Le 15 juin 2013 à Montréal, la Fondation Matoub Lounès organise un hommage grandiose à l’artiste kabyle engagé Lounès Matoub au complexe sportif Marie-Victorin. Supervisé par Said Lacène et Rachid  Sais, cet évènement compte rassembler environ 17 artistes kabyles de renom pour marquer les 15 années de la cruelle disparition de l’enfant chéri du Djurdjura, un certain 25 juin 1998 en plein cœur de Kabylie. Mieux encore, cet hommage sera rehaussé par la présence de la mère du défunt Na Aldjia et de sa sœur Malika. Donc, selon les organisateurs,  tous ces artistes viendront au Québec pour rendre hommage à Matoub : Ali Ideflawen, Aloua Bahlouli, Boujmaa Agraw, Cherif Hamani, Djamel Allam, Farid Ferragui, Hamid Matoub, Hacene Ahres, Kamel Bouyakoub, Kamal Hamadi, Kamal Igman, Lounas Kheloui, Mourad Guerbas, Rabah Lani, Rabah Oufarhat  et  Yasmina. Quant à l’artiste Nouara, elle ne pourra pas venir à Montréal cet été et participer à ce méga hommage pour des raisons de santé.

 

Tidukla : l’autopsie d’un testament

Il ne suffit pas de chanter les chansons de Matoub Lounès. Il ne suffit pas non plus de lui rendre hommage chaque année. Il faut surtout saisir le sens de ses messages et de les appliquer dans la vraie vie au quotidien en tant que Kabyle. Dans cette chanson ‘’Tidukla’’ (l’union), Matoub s’adresse sans détour à ses amis de combat, à ceux avec lesquels il partage les valeurs et les idées. Donc, il ne suffit pas d’être kabyle ou de parler kabyle pour être l’ami de Matoub. Il faut partager ses valeurs, son univers d’artiste engagé et désintéressé, l’ami des opprimés et des démunis, l’adversaire des corrompus et des traitres : « Ô vent, salue ceux avec qui je partage les valeurs et les opinions. Dans la vallée de la Soumam et à Akbou, tu trouveras un camarade. Tu lui demanderas d’écrire l’histoire de ma vie, il comprendra que la haine et l’adversité sont des maladies incurables. »   En effet, la pire des choses qui pourrait arriver à une société est les déchirements qui minent ses enfants. Alors, devant ce cancer sociétal, Matoub s’adresse à la montagne majestueuse du Djurdjura : «  Ô montagne, je t’implore de m’orienter pour que je puisse indiquer le droit chemin aux Kabyles qui s’entredéchirent. L’union leur fait défaut. Ils en sont allergiques. » L’artiste souffre de ces querelles stériles qui ne peuvent que servir les ennemis des Kabyles : «  Depuis le début l’indépendance de l’Algérie, les problèmes ne cessent de prendre de l’ampleur au point de miner la paix sociale. J’ai peur que ceux qui ont pillé et ruiné le pays seront encore au pouvoir  et le festin qu’ils nous serviront sera garni d’une sauce concoctée de notre sang et de leur saleté. » Donc, il n’y aura pas de quiétude et d’avenir sans l’entente et l’union entre les Kabyles. »   Matoub rappelle aux siens que les révolutions qui ont été menées ont failli à cause des guéguerres entre frères et à cause de la course aux leaderships malsains. Aussi, les ambitions personnelles des uns et des autres ont donné l’occasion aux manipulateurs d’asseoir les desseins des ennemis de la Kabylie. Et l’artiste de conclure : «  Les grands manipulateurs sont toujours polis et sournois. Sans la vigilance et la perspicacité, le bateau kabyle coulera un jour ou l’autre. »

Ô peuple amazigh !

 Ce qui fait un peuple est sans aucun doute le génie de ses enfants bâtisseurs. Ils construisent du sens dans tous les domaines tout en respectant le travail soutenu de ceux et celles qui les ont précédés. Les détracteurs de la vie peuvent éliminer les corps, détruire les villes, incendier les forêts, piller les richesses, mais ils ne pourront jamais effacer la mémoire d’un peuple et sa détermination à demeurer debout. Pourrait-on un jour oublier la reine Dyhia, le roi Jugurtha,  Fadma N’Soumer, Kateb Yacine, Tahar Djalout, Mouloud Mammeri, Taos Amrouche, Jean Amrouche et tant d’autres ? La réponse est non, car il y a eu des femmes et des hommes qui ont assuré la suite du combat et de la résistance face à l’adversité et à l’obscurantisme. Il est certes plus facile de savourer son petit confort matériel que de lutter pour une société juste, moderne et fière de ses racines, mais voilà, des hommes et des femmes ont choisi le chemin le plus ardu, la vie la plus déroutante, mais ô combien apaisante du point de vue moral et politique.  Ils ont donc dédié leur vie à la cause de leur peuple. Et Matoub Lounes fait partie de cette génération qui a tout donné à son identité tout en sachant que sa vie était menacée. Il a préféré mourir pour ses idées que de mourir de vieillesse. Lounès Matoub aurait pu vivre comme un prince grâce à son talent d’artiste loin des combats. Aussi, il aurait pu chanter du chaabi en arabe et être adulé même par ses détracteurs actuels. Mais non, il a opté pour un art engagé. Un art qu’il a rehaussé par ses mélodies sublimes et par ses textes amazighs recherchés. Des textes peuplés de métaphores et d’expression kabyles tellement profondes qu’elles finissent tôt ou tard par percer les cœurs et les cerveaux de ceux et celles qui les écoutent et les réécoutent. En effet, toutes ses chansons renvoient à l’amour de la femme, de la patrie, de l’amitié, de l’intégrité, mais surtout à l’identité et à l’union entre les Amazighs. Le peuple amazigh a tellement subi des envahisseurs et leurs cultures qu’il a fini par se réfugier dans les montagnes et les souvenirs du passé oubliant son présent et ses propres enfants vivants qui travaillent jour et nuit pour qu’il garde la tête haute et fière. Il y a eu certes des Jugurtha, des Massinissa, des Abane, mais aussi et surtout des Matoub, des Rachid Alliche, des Ben Mohammed, des Kaci Lounas, des Mohand Ouharoun et des milliers d’autres.  Toutes ces personnes vivantes ou mortes ont bâti son présent et assuré la pérennité de son identité et de sa culture. Ce peuple doit donc se secouer et réaliser à quel point ses enfants l’ont aimé et l’aiment encore. Il doit les aimer à son tour et les protéger des forces du mal qui ne cessent de les guetter morts ou vivants.

Moralité, il faut s’aimer, se respecter, se protéger et s’unir pour construire un pays, promouvoir une identité et assurer l’avenir de l’amazighité. Tel est le vrai testament de Matoub Lounès.


Source: Taghamsa - 28 mai 2013