J’espère que vous me lirez jusqu’à la fin, même si certains de mes propos peuvent vous paraître déplacés ou sortis de leur contexte, voire même offensants. Je m’en excuse à l’avance mais je tenais à cette mise au point. J’ai suivi quelques débats relatifs au sondage sur le racisme au Québec, dont celui animé par Mr. Paul Arcand. J’ai souvent lu ou écouté ces derniers temps des articles ou des émissions portant sur le racisme, les gangs de rue, l’immigration ou encore ces soi-disant accommodements raisonnables et j’ai été scandalisé par la facilité avec laquelle certains animateurs jettent l’anathème sur les minorités visibles. Ils leur font porter le chapeau pour tous les maux de la société québécoise, tout en refusant de voir la réalité des grandes métropoles qui doivent composer avec une population très hétérogène car venant d’horizons et de milieux divers et multiples. Le problème de Montréal n’est pas unique et toutes les grandes métropoles du monde le vivent, que ce soit aux Etats-Unis, au Canada, en Europe ou même dans le tiers-monde.

À titre d’exemple, j’ai été dépité par certains intellectuels québécois qui ont réussi à faire passer rapidement des comportements complètement isolés de certains immigrants qui ne représentent qu’eux-mêmes, pour les exploiter en les généralisant à toutes les communautés culturelles. Il y a comme anguille sous roche ! Toujours dans ce cadre, certaines émissions (aussi bien à la radio qu’à la télévision) n’ont, en fait d’émission, que le nom. Elles mettent au jour une étroitesse d’esprit de leurs animateurs, ainsi qu’une vue biaisée des choses et la partialité de leurs jugements. Pourtant, en tant que personnes publiques, ces journalistes et animateurs sont tenus à un devoir de réserve, de respect envers leur auditoire, quel qu’il soit. A ce titre, messieurs les journalistes et animateurs, vous vous devez de faire preuve de plus d’objectivité et de rigueur dans vos propos et vos assertions. Votre devoir est d’informer et non de désinformer. Parce que vous avez un micro devant vous, vous pensez que tout ce que vous dites est la vérité même, que c’est parole d’évangile. Or, sur certains sujets, notamment ceux portant sur les communautés culturelles, vous passez complètement à côté de votre plaque. Quand vous ne maîtrisez pas un sujet, informez-vous, documentez-vous, impliquez les communautés concernées, avant de l’aborder en ondes plutôt que de verser dans les stéréotypes et les jugements de valeur.

Certains de vos propos, loin de susciter un véritable débat, vous l’orientez dans une direction où prônent l’intolérance et le mépris. Pour preuve, souvent dans certaines émissions portant sur l’immigration, les gangs de rue, les accommodements raisonnables, etc. à l’exception de 2 ou 3 appels, tous les autres provenaient de personnes qui seraient prêtes à affréter des avions et des bateaux pour retourner tous les immigrants d’où ils viennent.

Or, le Canada n’aurait jamais fait venir toutes ces personnes (du tiers-monde surtout) s’il n’en avait pas besoin à court (main-d’oeuvre pour des jobs hautement techniques ou a contrario des jobs dont les Canadiens ne veulent plus) ou à long terme (problèmes démographiques) car, vous ne l’ignorez sûrement pas, charité bien ordonnée commence par soi-même.

Dans le cas des gangs de rue, pratiquement toutes les émissions qui traitent de ce sujet arrivent à la même conclusion: ce phénomène est tout simplement l’apanage des minorités visibles, que les immigrants sont tous des délinquants dangereux, des voyous, des malfaiteurs, des voleurs... Or, le problème des gangs de rue est un problème de société et s’il existe, c’est parce qu’il y a:

1. manque ou absence d’autorité et d’encadrement parentaux;
2. démission totale et irresponsabilité des professeurs du primaire et du secondaire;
3. un cadre social où la permissivité est poussée à l’extrême; les gens n’ont que des droits; ils n’ont plus d’obligations (obligations envers son prochain, son voisin, le respect des aînés, des gens, de la nature...);
4. des médias (télévision, cinéma, certaines radios, certains journaux, Internet...) qui sont de véritables relais de la dépravation d’Hollywood et qui contribuent à l’aliénation de la société en général et de la jeunesse en particulier [sexe à la télé et à la radio, relations sexuelles précoces, l’homosexualité considérée non plus comme une déviation mais comme une orientation, matérialisme, emphase mise sur le corps, le physique, la mode, le superficiel (tout ce qui n’est pas beau, svelte, pue ou on s’en moque), chansons crues et débilitantes, danses très osées et à la limite de l’érotisme...]. A ce sujet, je vous demanderais de regarder le canal VRAK-TV (16) supposé être un canal famille, à partir de 23 heures, minuit. Vous y verrez, même si VRAK-TV arrête d’émettre à 22 heures et si l’image n’est pas nette (cette chaîne devient cryptée à cette heure-là), des films pornos diffusés (à longueur de nuit, je suppose) et prenant le relais des émissions enfantines de la journée. Où est la responsabilité sociale des diffuseurs ? On ne diffuse pas ce genre de films sur un canal pour enfants, même si c’est crypté et si c’est durant la nuit.

