Mohammed Aziz est artiste plasticien, concepteur graphique en publicité, designer et photographe professionnel.

Natif de la ville de Annaba. A la veille des Jeux Méditerranéens, Oran 2022, il nous invite à revivre son parcours créatif, lui qui à été au cœur d’événements sportifs majeurs.

Il fut membre de la Division publicitaire de quatre événements sportifs, notamment, les VIIe Jeux méditerranéens 1975, les 1ers Jeux sportifs nationaux 1976, les IIIe championnats africains de handball 1976 et les IIIe Jeux africains en 1978, créant à cette occasion, les pictogrammes des jeux, les couleurs officielles, les affiches, 07 timbres-poste (7) et bien d’autres travaux qui ont marqué toute une génération. Son talent fut honoré par le Comité International Olympique (CIO) et le gouvernement algérien pour la création des pictogrammes des IIIe jeux africains pour lesquels il s’était inspiré du patrimoine algérien des fresques du Tassili-n-Ajjer.

 

Question : Vous êtes originaire d’Annaba, la coquette, un havre de paix, une enfance dorée, j’imagine ?

Mohammed Aziz : Je suis natif de la ville d’Annaba. Je me rappelle dès mon enfance, j’étais attiré par le dessin, mon père ne voulait pas que je dessine. Pour lui, il faut être un ingénieur ou médecin. Malgré tout cela, je le faisais en cachette. Une fois au collège Max-Marchand, on avait un cours de dessin avec M. Apap. Tellement j’aimais ce cours, j’étais le meilleur de ma classe. À l’âge de treize ans, je faisais des tableaux d’après les photos de peintures des grands maîtres que j’exposais dans notre magasin de meubles situé sur le boulevard Bouzered Hocine à Annaba.

Un an après, un immigré algérien de passage à Annaba m’a fait découvrir la photographie, la retouche photo avec des crayons de couleur aquarellés, le développement des négatifs et le tirage des photos. Je me suis procuré un agrandisseur et un appareil photo au marché aux puces, et j’ai commencé à pratiquer tout seul. C’était comme de la magie quand je voyais l’image se révélait doucement devant mes yeux.

 

Question : À la lecture de votre biographie dès le départ votre carrière prend une tournure favorable, notamment la période algérienne et votre passage à l’École des Beaux-Arts d’Alger, peut-on en savoir davantage sur votre scolarité, la période, les professeurs, la vie d’étudiant de l’époque ?

Mohammed Aziz : En 1967, je me suis inscrit à l’École des Beaux-Arts d’Alger. Après trois mois d’étude, j’ai dû abandonner, faute de moyen financier. Me voilà de retour à Annaba. Je me suis retourné à mes préoccupations, c’est-à-dire la photographie et la peinture. Je peignais presque tous les jours et j’exposais dans notre magasin. Je vendais de temps en temps quelques toiles. Aussi, je parcourais les magasins de photo à Annaba pour leur offrir mes services en retouche et coloriage des épreuves photographiques.

En 1968, voilà de nouveau à l’École des Beaux-Arts d’Alger. J’avais comme professeurs de dessin M. Martinez et en étude documentaire M. Zbovoda. De jour en jour; ma situation financière de détériorée, comme je n’avais pas de bourse d’études; j’ai dû abandonner encore une fois les cours.

En septembre 1969, je passais les examens d’entrée à l’École communale des Beaux-Arts de Constantine. J’étais reçu premier par ordre de mérite à ce concours. J’ai passé trois années dans cet établissement, jusqu’à l’épreuve du CAFAS. Ces années d’études étaient très pénibles pour moi. Encore une fois, je n’avais pas d’aide financière. Les fins de semaine, je visitais les commerces de Constantine pour leur proposer un service de lettrage sur leur façade. Et, pendant les vacances d’été, je travaillais dans des magasins de photo à Annaba. Juste pour faire un peu d’argent pour mes dépenses ultérieures. À cette époque, le directeur de l’école M. Mahmoud Taoutaou, ainsi que mon professeur de dessin M. Ammar Allalouche m’ont beaucoup aidé par des petits travaux, qu’ils me procuraient de temps en temps.

 

Question : À Bourges, vous avez effectué une formation très singulière, pouvez-vous nous en dire plus ?

