Décriée en raison de l’absentéisme de ses membres et pour avoir "édulcoré les réformes politiques", la Chambre basse du Parlement algérien est au centre d’une controverse sans précédent.

L’Assemblée populaire nationale (APN, Chambre basse d’un Parlement bicaméral algérien où le Conseil de la nation fait office de Sénat) est particulièrement mal-aimée. De toutes les législatures, la sixième (2007-2012), qui s’achève dans quelques mois, est sans conteste la plus controversée. Mal élue (à peine 35 % de participation lors des législatives de mai 2007), elle se caractérise aussi par un fort émiettement de la représentation politique (389 députés pour 20 partis), avec sept groupes parlementaires. Mais le « paysage politique » de l’APN a ceci de particulier qu’il n’est pas figé. Le nomadisme politique a fait des ravages. Une trentaine d’élus ont changé d’étiquette depuis le début de la législature. Fadéla Chelouche Belgacem, élue du FLN, le confirme : « Notre parti compte désormais 160 sièges, alors que nous n’en avions que 136 en début de législature. De nombreux indépendants et représentants d’autres partis nous ont rejoints. » Le nomadisme n’est pas le seul facteur de confusion. Il y a aussi le phénomène des dissidences. Ainsi le Mouvement de la société pour la paix (MSP, d’obédience Frères musulmans) compte-t-il officiellement 51 députés, mais, dans les faits, une scission interne a amputé son groupe parlementaire d’une vingtaine d’élus se réclamant désormais du Mouvement pour la prédication et le changement (MPC, non reconnu). Ce n’est toutefois pas cette « bouillabaisse politique » qui vaut à l’Assemblée critiques et reproches.

Machisme

Dans l’imaginaire collectif, l’APN, outrageusement dominée par la majorité présidentielle (FLN, Rassemblement national démocratique [RND] et MSP, soit un total de 250 députés sur 389), n’est qu’une simple caisse de résonance, une machine à entériner les décisions du gouvernement et à adopter ses projets de loi. Si bien que le groupe parlementaire du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, de Saïd Sadi, opposition laïque, 19 députés) a décidé de suspendre ses activités parlementaires en mars 2011. Autre parti d’opposition, le Parti des travailleurs (PT, de Louisa Hanoune, d’obédience trotskiste, 26 députés) n’a jamais cessé de revendiquer la convocation de législatives anticipées. Que reproche-t-on à l’institution que préside Abdelaziz Ziari, professeur de médecine, ancien ministre et ex-conseiller d’Abdelaziz Bouteflika ? D’abord, l’absentéisme des députés, qui donne souvent l’image affligeante d’un hémicycle aux trois quarts vide au cours des sessions d’interpellation du gouvernement. Autre grief adressé à l’actuelle législature : son côté machiste. La représentation féminine au sein de l’Assemblée dépasse à peine 7 %. Un reproche balayé d’un revers de main par Farida Illimi, députée FLN d’Alger centre. « Mon mandat passe avant mon statut de femme. Je représente autant les citoyennes que les citoyens qui m’ont élue. » Un argument qu’appuie Nadia Chouitem, députée du PT : « Bien sûr que je suis fière d’appartenir à la formation qui compte le plus d’élues (11 sur 26, soit 43 % de femmes), mais la cause des femmes est également portée par des collègues hommes. Je ne pense pas que cette législature soit particulièrement machiste. » Autre argument à décharge : l’APN est l’institution de la République la plus exemplaire en matière de parité. « Sur près de 800 fonctionnaires parlementaires, affirme avec une pointe d’orgueil Daouia Tadinit, ancienne magistrate à la Cour des comptes et chargée de l’audit de la gestion de l’APN, 400 cadres et agents de maîtrise sont des femmes. »

Bouillabaisse

« Avec une rémunération vingt fois supérieure au salaire national minimum garanti (SNMG), les députés incarnent la catégorie socioprofessionnelle la mieux payée… par minute de présence », relève Mounir Damerdji, étudiant à la faculté de droit d’Alger.

