Choc thermique et choc culturel

Les candidats appréhendent le « choc thermique » à leur arrivée. Mais là n’est pas le plus difficile. Certes, lorsque des tempêtes sont annoncées, que les thermomètres affichent des températures de l’ordre de - 40°C, le grand froid qui s’installe est redoutable. Mais ces situations sont peu fréquentes. Elles surviennent deux à cinq fois dans la saison, et ont une durée moyenne de trois jours. Hormis ces périodes extrêmes, les températures durables sur toute la saison sont généralement supportables. D’ailleurs, les températures de -15°C ou -20°C provoquent une sensation de froid comparable à ce que l’on ressent sur le littoral de l’Afrique du Nord, sous des températures de l’ordre de +5°C. Ce phénomène est constaté par tous. Des tentatives d’explication sont avancées. Mais les arguments émanent de personnes non qualifiées dans ce domaine et sont peu convaincants. Le froid ne peut raisonnablement constituer une source d’inquiétude pour l’émigrant. Le « choc culturel », par contre, est plus nettement marquant. Les émigrants provenant des pays du Maghreb ont cette fâcheuse tendance à appliquer au Canada les standards européens en tous genres.

Pour eux, le Canada est semblable à la France ou à l’Espagne, pays qui leur sont familiers culturellement. Or, le Canada fait partie d’une aire civilisationnelle distincte de l’Europe, même si dans certaines de ses provinces on parle français. Les similitudes s’arrêtent à la langue. La culture en tant que système de valeurs, de conduites sociales, de mode de pensée et d’agir est à quelques nuances près la même partout au Canada. On admet que le Canada a son identité propre. Sa culture s’apparente certes à celle des USA, mais elle en est distincte sur biens des aspects. L’assimilation du modèle culturel canadien n’est pas facile. Les repères et les grilles de lecture de l’émigrant seront inopérants pour comprendre la société d’accueil. Pourtant, le Nord-Africain est privilégié par sa double culture (arabo-berbère et française) qui devrait favoriser le décodage des leviers qui articulent la société. La communication avec l’environnement social sera d’autant plus délicate que les Canadiens, de leur côté, ont des idées préconçues sur l’étranger émigrant. Ils en ont une image réductrice. Ils sont imprégnés du réflexe psychologique, connu sous le concept d’« effet de halo ». Ce mécanisme psychologique consiste à prêter des qualités ou des défauts à un individu ou à une population sur la base d’une seule caractéristique réelle observée chez ce sujet. Ainsi, si on vient d’un pays sous-développé, on se verrait greffer d’autres attributs du même ordre, c’est-à-dire « nécessairement » moins cultivé, moins qualifié...

Les différences culturelles perturbent notre compréhension du monde, déstabilisent nos habitudes d’interagir avec le milieu, ébranlent nos certitudes et faussent notre perception des choses. Ces fortes turbulences finissent, parfois, par affecter l’équilibre psychologique de l’individu. Voici des exemples d’actes culturels distinctifs les plus banals : la manière de rédiger une lettre de motivation ou de présenter un curriculum vitae obéit à un formalisme propre à l’Amérique du Nord. Dans ce pays d’accueil, on ne se serre la main qu’une seule fois dans la vie, à l’occasion des présentations. Les prix, dans le commerce, sont affichés en hors taxes, et il appartient à chacun de faire appel au calcul mental pour y ajouter les deux taxes qui s’y appliquent.

Le système métrique, quoique réputé universel, s’efface ici au profit du système de mesures britanniques. Un effort cérébral sera requis pour une juste appréciation de la surface d’un appartement exprimée en pieds carrés, d’une longueur indiquée en pouces linéaires .... Pour s’habiller, pour se chausser, il faut adopter une autre échelle des tailles. Si on dit « merci », on s’entendra répondre « bienvenue », et non « pas de quoi ». Beaucoup de comportements ou d’expressions, en usage dans l’univers de l’émigrant risquent d’être inconvenants pour le Canadien. Si on rend visite à une famille canadienne amie et qu’on est un homme, abstenons-nous de faire la bise au monsieur, mais il est de bienséance d’en faire une à son épouse.


Le statut de l’homme remis en cause

Les exigences d’une vie nouvelle, l’embrouille des repères habituels et la découverte du stress qui s’installe insidieusement créent de dangereuses tensions mentales, fragilisant la vie familiale et les relations avec autrui. Là encore, le constat est observé par un grand nombre. Dans ce cas aussi, les explications proposées ne sont jamais satisfaisantes. L’opinion la plus répandue à ce sujet situe les causes dans le rôle reconnu à la femme dans la cellule familiale. En général, elle est la première à accéder à un emploi, ce qui lui octroie de fait une position déterminante dans la famille et un statut social valorisant. Le chômage, souvent durable, frappe plus sévèrement la gent masculine. La possession d’une fiche de paie bouleverse l’ordre familial. La femme travailleuse sera l’interlocutrice préférée des compagnies offrant des services de télécommunications ou d’abonnement à divers réseaux indispensables dans le contexte canadien.