Mohammed Aziz : Après l’obtention du CAFAS en 1972, je me suis inscrit à l’École nationale des Beaux-Arts et des Arts appliqués à l’industrie à Bourges (France) en section «Publicité». Les études duraient trois années. Pour la préparation du Diplôme national des Beaux-Arts en section «Publicité», il fallait élaborer un projet complet en publicité. C’est-à-dire une campagne complète sur un sujet. J’avais su que l’Algérie allait organiser les VIIes Jeux méditerranéens en 1975. En me basant sur les Jeux olympiques de Munich de 1972, j’ai opté pour un projet sur les Jeux. Ma première année était fondée sur la recherche graphique des pictogrammes, le logo et les couleurs officielles des Jeux. J’ai commencé mes premières ébauches des pictogrammes en m’inspirant sur les fresques du Tassili-n-Ajjer de notre patrimoine algérien. Vers la fin de l’année en cours, après consultation avec mon professeur de publicité, M. Claude Bignolas, je lui ai demandé que je passasse mon diplôme l’année prochaine, que je sauterais directement en troisième année sans faire la deuxième. Au début, il était réticent; finalement, il avait accepté. À cette époque, on avait le droit de passer cet examen que deux fois. Si on échoue l’année suivante, on n’a plus le droit; on était définitivement calé.

Pendant toute durée de ma troisième année, j’ai travaillé comme un força. Le jour, à l’école et le soir à la Cité universitaire sans parler des fins de semaine.

Début du mois de juin 1974, c’est le jour d’examen qui se déroulait à Paris au Château de Versailles. On était cinq étudiants qui représentaient l’École des Beaux-Arts de Bourges. Une fois au Château, dans l’après-midi, il fallait exposer tous nos travaux par stand individuel. Le lendemain matin, chaque étudiant à tour de rôle devait défendre son projet devant huit jurés. En fin d’après-midi, ils nous ont communiqué les résultats des examens. J’étais le seul étudiant de l’École des Beaux-Arts de Bourges; avoir obtenu son diplôme sur les quatre collègues. C’était la grande joie, après cinq années d’étude, de misère sans revenu. Je ne pouvais plus me retenir, j’avais éclaté de sanglot devant tous ces étudiants qui attendaient leurs résultats. Tous les étudiants des Écoles de Beaux-Arts en publicité de France, les examens se déroulaient au Château de Versailles.

Du mois de juin à décembre 1974, j’avais trouvé un emploi par l’intermédiaire de mon professeur de publicité dans un studio de publicité à Paris comme maquettiste.

 

Question : Justement, à votre retour à Alger en 1975, vous avez intégré un collectif de préparation de plusieurs manifestations sportives; notamment, les Jeux africains ou votre travail de création portant sur les pictogrammes ont marqué les jeux ?

Mohammed Aziz : Tout en restant en contact avec le Ministère de la Jeunesse et des Sports. Je ne voulais pas que mon projet soit perdu dans les oubliettes, j’ai dû retourner en Algérie en janvier 1975. Après mon premier contact physique avec le Secrétaire général du Ministère, M. Si Mohamed Baghdadi. Il avait beaucoup aimé mes travaux. Du jour au lendemain, on m’avait offert le poste de chef de la division publicitaire des VIIes Jeux méditerranéens d’Alger 1975. J’étais la seule personne dans la division.

Après la grande réussite de cet événement, j’ai commencé à la préparation de la maquette du livre des Jeux. Début de 1976, on recevait ce magnifique livre des VIIes Jeux méditerranéens d’Alger 1975.

Toujours en 1976, on avait organisé les 1ers Jeux sportifs nationaux. J’ai créé le logo, l’affiche ainsi que d’autres travaux pendant la préparation et le déroulement de ces jeux. Dans la même année, j’avais offert au Président de la fédération de handball le logo officiel des IIIes Championnats africains de handball.

 

Question : La réalisation effectuée à l’époque demandait des technicités et beaucoup de savoir-faire, vous en gardez certainement des souvenirs impérissables ?

Mohammed Aziz : Pour la préparation des IIIes Jeux africains, ils avaient repris tout mon projet d’étude des jeux. Encore une fois, je me retrouvais tout seul dans ma division. J’avais réalisé pas mal de travaux, je ne pouvais pas tous les nommer, tellement c’était énorme; du logo officiel qui représentait l’Union africaine, des affiches (4), des fiches d’accréditations, des cartes Polaroid, des timbres-poste (7), etc.  Une seule chose; à cette époque, on travaillait pour le prestige du pays. On n’avait pas tous les moyens techniques qu’on a aujourd’hui.