Le phénomène des gangs de rue est la résultante des quatre points ci-dessus. A ce stade-ci, il n’y a ni Blanc, ni Noir, ni Jaune, ni Arabe, ni Juif, ni immigrant, ni mène Québécois pure laine ou tricoté serré (Bon Dieu, que je n’aime pas ces expressions !). Il y a seulement des délinquants et c’est la société dans son ensemble qui est interpellée.

Le racisme mutuel, la non-intégration, les gangs de rue, etc. Oui ces problèmes existent; je vous le concède.

Ils sont réels surtout dans les grandes villes du Québec, là où existe une certaine population de minorités visibles. Sans excuser leurs gestes, j’essayerai par contre de m’expliquer sur la situation de leurs parents qui, au Québec depuis 5, 10 ou 20 ans, n’arrivent toujours pas à sortir de leur misère, surtout morale, dans laquelle ils sont plongés depuis leur arrivée ici. Il y a de tout dans cette population d’immigrants: mis à part les réfugiés politiques ou économiques que je ne connais pas (je suppose que ce sont des cas humanitaires), les autres sont ici par choix. La plupart du temps, ils ont un bagage académique appréciable et c’est pour des raisons personnelles (subjectives) qu’ils décident d’émigrer et de choisir le Canada comme terre d’accueil et pour y refaire leur vie. Le choix quelques fois est déchirant et c’est la mort dans l’âme qu’ils finissent par prendre la décision qui va changer leur vie, pour le meilleur ou pour le pire.

C’est vous dire qu’à ce stadeci de leur cheminement, aucun d’eux ne décide d’aller dans un autre pays (quelques-uns à un âge relativement avancé) pour y jouer les truands. Au départ, ils ont tous les meilleures intentions du monde: tourner une page de leur vie pour en commencer une autre, sur des bases nouvelles.

Il s’agit d’une deuxième naissance pour eux. Ils sont prêts à des sacrifices, à travailler dur, à accepter n’importe quoi (surtout quand ils arrivent ici avec des enfants) pour démarrer. Ils savent pertinemment qu’il y a loin de la coupe aux lèvres mais ils se disent qu’en définitive, le jeu en vaut la chandelle.

Leur vision des choses commence à changer une fois confrontés avec la réalité du pays d’accueil, quelquefois quelques jours seulement après avoir atterri à l’aéroport.

Le premier écueil auquel ils doivent faire face est le travail. Celui-là est le plus difficile à surmonter. Combien d’immigrants, même universitaires, peuvent se targuer d’avoir trouvé un emploi au bout de 6 ou 10 mois après leur arrivée, même un emploi qui ne serait qu’un pis-aller. Ils ne sont pas légion, croyez-moi. Prenez mon cas, qui n’est pas unique: j’ai 52 ans, bientôt 53. Immigrant reçu, Canadien aujourd’hui, je suis à Montréal depuis 1999 (07 ans). J’ai un diplôme universitaire, un CV somme toute honnête pour ne pas dire assez étoffé et considérez le français comme ma langue maternelle. En décidant de venir au Canada, je laissais derrière moi ce qui me restait comme famille, des amis, un réseau de connaissances et un travail de cadre supérieur dans une compagnie pétrolière. J’ai mis 30 mois pour me trouver un travail après avoir tout essayé: les petites annonces, les clubs de recherche d’emploi, les agences de placement et j’en passe. Et quel travail ! Hors de ma formation dans une petite compagnie d’une trentaine de personnes. Vous me direz qu’il n’y a pas de sot métier, mais quand même ! Pris dans l’engrenage des 40 heures/semaine et les responsabilités familiales (mon épouse était avec moi, heureusement), j’ai continué quelque temps à chercher un autre travail plus rémunérateur et plus valorisant, en rapport avec mes compétences mais, de guerre lasse, j’ai abandonné. J’ai participé à plusieurs concours (une dizaine) avec le gouvernement. Je ne les ai pas tous réussis, mais j’en ai eu quelques-uns (6 ou 7) pour lesquels j’ai été convoqué par la suite pour des entrevues durant lesquelles vous êtes soumis à un barrage de questions sur vous-même ou des mises en situation. On ne m’a jamais rappelé après çà, même si j’ai à ma disposition des lettres témoignant de ma réussite à ces concours. Pourquoi ? Et s’il vous plaît, ne me parlez pas de «discrimination positive». Ça n’existe pas au Québec.