Les services publics confortent ce statut privilégié de la femme en lui reconnaissant un rôle particulier au sein de la cellule familiale, dans la mesure où elle est la bénéficiaire des prestations pour enfants (diverses allocations sociales). La charge de travail, tant au foyer qu’en milieu professionnel, imposera vite à l’homme une nécessaire participation aux rebutantes tâches ménagères. L’émigrant, devenu désormais « résident permanent » est confronté à la pénible gestion de ses angoisses. L’accessibilité de tous aux biens disponibles à profusion, la liberté tant recherchée et finalement acquise, ne compensent pas l’équilibre psychologique sérieusement ébranlé.

La conjugaison de ces situations provoque chez l’homme des frustrations, une certaine gêne, la perte de la confiance en soi. Il se sent privé de l’exercice des responsabilités qui, culturellement, sont les siennes. Ces conditions de vie inconfortables, vécues comme des outrages à la personne, ouvrent la voie à l’émergence de conflits au sein des familles. Des crises s’installent fortuitement dans les couples et s’expriment sous des prétextes les plus variés. Les acteurs demeureront longtemps inconscients des ressorts psychologiques qui les déclenchent. Si les conflits évoqués sont réels, le diagnostic est toutefois hasardeux. Les jeunes s’adaptent avec beaucoup d’aisance. Par contre, les adultes sont marqués par une grande rigidité observable dans leur conduite sociale, dans leurs attitudes intellectuelles, dans leur style de communication, dans leurs comportements en tous genres, y compris dans leurs mouvements corporels.

Les difficultés d’adaptation sont plus apparentes et plus prononcées chez les plus de 40 ans. L’entrave pour l’accès au marché du travail pour ces catégories est un signe aggravant. Ils sont plus sensibles aux bouleversements dans le rythme de vie et dans les habitudes de consommation. Tisser des liens sociaux stables et durables est une entreprise délicate. Les rapports entre les individus sont distants. Tout est éphémère, à l’image de la production des biens et services, ou, mieux encore, à l’instar du mode de vie. Le Canadien ne s’attache pas aux biens, pas plus qu’aux personnes. Ni le village natal, ni la maison parentale, ni l’école fréquentée, ni le cercle d’amis, ne constituent des points d’attache forts. Les cellules familiales se composent, se désintègrent et se recomposent, avec d’autres partenaires, au gré des convenances de chacun.

Les unions stables sont rares. Le lien difficilement établi avec le voisin prend fin définitivement avec le déménagement. Les contacts professionnels durent le temps de la relation de travail. Autre caractéristique à noter : la grande mobilité des populations. Les déménagements fréquents font partie du mode de vie. On change de résidence pour se rapprocher du lieu de travail, ou d’école pour les enfants, ou tout simplement pour améliorer le standing de vie. Les procédés de construction eux-mêmes n’échappent pas à cette notion de précarité, de satisfaction des besoins pour un horizon proche. Les habitations sont conçues pour durer une génération. Les immeubles sont bâtis essentiellement avec du bois. Seules les structures porteuses des fondations (poteaux et poutres) sont faites d’aciers et rarement de béton. Ce choix s’est imposé par des contraintes économiques (abondance du bois dans le pays) et climatiques (exigence d’isolation et de chauffage au moindre coût). Les bas prix de cession conjugués aux avantageux financements modulés selon les revenus font que la maison individuelle (unifamiliale) est à la portée de la grande majorité des ménages.

Les goûts alimentaires éduqués aux saveurs méditerranéennes seront certainement déçus par les mets canadiens. La restauration typiquement canadienne, peu variée, est peu raffinée, à l’instar des menus des pays nordiques. La poutine est pour le Québec ce que le couscous est aux Maghrébins. Ce plat du terroir, à base de pommes de terre, est bien apprécié des gourmets. Les Québécois en raffolent et les étrangers le dégustent. Mais dans l’ensemble, la carte gastronomique n’a pas les faveurs des palais méditerranéens. En fait, le pays n’a pas cultivé de traditions dans l’art culinaire pour diverses considérations liées à la fois aux conditions de vie des populations et au contexte climatique. La cuisine résulte des sources de nourriture disponibles dans un pays couvert de neige durant 5 mois dans l’année. Cette observation vaut pour quelques provinces seulement. Toutefois, l’émigration a considérablement enrichi le Canada dans le domaine de la cuisine. Aujourd’hui, de nombreuses chaînes de restaurants vous proposent des spécialités de toutes les nationalités.