 

Question : Qu’est-ce qui vous a poussé à partir au Canada; pour de nouveau horizon, ça marchait plutôt bien en Algérie ?

Mohammed Aziz : En 1979, je me suis inscrit à l’Université du Québec à Montréal en Design graphique, pour découvrir d’autres horizons. Après une année d’étude, je me retrouvais que j’étais en train d’apprendre ce que j’avais déjà appris auparavant. Même mon directeur du module, M. Macot a remarqué cela, il m’avait dit que j’étais en train de perdre mon temps. Il m’avait trouvé un poste comme graphiste dans une compagnie, une filière du groupe SNS. Sous le même toit, il y avait les départements de graphisme et de l’imprimerie. J’étais resté neuf années dans cette société. On touchait à tout , du dépliant aux magazines, rapport annuel, etc.

En 1986, j’ai obtenu le certificat de photographie professionnel après deux années d’étude par correspondance à Liège (Belgique)

En 1990, j’ai quitté la compagnie pour établir ma propre affaire comme pigiste en design graphique sous le nom de : BAT Design. (BAT = le bon à tirer ou le OK de presse). J’avais réalisé pas mal de travaux pour différents organismes. Ce que j’avais aimé, c’est que les projets étaient variés, pour moi, c’était un défi permanent.

En 1996, j’étais engagé comme pigiste permanent dans une maison d’édition, filiale de la multinationale Transcontinentale du Canada. Je m’occupais de la publicité des cinq magazines mensuels et des hors-séries. Chaque année, il y avait un numéro spécial annuel que je montais chez moi, hors de la compagnie. Toujours sous le nom de BAT Design. J’étais resté presque quatre années dans cette boite. En dehors de mon travail quotidien, je consacrais mon temps libre dans des recherches graphiques et photographiques. De la photographie panoramique à 360 degrés, des visites virtuelles sphériques et de la photographie en HDR (haute définition).

En 2002, j’ai déposé une marque de commerce à l’institut de la propriété intellectuelle du Canada sous le nom de : Montréal J’adore. Deux ans après, je lançais mon nouveau site web sous le nom de : Montréal en images point com. Un site qui regroupait tous mes travaux de photos panoramiques, des magazines virtuels, des visites virtuelles sur les évènements artistiques et culturels sur la ville de Montréal. Actuellement, mes œuvres photographiques sont exposées à la galerie de photo : Grizzly Montréal point com.

 

Question : Vous avez coupé les liens avec l’Algérie sur le plan professionnel depuis votre installation au Canada ?

Mohammed Aziz : J’avais toujours pensé qu’un jour je retournerais sur mes origines. Mais, pas avec la tête vide. Je l’ai déjà fait en 1975 avec mon projet des Jeux. Je suivais presque tous les événements qui se passaient en Algérie à travers le quotidien El Watan, dont j’étais abonné. Un jour, j’ai vu un article sur le tourisme où il parlait de l’après-pétrole. Il fallait trouver un sujet qui pourra lancer le tourisme en Algérie. J’avais développé un projet que j’avais intitulé : Tourisme et Patrimoine ; projet de photographie touristique en Algérie. Et portera le nom : Algérie en images; et comme slogan : l’Algérie comme vous ne l’avait jamais vu… Cela m’avait pris une année de recherche. Une fois, le projet était terminé, je l’ai présenté au Consulat d’Algérie à Montréal. Ils étaient émerveillés par le sujet. Ils l’avaient envoyé en trois exemplaires en Algérie à des organismes concernés.

 

Question : Le retour en Algérie a été porté par le souci d’apporter une plus-value de par votre savoir-faire et votre expérience dans plusieurs secteurs, seulement votre missive et coup de gueule sur les réseaux ne sont pas passés inaperçus, qu’est ce qui s’est passé ?

Mohammed Aziz : En 2012; de retour en Algérie après 32 ans de vécu au Canada; dans le but de faire progresser mon projet et d’apporter tout mon savoir-faire au développement de mon pays.

Malheureusement, ce n’était pas cela qui s’était passé. Toutes les portes étaient closes. J’avais découvert que la majorité des gens étaient attirés beaucoup plus par l’argent et non par le savoir. Vraiment, c’est bien triste. La première chose que j’avais faite, c’était d’enregistrer ma marque de commerce «Algérie en image» au niveau de l’INAPI. Heureusement, il a encore l’internet et les réseaux sociaux où je  pourrais présenter quelques-uns de mes travaux.

