Vivant dans mon confort canadien, je n’ai jamais trouvé approprié d’intervenir publiquement dans ce qui se passe en Algérie. Ce n’était pas l’envie qui me manquait.

Comme la majorité des membres de la diaspora algérienne à l’étranger, nous discutons souvent, entre amis, des difficultés que vit le pays et des solutions possibles qui permettraient à l’Algérie d’accéder au rang de pays développé. Sans rien enlever à nos compatriotes qui oeuvrent au pays, il y a, parmi mes amis compatriotes algériens établis au Canada et aux États-Unis, des sommités très sollicitées par les plus grandes entreprises et gouvernements occidentaux pour leur savoir et leur expertise.

Il est regrettable qu’ils ne soient pas en Algérie à aider au développement du pays. Il est aussi navrant de constater que la plupart des nouvelles qui nous viennent du pays éloignent souvent l’espoir de le voir s’améliorer. Celles, par exemple, entourant la gestion des problèmes financiers d’EEPAD en font partie.
À ce sujet, j’ai été estomaqué de lire, dans le journal El Moudjahid d’hier (12 sept. 2009), que le ministre des PTICs invite les clients d’EEPAD à basculer vers Algérie Télécom. Mais que deviennent les 600 employés dans tout ça? Est-ce que le ministre les invite aussi à se faire embaucher par Algérie Télécom? En ce qui concerne les conflits commerciaux, un ministre doit faire preuve de neutralité. Il ne doit, en aucun cas, inciter des clients à changer de fournisseur et encore moins à en favoriser un par rapport à d’autres. Quelle aurait été sa décision si tous les fournisseurs étaient privés?
Le ministre semble convaincu que la faillite d’EEPAD est la meilleure solution. Pour qui et pourquoi? En fait, une chose est sûre pour Algérie Télécom : ce serait la garantie que les 3.5 milliards de dette ne seront jamais récupérés. Pour les employés, ce sera à coup sûr le chômage.

Pour les abonnés, ce sera la perte d’un service de qualité et le retour à un quasi-monopole avec tous les travers qui caractérisent les monopoles. Pour les autres créanciers, ce sera des pertes assurées. Alors qui sort gagnant? Le pays peut-être? Il ne gagne rien, bien au contraire. Ce sera une autre entreprise privée algérienne qui périclite malgré tout ce qu’elle a fait pour le développement technologique du pays. Qu’aurait fait l’Algérie face aux problèmes financiers colossaux de AIG, GM et Chrysler? Les USA ne les ont pas laissé tomber bien que le capitalisme soit né chez eux et que les problèmes soient le résultat d’opérations quasi-frauduleuses. Non. Ils se sont assis, ils ont réfléchi et ont décidé de sauver les emplois et les institutions qui existent et qui sont victimes du scandale. La faillite d’EEPAD n’aura pour seul effet que de confirmer que l’Algérie a encore une fois laisse tomber un de ses enfants, sans se soucier des pertes d’emplois et des pertes financières qu’il faudra payer.

Pas plus tard qu’en avril 2008, celui qui occupait le même poste ministériel avait créé une autre polémique en annonçant publiquement une réduction des prix d’abonnement au service Internet.

Cette bonne nouvelle pour les consommateurs fut fatale pour les providers car la décision n’était pas accompagnée d’une instruction pour réduire les coûts facturés par AT aux FDSI de manière proportionnelle. Cette déclaration avait tout l’air d’une décision irréfléchie prise et annoncée à la hâte sans aucune discussion préalable avec les premiers concernés, soit les FDSI comme EEPAD. EEPAD a appliqué la directive du ministre, mais AT ne l’a pas appliqué, d’où l’origine du problème actuel. En violant une règle sacrée du libre commerce, l’ex-ministre des PTIC est non seulement responsable d’avoir fait reculer le pays de plusieurs années mais aussi de la disparition de plusieurs entreprises ainsi que de la perte de bon nombre d’emplois. Dans un contexte d’économie de marché, si un ministre veut décider des prix, il n’a qu’à quitter son poste, ouvrir son entreprise et vendre ses produits et services aux prix qui l’enchantent. Ainsi, il assumera les conséquences de ses décisions. Mais le faire aux frais de l’état et aux dépens des autres ne devrait pas être permis.

À voir la succession de mauvaises décisions de nos ministres des PTICs, on croirait que ceux-ci ne veulent ni consulter ni demander l’avis des parties affectées par leurs décisions. Ce serait peut-être une faiblesse à leurs yeux. Ils doivent se dire « Je suis le ministre, donc je dois tout savoir et tout décider tout seul. Je n’ai besoin du point de vue de personne». Géré par de personnes qui se croient « omniscientes », le pays ne peut pas avancer. Il ne peut que reculer.
Avec une telle attitude, comment espérer convaincre des investisseurs étrangers et nationaux de lancer des entreprises en Algérie? Seuls des dupes embarqueraient avec un pays qui s’affiche « marché libre» mais qui gouverne « socialiste ». On a de la difficulté à abandonner nos bonnes vieilles méthodes socialistes où tout était étatique, géré par des hommes choisis pour leurs allégeances politiques plutôt que pour leurs compétences de gestion.