Les immigrants doivent travailler fort car un seul salaire (pas loin du SMIG) ne suffisant pas, ils sont obligés de travailler 60 à 80 heures/semaine ou de se trouver un deuxième job. Tout leur temps est donc consacré au travail, et ce, au détriment des enfants qui, eux, se retrouvent plus ou moins livrés à eux-mêmes. Et c’est là que les mauvaises rencontres et les regroupements par affinité ou par nécessité interviennent.

Des enfants québécois peuvent facilement se payer une console Xbox, Playstation, un vélo, etc. Ce n’est pas le cas de l’enfant immigrant qui, faute de moyens, se voit contraint de vivre dans le désoeuvrement et l’absence de repères. Et vous savez ce qu’on dit: «l’oisiveté est la mère de tous les vices». De plus, il est généralement à cheval sur deux cultures, dilemme difficile à résoudre, même avec une certaine expérience de la vie et qu’on sait réellement ce que l’on veut.

En plus d’un conflit de générations latent ou qui a déjà éclaté, il est timoré entre deux mondes qui, à ses yeux, ne se rejoignent pas toujours: celui de ses parents qui essayent de lui inculquer les coutumes et les valeurs du pays qu’ils ont quitté ou à tout le moins de prendre le meilleur des deux mondes, et celui qu’il trouve à l’extérieur et dans les médias.

A l’école, il se sent rejeté par ses amis de classe s’il venait à faire montre de trop de signes extérieurs inhérents à la culture de ses parents (accommodements raisonnables obligent !), d’où sa difficulté à se positionner par rapport à tout ça.

Pour sortir de cette situation d’isolement et d’incompréhension, il trouve refuge en s’associant à des jeunes qui sont dans la même situation que lui. Dans ces groupes, il se sent encadré, reconnu et accepté. Il a un fort sentiment d’appartenance. Malheureusement, c’est comme ça que naît le gang de rue qui se trouve être une manifestation d’un trop plein de frustrations liées à des besoins physiques, matériels, psychologiques et affectifs inassouvis et exacerbés encore une fois par un environnement médiatique et culturel (la publicité, la mode, le sexe, l’argent, les chansons «hard», les danses suggestives, le cinéma commercial et la télévision qui ne montrent qu’un monde éphémère, artificiel, dénué de valeurs et à des années-lumière de la réalité de tous les jours...

Même dans un gang de rue, il jouera toujours les seconds rôles, il n’aura droit qu’au strapontin et à des miettes, quand il ne devient pas tout simplement un simple homme de main ou un sous-fifre à la solde du caïd. Le Québécois, par contre, même délinquant, ne fait pas face à la méfiance de la population (on ne s’écarte pas à son passage, on prend place à côté de lui dans le bus ou dans le métro); il «passe» plus facilement, il ne se démarque pas par rapport à sa physionomie. Aussi, il aura toujours les meilleurs rôles.

Mais toujours est-il que des problèmes (notamment de gang de rue) existent. Loin de moi l’idée de le nier. Cependant, c’est un problème de société et en tant que tel, il faut le régler sans cataloguer les gens, sans mettre tout le monde dans le même sac et sans coller d’étiquette à telle ou telle minorité ethnique. Comme si les gangs de rue n’existaient pas avant les années 60 et 70 ! C’est par une mobilisation de tous que le problème peut être circonscrit car il est plus profond qu’on le pense. Une frange de la population est malade, c’est toute la société dans son ensemble qui en paiera le prix d’une manière ou d’une autre.

Il y a trop de permissivité, trop d’abus de tout, trop de laxisme.

C’est en ce sens qu’à quelque chose malheur est bon, dans la mesure où le courant néo-conservateur, qui est en train de se propager aux Etats-Unis, peut nous atteindre et remettre ainsi la société sur le chemin des valeurs léguées par tous nos ancêtres: amour, travail, famille, entraide, solidarité, don de soi... Elles ont fait leurs preuves.

Des peines plus sévères doivent être envisagées pour toutes les personnes qui transgressent la loi. Il faut arrêter d’invoquer à tout bout de champ les droits de la personne et de la jeunesse parce qu’on a peur de mettre ses culottes.