Voilà maintenant dix ans que je vis en Algérie sans me décourager et faire mes recherches personnelles dans l’ombre sans baisser les bras. Quand il y a la vie, il y a l’espoir. Un jour, mes travaux seront appréciés par tous mes compatriotes et étrangers. Ce que j’ai appris en Algérie : il faut être très patient. Et, cette force de caractère, je l’avais déjà depuis ma tendre enfance.

 

Question : Comment peut-on amorcer ce genre de malentendu et ouvrir le champ de l’entrepreneuriat aux compétences d’ailleurs ? Le marché algérien en bénéficiera beaucoup; que ce soit, dans la communication, dans l’art, dans l’enseignement, dans le tourisme, dans l’artisanat…etc.

Mohammed Aziz : L’Algérie est un pays qui regorge de sites éblouissant, qu’il s’agisse de son architecture et de ses monuments édifiés au rythme des civilisations qui ont marqué son histoire, depuis la préhistoire jusqu’à nos jours; de ses régions entre mer et plaines, plateaux et montagnes, désert de sable et désert de pierres; de la flore et de sa faune diversifiées; de sa culture dont les richesses restent encore à valoriser et à promouvoir auprès des touristes locaux ou étrangers.

Pour amorcer ce genre de malentendu; tout d’abord, il faut suivre une démarche bien structurée, et élaborer un plan d’action au niveau du markéting et de la publicité. Il faut travailler étape par étape avec un organigramme bien précis. Ce que j’avais remarqué, quand on organisait des événements pendant l’année, que ce soit culturel, artistique ou sportif; l’année suivante, on répétait l’événement avec les mêmes erreurs du passé au lieu de les améliorer. Il faut toujours regarder ce que font les autres pays à ce stade et ajouter une touche personnelle à l’événement. Un exemple : un artiste peintre, c’est en copiant les grands maîtres qu’il découvrira un jour son propre style.

 

Question : Les Jeux méditerranées se présentent à nos portes, à la fin du mois de juin 2022, au vu de votre expérience, avez-vous été sollicité pour accompagner cet évènement lorsqu’on sait que pour la coupe du monde au Qatar 2022, le pays organisateurs à fait appel aux équipes qui avait couvert les précédents tournois, ceux du Brésil en 2014 et de la Russie en 2018 ?

Mohammed Aziz : Je n’ai jamais été sollicité par le Comité d’organisation des Jeux méditerranéens d’Oran. Malgré mon expérience par le passé. En 2015, j’étais invité à couvrir en photographie «les Floralie d’Oran». Le soir, on m’avait fait visiter la ville en voiture. La nuit, la ville d’Oran est un autre monde, c’était magnifique. Je leur ai proposé de réaliser un livre d’art sur Oran pendant la nuit en photographie à haute résolution (HDR) qui porterait le titre : «Oran By Night», dans le cadre des Jeux méditerranéens. Et faire découvrir Oran aux Algériens et aux visiteurs étrangers; que je pouvais m’occuper de la photographie et de l’infographie du livre en question ! Malheureusement, je n’avais eu aucune nouvelle.

Quand le Qatar avait fait appelle au Brésil et à la Russie, c’est pour la réussite de son grand évènement. On ne peut pas réinventer la roue; on fait appel à des gens d’expérience. Un jour, on parlera de la réussite de la Coupe du monde du Qatar et non du Brésil ou de la Russie. Parce qu’ils ont été payés pour faire leur travail.

Pour les Jeux méditerranéens, c’est l’honneur de l’Algérie qui est en jeu. Il y a tout le bassin méditerranéen qui nous observe à la moindre erreur.

 

Question : Comment voyez-vous les choses évoluer, pour plus d’accessibilité au projet, plus d’ouverture dans le champ professionnel ?

Mohammed Aziz : Il y a beaucoup de choses à revoir au niveau de l’accessibilité des projets. On devait engager des personnes par leur expérience dans la matière et non par familiarité, si on veut que le pays progresse. Une chose qui m’avait choqué un jour; si on demande une aide financière pour lancer un projet qui est bénéfique pour le pays, on demande à la personne son âge et non ses expériences dans le domaine. J’ai trouvé cela absurde.

 

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