Outre le reproche qui leur est fait de toucher des revenus indus, les élus de la nation ont acquis récemment la réputation d’être des « empêcheurs de réformer en rond », selon la formule d’un ancien bâtonnier d’Oran. À la suite des révolutions arabes, le président Abdelaziz Bouteflika avait décidé, le 15 avril 2011, de réformer profondément la pratique démocratique par l’introduction d’un nouvel arsenal juridique visant à améliorer le code électoral et la loi sur les partis et sur le mouvement associatif, à dépénaliser les délits de presse et à libéraliser l’espace audiovisuel. Cinq mois plus tard, les nouveaux textes de loi sont adoptés en Conseil des ministres, puis transmis au bureau de l’Assemblée. « À l’issue de trois mois de travaux en commissions et de débats en plénière, les textes adoptés sont remaniés, édulcorés, voire vidés de leur substance réformatrice », affirment en chœur des élus de l’opposition et de la majorité. En fait, la bouillabaisse politique est quasi permanente, mais le débat est réellement démocratique. Quels que soient ses déboires (l’Alliance présidentielle a enregistré la défection des islamistes lors des votes), la majorité parvient à maintenir sa « domination arithmétique » au-delà des dissidences grâce à l’apport de députés indépendants, et même, parfois, d’une partie de l’opposition. « Si l’on excepte les islamistes d’Ennahda [3 députés, NDLR], il n’y a pas de position figée chez les élus, analyse Hocine Khaldoun, député FLN. Les frontières idéologiques sont ténues. »

L’hémicycle est un authentique espace démocratique où le débat contradictoire s’exprime aussi bien en plénière qu’en commissions. Ses personnalités les plus connues ? Outre son président, Abdelaziz Ziari (FLN), le perchoir assurant une bonne visibilité, deux députés sortent du lot. Au sein de la majorité, Miloud Chorfi, chef du groupe parlementaire du RND (du Premier ministre, Ahmed Ouyahia) et ancien commentateur sportif, partage la palme du député le plus célèbre avec l’opposante Louisa Hanoune, secrétaire générale du PT et élue d’Alger. Mais les véritables stars de l’hémicycle sont moins connues en dehors des murs de l’Assemblée. Seuls les observateurs avertis de la vie parlementaire connaissent Ali Brahimi, un dissident du RCD, et Mohamed Hadebi, député islamiste d’Ennahda. Ces deux élus, qui ne sont pas du même bord, réussissent à faire salle comble à chacune de leurs interventions au cours des débats en plénière. Leur gouaille, leur rhétorique et leur hostilité à tout ce qui provient du pouvoir en ont fait les vedettes de l’hémicycle.

Encadrement

Avocat, Me Miloud Brahimi (aucun lien de parenté avec Ali, cité plus haut) est particulièrement attentif à l’institution qui « produit la législation ». À propos de l’actuelle APN, son jugement est tout en nuances : « C’est peut-être l’Assemblée la moins légitime, car mal élue, mais c’est sans doute l’une des meilleures législatures en termes de composantes humaines, avec de brillants élus et un bilan loin d’être catastrophique. » Il est vrai que l’APN compte 84 % d’universitaires, une proportion record. « Notre institution peut se vanter d’avoir créé les meilleures conditions pour la performance des élus, note Boualem Tatah, ancien directeur de centres de recherche en science nucléaire, aujourd’hui directeur de la formation et des études législatives au sein de l’APN. Nos ateliers encadrent en permanence députés et fonctionnaires parlementaires, aident les premiers à apprendre à rédiger une loi ou un amendement, et sensibilisent les seconds à la pratique démocratique. » Selon Boualem Tatah, près de la moitié des députés utilisent les nouvelles technologies de l’information et, pour certains, ont une activité soutenue dans les réseaux sociaux. Les principaux partenaires de l’APN en termes de formation continue se recrutent parmi les agences onusiennes (principalement le Programme des Nations unies pour le développement, le Pnud), le Congrès et des ONG américaines dont l’activité est consacrée à la démocratisation des institutions.


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