Laisser mourir l’EEPAD serait une grave erreur:
Si on laisse tomber EEPAD, ce n’est pas juste son PDG qu’on pénalise. Ce sont d’abord et avant tout les employés et les clients qu’on punit, eux qui n’ont fait aucun mal pour se voir pris en otages dans ce conflit. Laisser tomber EEPAD pénaliserait aussi l’Algérie car elle aura encore plus de difficultés à attirer des investisseurs. Il faut arrêter la machine infernale qui vient d’être lancée pour faire honneur à notre bon sens et notre créativité afin de trouver une meilleure solution à ce conflit. Les employés et clients d’EEPAD méritent mieux. Précisons tout de suite qu’il ne s’agit pas de sauver ni M. Harzallah, ni ses biens. Je sais que comme pour tout homme d’affaires qui réussit le moindrement en Algérie, il y a des gens se réjouiront de sa chute par jalousie ou par mépris pour ceux qui montrent des signes de richesse. Nous trainons avec nous cette notion socialiste qu’on ne peut devenir riche que si on est voleur. Mais pour nos hommes d’état, il faut rester au dessus de la mêlée pour voir plus loin, voir les conséquences d’un tel gâchis sur les familles et sur l’image du pays. Contrairement à ce qu’avance le ministre des PTICs dans les quotidiens nationaux, ce serait un drame de perdre une si bonne entreprise. Si ce n’est pas un drame, alors qu’il nous dise publiquement que les conséquences d’une faillite de l’EEPAD ne le dérangent pas. Un ministre responsable doit se poser de nombreuses questions avant de prendre une décision:

1. Que faire des 1500 à 1800 personnes (600 emplois directs et près de 1200 indirects) qui vivent de cette société?
2. Que faire des 40 000 citoyens – étudiants, enseignants et professionnels qui s’appuient sur le réseau EEPAD pour étudier, s’informer et avancer dans leur vie?
3. Que faire des 2 000 cybercafés et 700 PMEs qui utilisent les produits d’EEPAD pour leurs activités commerciales?
4. Que faire des produits de haute technologie développés par EEPAD? Des produits algériens avec un vrai potentiel d’exportation;
5. Que faire du réseau moderne mis en place par EEPAD à travers le territoire national au grand prix?
6. Comment convaincre les investisseurs nationaux et étrangers à venir en Algérie dans de telles circonstances?

EEPAD est une bonne entreprise citoyenne.
Il faut rappeler qu’elle a été un acteur principal dans le développement des TICs en Algérie. Les ingénieurs d’EEPAD ont été les premiers à introduire l’ADSL, les premiers à introduire le « triple Play » regroupant Internet, téléphonie et IPTV en Algérie. EEPAD a joué un rôle important dans les programmes Ousratic et Tarbiatic et se préparait à participer au projet e-Algérie 2013. Elle a organisé à ses frais plusieurs colloques internationaux sur des sujets d’intérêt national tel que la lutte contre la cybercriminalité, l’école numérique et la participation de la diaspora algérienne au développement du pays. Ce sont des évènements coûteux impliquant des experts algériens de l’intérieur et de l’extérieur de l’Algérie (Canada, France et États-Unis). Plusieurs ministres et chefs d’entreprises algériennes publiques et privées assistaient régulièrement à ces évènements organisés par EEPAD pour le pays, sans aucun discours commercial. Ailleurs, l’état aurait organisé et payé pour ces colloques.

Cela n’augure pas bien pour e-Algérie-2013 :
D’un côté on apprend que le président de la république lance le programme e-Algérie 2013 pour moderniser le pays et créer des milliers d’emplois en TICs, et de l’autre, on est incapable de trouver une solution pour préserver un leader en TIC qui emploie des centaines de personnes. Pourquoi démolir ce qui existe et fonctionne, pour ensuite reconstruire à petites gouttes?

Je ne peux croire, qu’avec de la bonne volonté, il n’est pas possible de trouver une bonne solution au problème que vit EEPAD aujourd’hui. Il suffit de prendre le temps de bien analyser la situation et de solliciter de l’aide pour étudier les différentes solutions possibles. Il existe des investisseurs qui peuvent intervenir pour redresser et relancer EEPAD, encore faut-il qu’on leur donne le temps de le faire.

Si c’était au Canada ou aux États-Unis, il n’y aurait pas eu d’entreprises étatiques faisant concurrence à EEPAD. Les gouvernements canadien et américain ne sont ni propriétaires ni gestionnaires de compagnies de téléphone, Internet ou autre. Toutes les compagnies de télécom sont privées. L’état n’aurait pas été juge et partie dans le conflit. EEPAD aurait eu recours à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (Loi des faillites ou Chapitre 11 du Bankruptcy Code aux USA) pour avoir la protection de ses créanciers. À la présentation d’un plan de redressement, un juge lui aurait accordé un délai suffisant pour lui permettre de mettre de l’ordre dans ses affaires et revenir avec une proposition concrète à ses créanciers. Durant ce délai, EEPAD aurait pu vendre certains biens tel que son siège à Bir Mourad Rais et son usine à Annaba, recentrer ses activités sur les secteurs les plus payants (4 ou 5 régions), ajuster ses coûts d’exploitation et sa masse salariale, trouver des investisseurs, renégocier certains dettes, etc. Durant ce délai, l’entreprise continuerait d’opérer et de fournir ses produits et services sans se préoccuper de ses créanciers. À la fin du délai, EEPAD version restructurée rencontrerait ses créanciers et leur proposerait un règlement. Les créanciers auraient alors le choix d’accepter l’offre en laissant un peu d’argent sur la table ou de refuser pour se partager les miettes qui resteraient après liquidation et distribution des biens de la société dans le cadre d’une faillite ordonnée.

Sauver une entreprise qui oeuvre dans un domaine de pointe, maintenir des emplois de haut niveau et garantir aux usagers un produit de qualité devraient être les seuls soucis du Ministre des PTICs. Pas l’inverse.