Mais, ceci n’est valable que pour les grandes villes. Dans les villes et villages de moindre importance, il est difficile de manger de façon satisfaisante pour un non-autochtone. Il est un autre sujet de désagrément : les adeptes du football seront désappointés, car cette discipline, qu’on appelle ici le soccer, occupe une place négligeable dans l’espace sportif. Certes, des clubs de football sont présents un peu partout et les Canadiens commencent à s’y intéresser. Cependant, ils sont animés essentiellement par des émigrants d’origine latino-américaine, européenne ou africaine. Mais ces clubs n’ont pas les faveurs d’un nombreux public et suscitent donc peu l’intérêt des médias. L’émigrant, de son côté, manquera d’enthousiasme face aux matches de hockey et restera indifférent devant une partie de golf. Sûrement, il s’ennuiera les dimanches face à son écran de TV


Des lois généreuses, une société réticente

Les difficultés évoquées jusqu’ici sont certes contrariantes, mais demeurent surmontables pour quiconque possède la persévérance, la ténacité et la patience. La contrainte majeure réside ailleurs. Elle est dans les dispositions de la société à accueillir les émigrants. La législation canadienne reconnaît aux émigrants tous les droits dont jouissent les citoyens du pays, hormis celui de voter et de se faire délivrer un passeport. La volonté des autorités publiques d’encourager l’émigration, d’assurer son accueil et de faciliter son insertion est affirmée dans le discours politique et confortée par des textes juridiques. Des programmes d’accueil, d’orientation, de formation, d’apprentissage linguistique et d’assistance dans divers domaines sont mis en place. Des ressources financières substantielles sont allouées à ces programmes. La volonté des gouvernants d’assurer l’installation des émigrants est réelle et sans reproche. Désireux de stabiliser les candidats reçus, la loi sur « l’immigration et la protection des réfugiés » prévoit des dispositions de facilitation de parrainage (regroupement familial), particulièrement lorsqu’il s’agit de réunir des conjoints.

La loi accorde au résidant permanent la faculté d’obtenir la citoyenneté canadienne, après trois années de présence au Canada. Pour parfaire ces louables intentions des institutions, soulignons que le Canada est, parmi les pays démocratiques, le seul à avoir inscrit le multiculturalisme dans sa Constitution. Les moyens juridiques et logistiques sont donc mis en œuvre, a priori, pour la bonne réussite de l’établissement du candidat dans le pays d’accueil. C’est là l’objectif déclaré des autorités de l’immigration. A ce stade de la réflexion, nous nous sommes situés au niveau de l’instance fédérale qui a compétence exclusive pour légiférer en matière d’immigration. Dans la pratique, ces bonnes volontés, cet arsenal juridique, ces moyens financiers affectés aux programmes d’immigration se heurtent à de tenaces réticences de la société. De la société québécoise, devrais-je préciser.

L’opinion qui suit, quoique personnelle, corrobore néanmoins des avis recueillis lors de conversations privées tant avec des immigrants de différentes nationalités qu’auprès de quelques Canadiens attentifs aux mœurs de leur société. Cette opinion est circonscrite au seul espace géographique et culturel du Québec. La limitation est dictée par trois considérations. D’abord, les flux d’immigrants provenant d’Algérie se dirigent principalement vers cette province pour des raisons essentiellement de langue (primauté du français), de présence d’une forte communauté nationale, de la proximité d’un aéroport en liaison avec l’Afrique du Nord...

Ensuite, hors Québec, les rapports entre les immigrants et les collectivités de souches plus anciennes sont autrement plus policés. Les populations anglophones, de l’avis général, sont plus ouvertes à autrui, plus tolérantes, plus accommodantes, davantage libérées des préjugés et très respectueuses des lois et de l’esprit des lois. Au Québec, le rapport à l’immigrant est chargé d’incompréhension, de distanciation, voire d’animosité. Les relations couvent un état de conflit latent. Dans son vécu quotidien, à tort ou à raison, l’immigrant a le sentiment d’être objet d’arbitraire, rejeté, marginalisé. Un arbitraire qui provient, il faut le souligner, non pas des institutions mais de certaines couches sociales. La société québécoise, fermée sur elle-même, se plaint dans ses confidences de cette présence « étrangère ». L’argumentation développée résulte davantage d’états émotifs que de l’élaboration intellectuelle. Les menaces sur l’emploi ou les valeurs québécoises, prétendument en danger, sont les principaux thèmes avancés. Ces sujets renvoient au registre bien connu de l’exploitation des angoisses et du sentiment identitaire. Ils rappellent le lexique des mouvements d’extrême droite européens.