C’est en ces termes qu’il faut dénoncer les problèmes et en débattre, et non en pointant du doigt une catégorie de la population qui ne sert que de bouc émissaire. De ce point de vue, l’exemple doit venir d’en haut et descendre vers la base de la pyramide:
* du législateur tout d’abord, qui pond des lois trop laxistes et peu dissuasives;
* des autorités, tant provinciales que municipales, qui se doivent de s’engager dans de véritables politiques d’insertion et d’intégration de la population immigrante;
* des parents qui se doivent d’assumer leurs responsabilités;
* des enseignants qui n’ont plus aucune autorité sur leurs élèves;
* de la police qui se doit d’être plus présente dans la rue, autrement que dans ses belles voitures bleues et blanches et qui doit jouer plus un rôle de prévention que de pompier;
* des médias, qui se doivent d’informer objectivement la population, sans verser dans le sensationnalisme et sans se soucier toujours des cotes d’écoute.

Je disais plus haut que le rôle des autorités était de promouvoir de véritables politiques d’insertion et d’intégration pour ces gens qui viennent d’ailleurs. Il ne s’agit pas ici d’en faire des assistés dès leur arrivée, mais de les aider à mieux comprendre comment fonctionne leur pays d’accueil et dans ce processus, les municipalités doivent être mises à contribution, car le Canada, ce n’est pas seulement Montréal, Toronto ou Vancouver. Chacune des municipalités du Québec ou du reste du Canada se doit de prendre en son sein une ou plusieurs familles, afin d’éviter la ghettoïsation (la France a bien échoué) de ces gens-là.

Cette manière de procéder est doublement bénéfique: d’un côté, la famille en question apprendra le français plus rapidement; de l’autre côté, les petites municipalités se familiariseront avec ces familles, leur culture et ne les regarderont plus comme des animaux de zoo mais comme des êtres humains. A terme, cela permettra une meilleure compréhension de l’autre et atténuera les dérapages à caractère social et racial. Il ne sert à rien de ramener des gens au pays s’il n’y a pas de structures pour les recevoir et les intégrer ou s’il faut les confiner aux grandes villes, favorisant ainsi la ghettoïsation. Pour ce faire, les municipalités sont les mieux placées car en prenant chacune deux ou trois familles, le poids social est mieux réparti sur l’ensemble du territoire.

Par ailleurs, l’aide sociale qu’on donne à ces gens-là n’est pas du tout la meilleure solution sur le long terme. L’aide sociale doit être, sauf pour les cas d’incapacité structurelle, un palliatif et une aide qui doit aller en s’estompant avec le temps, quitte à instaurer une véritable politique de discrimination positive (comme cela existe aux Etats-Unis depuis plusieurs décennies) pour la durée de leur séjour en région: le coût social sera bien moindre que de créer des assistés sociaux à vie ou qui se perpétueraient de génération en génération.

Il faut encourager et aider les nouveaux immigrants notamment, à aller s’installer en dehors des grandes villes.

Et puis, croyez-moi, tous ces immigrants qui ne travaillent pas ne sont pas tous mauvais, de pauvres bougres. Loin s’en faut. Pour peu qu’on leur donne la chance de faire leurs preuves, ils la saisissent. Beaucoup ne demandent qu’un peu plus d’égalité, de justice, de compréhension et de considération, en tant que personnes, êtres humains, aspirant à une vie meilleure parce qu’ayant déjà trop souffert dans leur corps et dans leur âme et qui ont décidé d’abandonner tout et de changer de pays pour ne plus être des «damnés de la terre».

J’espère que tous ces propos n’ont rien de calomnieux et qu’ils n’expriment que le point de vue de quelqu’un qui veut s’impliquer pour apporter un plus, car il en a trop vu et trop entendu sur les immigrants depuis qu’il est ici.

A mon humble avis, les médias, encore une fois, ont leur rôle à jouer dans une information crédible et objective afin de réduire les clivages entre les différents pans de la société québécoise, les autochtones inclus qui, soit dit en passant, sont les véritables Québécois de souche.

Ceci dit, continuez votre travail et ne lâchez pas. Vos émissions et vos débats, aussi bien à la radio qu’à la télévision, vos écrits, etc. ont certainement du contenu et du mordant.

Merci de m’avoir supporté jusqu’à la fin. Non, les immigrants ne sont non plus pas racistes.

Pour ma part, je continue à boire ma tasse de thé, dans mon 5 et demi à Montréal, tout en pensant à mon petit village d’Ahnif niché au fin fond de Kabylie en Algérie.

Source: http://www.lequotidien-oran.com/quot3682/opinion.htm