Le pionnier, le père et la légende de la musique raï, l’auteur de Gatlek Zizia et Milouda, Belkacem Bouteldja est très malade. Il vit actuellement dans une détresse humaine, pour ne pas dire «inhumaine», dans un dénuement total, une flagrante précarité. La rançon de la gloire en Algérie.
Sans Bouteldja Belkacem, il n’y aurait eu ni Khaled, ni Mami, ni Hasni.
C’est un Belkacem Bouteldja affaibli, squelettique, exsangue et dans une profonde déprime qui nous a reçus chez-lui, mercredi après-midi à Hay Zitoun (Dar Beida), à Oran. C’est la larme à l’œil qu’il nous balance à la figure et la face du monde (cruel) son émouvant cri lacrymal, son appel au secours, son SOS, son désespoir. Oui, une désespérance infra-humaine et invraisemblable émanant du «godfather», la légende du raï, un artiste algérien. Et ce, face à une indécente et manifeste indifférence.
Un oubli, un ostracisme et autre mépris des décideurs, le ministère de la Culture, la wilaya d’Oran, ses «collègues» artistes... Gravement malade, hospitalisé au service de pneumologie du CHU d’Oran depuis le 18 juillet 2015, Bouteldja Belkacem souffre en silence, dans son coin, broyant du noir... Il n’a trouvé que sa fille, jeune mère d’un enfant, sans emploi (son mari est contractuel) qui est venue précipitamment de Saïda où elle vit pour s’occuper de lui et surtout avec l’élan de solidarité de ses voisins, des âmes charitables.
Sa femme est handicapée motrice, il n’a pas de couverture sociale, ni de carte «Chifa», ni retraite, ni pension, ni une quelconque aide. Rien ! Aucune ressource financière. Le loyer de l’appartement n’a pas été payé depuis six mois. Il n’a même pas de quoi payer le scanner que lui a recommandé son médecin traitant. Et pour couronner le tout, comble de l’ironie, on lui a subtilisé le téléphone portable de son lit d’hôpital. C’est dire l’ampleur du drame humain que vit Bouteldja Belkacem, et par conséquent toute sa famille.
Bouteldja Belkacem, chez lui à Oran, mercredi dernier
Le ministre de la Culture est interpellé
A «l’agonie», il nous criera son déchirant désarroi avec pudeur et sans misérabilisme : «Je n’ai rien. Je ne possède absolument rien. Je suis un Algérien, mais je ne suis pas un ‘‘Algérien’’ ! Un Algérien que de nom. Je n’ai rien du tout. Abandonné ! Oublié ! Je suis abasourdi. Si je suis d’une autre nationalité, il faut me le signifier et me laisser partir dans mon pays.
J’ai toujours aimé ce pays. Je suis né en Algérie que je sache. Un pur Algérien. Et je n’ai aucun droit ? Je n’ai jamais voulu quitter l’Algérie pour m’établir en France ou ailleurs, et ce, malgré les occasions, les propositions et les offres alléchantes à l’époque (dans les années 1960 et 1970). Je suis victime d’une injustice (rani mahgour, en arabe dialectal). Pas une once de considération.
Sans prétention aucune, c’est grâce à moi que la musique raï est devenue mondiale. Grâce à mon nom. Pourquoi dois-je mériter un tel traitement en mon pays ? Vous savez, mes soins nécessitent une prise en charge, mais je n’ai personne pour me prêter assistance. Je suis seul, sans ressources. Je n’ai ni retraite, ni pension, ni carte Chifa, ni assurance, ni couverture sociale. Mon épouse est handicapée. Il faut quatre personnes pour la faire monter au troisième étage où nous habitons. Je n’ai pas d’enfants qui travaillent. Et cela dure depuis 46 ans.
Je ne vis pas de la musique raï depuis…». No comment ! Le ministre de la Culture, le wali d’Oran, le maire de la ville, la société civile, les artistes, les admirateurs de la première heure sont interpellés. Sinon ce sera de l’ingratitude. Une amnésie. Un crime de lèse-majesté. Peut-être une nouvelle «fetwa». Non-assistance à personne en danger… de disparition. Les laudatives tresses de lauriers et les larmes de crocodile ne serviront à rien.
Source: El Watan - 9 aout 2015