Québec, une société distincte Étrange retournement de ce peuple québécois qui a pourtant souffert de l’oppression et de l’exclusion et qui en porte encore les stigmates. Le Québec ne cesse de rappeler, dans ses ouvrages scolaires et dans diverses manifestations, son histoire tourmentée. Une histoire douloureuse qui évoque un peuple mal considéré et malmené par la puissante collectivité anglophone. En même temps, la société subissait l’emprise de l’idéologie du clergé catholique qui prêchait la soumission à l’ordre établi, la docilité, l’acceptation du destin et le désintérêt pour la richesse matérielle terrestre. L’attitude « réservée » des Québécois à l’égard des immigrants est, dès lors, surprenante et décevante. Cette attitude distante à l’égard de l’étranger, cette méfiance qui s’apparente à de l’hostilité, ne cible pas des communautés distinctes. Elle est dirigée contre tout ce qui n’est pas « pure laine » (appellation que les Québécois se donnent). C’est pourquoi, des groupes de diverses communautés s’accordent à déplorer l’attitude négative d’une partie non négligeable de la population québécoise.

Le principe d’accommodement raisonnable, censé répondre à quelques spécificités des communautés, appliqué à l’échelle de la province, n’a eu qu’un impact limité. Cette description de la réalité sociale est confirmée par des études et recherches universitaires et par des statistiques officielles. La classe politique de la province, tenue de ne pas s’écarter des idéaux moraux et humains portés par la « Charte des droits et libertés », d’une part, et soucieuse de ne pas s’aliéner les franges de l’électorat d’autre part, use d’euphémismes, d’interprétations et autres subterfuges pour atténuer la substance du message que révèlent les sondages. « Non les Québécois ne sont pas racistes, ils ont seulement peur des étrangers », disent-ils. Cependant, la discrimination dans l’accès à l’emploi est flagrante, intentionnelle et systématique. Elle est d’une telle ampleur qu’elle ne peut se suffire de discours de circonstance, courtois et rassurants. Alors, quelques initiatives sont prises en faveur des « minorités visibles ».

D’autorité, les entreprises parapubliques et les institutions étatiques sont instruites pour intégrer ces catégories dans leurs effectifs dans des proportions définies. Mais que représentent ces secteurs en termes d’emplois dans une économie dominée par le libéralisme. Le Québec est, peut-être, la seule région en Amérique du Nord qui se singularise par une large pratique de recrutements dominée par le « réseautage ». Un concept bien québécois. Le réseautage consiste à embaucher et à promouvoir sur la base d’affinités familiales, amicales, sociales ou autres ... Pourtant, la préférence des meilleurs profils devrait primer sur tout autre considération dans un espace économique où la survie et la croissance de l’entreprise passent par l’excellence dans le management. Face à une société d’apparence réticente vis-à-vis du mouvement migratoire, les réponses des immigrants sont diverses. Les plus audacieux (toutes nationalités confondues) adoptent des solutions individuelles et quittent le Québec pour s’installer ailleurs dans le vaste pays.

Certains recourent au repli communautaire. D’autres encore préfèrent s’organiser pour réfléchir et agir collectivement sur le terrain de la société civile. A court terme, aucune solution viable et efficace n’est disponible. A long terme, la solution se profile à travers la conjugaison de plusieurs facteurs. D’abord les pouvoirs publics ne pourront maintenir encore trop longtemps ce statu quo. Des pressions s’exercent sur les acteurs politiques pour accélérer l’évolution des mentalités et des pratiques. Des mesures hardies et courageuses s’imposent. Le principe d’accommodements raisonnables appliqué à l’échelle de la province est déjà un acte significatif allant dans le bon sens. Encore là, faut-il déplorer l’usage abusif qui en est fait par certaines communautés. Ensuite, le renforcement de la collectivité d’immigrants, par des flux toujours croissants de nouveaux arrivants, tendra à former une masse critique qui influencera les choix politiques.

L’émigration constituera aussi, à terme, un potentiel important de consommateurs et les entreprises devront alors en tenir compte dans leur intérêt bien compris. Enfin, les nouvelles générations ont eu à fréquenter les émigrants dans les cursus scolaires et universitaires ou dans les clubs sportifs. Ils se démarquent, généralement, des idées préconçues de leurs parents. D’ailleurs, les jeunes aiment à se définir comme citoyens du monde. Les mariages mixtes qui se multiplient chez cette frange de la population augurent de meilleurs lendemains. Soulignons aussi que les émigrants investissent intensément dans l’éducation de leurs enfants. Si vous êtes confiants dans la capacité du Canada à surmonter ses faiblesses qui peuvent apparaître ici et là pour être toujours à l’avant-garde du progrès social et des valeurs morales, alors laissez- vous tenter par un projet d’émigration.

M. C. O. H. : Consultant en Immigration agréé par CSIC Canada Membre fellow de l’Institut Canadien de la Migration immigration_ Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.


Source: http://www.elwatan.com/Immigration-au-Canada-Des,144321