sien. Ni des enfants de ce pays acculés à l’enfer de l’immigration clandestine, quand ils ne finissent pas en cadavres sur les plages de la rive nord de la Méditerranée.

L’opposition, instrument essentiel de la démocratie

Devant une telle débandade, les prétendants à l’opposition algérienne ne seraient-ils pas en mesure de concocter une union digne de respect pour une action pacifique capable de mettre le pouvoir au pied du mur ? Sont-ils capables de dépasser leurs clivages et de tendre la main aux populations abusées, au moment où tout un chacun dénonce et blâme à tour de bras le gouvernement, les institutions, l’administration, les élus, bref l’ensemble de ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir dans le pays. Qu’est-ce qu’une force d’opposition si elle ne fait barrage aux dérives d’un pouvoir ? C’est la mission essentielle de toute opposition qui se respecte. Et toute nation qui se respecte doit en avoir une. Elle est légitime et indispensable à la bonne gouvernance. Parce que tout pouvoir génère des abus et, par conséquent, de l’opposition. Ceci est dans l’ordre des choses. Et plus le pouvoir s’amplifie chez un homme, plus les tentations d’en abuser sont grandes et plus nécessaire sera la force qu’opposition.

C’est un garde-fou que les humains se donnent pour justement prévenir les abus potentiels de leurs congénères. En fait, c’est un des principaux instruments de la démocratie. Et les régimes autoritaires n’ont ni l’intention ni l’intérêt de laisser se former et s’épanouir une opposition dont la mission est justement de les contrôler et de leur demander des comptes au nom du peuple. Elle peut même révoquer leur pouvoir par la voie des urnes et les remplacer dans un jeu politique ouvert à l’alternance, comme cela se pratique dans les démocraties. Mais qui dit régime autoritaire dit absence de démocratie, donc absence d’alternance au pouvoir et donc pas de comptes à rendre au peuple. Aussi dans ce contexte, les gouvernants s’emploient à corrompre et/ou pervertir l’opposition de manière à la discréditer aux yeux du peuple. Et si cette recette ne fonctionne pas pour tout le monde, il y a tout un cocktail de moyens de dissuasion comme la pression, l’intimidation, la menace et même parfois des solutions brutales à l’exemple des disparitions.

En Algérie, ce n’est pas faute d’exister, l’opposition a toujours fait partie du décor, mais sans réel impact sur les affaires du pays. S’il y avait une opposition soucieuse de l’intérêt public et des enjeux auxquels est confronté notre pays, l’Algérie ne serait pas sur la liste des Etats les plus mal gouvernés, autrement dit les plus corrompus du monde. S’il y avait une opposition préoccupée par les défis qui attendent le peuple algérien dans le futur, une fois que le baril de pétrole aura cessé d’être notre bouée de sauvetage, sans doute qu’il n’y aurait pas eu de violation de la Constitution ni de troisième mandat. Et encore moins le risque d’une République à caractère héréditaire comme toutes celles que nous évoquons avec dédain parce qu’elles nous donnent de l’urticaire. Et c’est cela, le grand changement qui se fait sentir dans notre pays.

La détérioration du contexte social et politique requiert la formation d’une opposition capable de faire aboutir la revendication du peuple pour un passage à l’Etat de droit. Nous ne sommes pas immatures pour rester enfermés dans un état d’urgence. Depuis l’indépendance, le peuple algérien a cumulé des expériences, souvent douloureuses hélas, qui lui permettent aujourd’hui de faire la part des choses et de reprendre ses droits. Il doit se libérer de toute oppression et accéder, chez lui, à une qualité de vie qu’il n’aurait pas à chercher ailleurs. Il en a les moyens humains et matériels. C’est un devoir envers les générations futures que de leur laisser une patrie où il fait bon vivre et prospérer. A charge pour les partisans du changement démocratique (toutes initiatives confondues) de se montrer à la hauteur de ces attentes. Leur atout majeur, c’est la formidable énergie de la jeunesse algérienne, plus que jamais résolue à se faire entendre. De toutes les façons.

Source: El Watan - Edition du 5 février 2010