Il y a cinq ans, jour pour jour, Mounir Bouamrane tombait sous les balles de ses assassins dans les environs de la ville irakienne de Hillah. Le destin a voulu qu’il soit le seul professionnel des médias d’origine algérienne à payer de sa vie un court séjour dans un Irak en proie à la guerre.  

L’Algéro-Polonais Bouamrane travaillait comme monteur de son et images pour la télévision publique polonaise TVP. Le voyage en Irak était sa première mission à l’étranger. Le 7 mai 2004, il tombe dans un véritable traquenard pas loin de Hillah (30 kilomètres au sud de Bagdad), sur la route reliant la capitale irakienne à Nadjaf, ville sainte pour la communauté chiite. Ses assassins au nombre de quatre avaient délibérément ciblé la voiture de marque Daewoo dans laquelle voyageait l’équipe de la télévision polonaise. On apprendra plus tard que c’était des activistes de l’organisation Jamaâ al-Tawhid wa al-Jihad (Groupe pour l’Unification et la Guerre sainte). 
Les terroristes ont d’abord mortellement blessé Waldemar Milewicz, un grand nom du journalisme dont la notoriété avait dépassé les frontières polonaises. Dans la panique qui a suivi les tirs Mounir Bouamrane décida de prêter secours à son collègue. Personne ne doutait que les assaillants allaient revenir sur leurs pas pour l’abattre. Le cameraman Jerzy Ernst s’en est sorti avec une blessure au bras. Rien ne semblait destiner le jeune Bouamrane à une fin aussi tragique en terre irakienne, lui qui avait participé à des manifestations pacifistes organisées par le collectif « Halte à la guerre ». À Varsovie, au siège de la télévision, on décida qu’il devait se joindre à l’équipe se préparant pour une mission au Moyen-Orient eu égard au fait que la langue arabe n’avait pas de secret pour lui. Sa courtoisie naturelle (ses amis l’appelaient affectueusement Mundi) était censée faciliter à ses collègues le contact avec la population irakienne.
En outre, Waldemar Milewicz (47 ans) était un journaliste chevronné qui avait fait ses preuves dans des situations de grande difficulté, notamment en Bosnie, au Cambodge, au Kosovo, en Somalie, en Tchétchénie, au Rwanda ou en Palestine. Depuis 1984, il sillonnait les champs de guerre. Son mémorable reportage « Tchétchénie, six jours de guerre » remporta plusieurs prix des deux côtés de l’Atlantique. Il a d’ailleurs été élu « journaliste de l’année » en 2001 en Pologne. D’un autre côté, le centre de l’Irak était sous contrôle de l’armée polonaise, à l’époque la troisième plus importante force dans ce pays.

L’attentat a eu lieu deux jours après que l’équipe de TVP ait quitté Varsovie. Très peu pour espérer nouer des liens sur un terrain aussi difficile que l’Irak en pleine guerre et où les animosités interconfessionnelles avaient atteint leur paroxysme. Bouamrane et Milewicz ont été les deux premiers journalistes étrangers à avoir trouvé la mort dans ce pays en 2004. Pas loin du lieu où ils périrent, quelques mois auparavant, en novembre 2003, des hommes armés tuèrent dans une embuscade sept agents de renseignement espagnols. Ce drame allait mettre fin à la présence de l’armée ibérique en Irak. Plus d’une année après le double assassinat de Hillah, deux diplomates algériens, Ali Belaroussi et Azzedine Belkadi, sont kidnappés en Irak. À ce jour, leurs corps n’ont pas été retrouvés.

Waldemar Milewicz était mon professeur à l’Université de Varsovie. Il a toujours tenu à faire bénéficier ses étudiants de ses connaissances inestimables en matière de réalisation de films documentaires. Mounir Bouamrane m’a laissé le souvenir d’un ami à l’immense bonté. Notre dernière rencontre remonte à novembre 2003 à l’occasion d’une soirée organisée à l’occasion de la fête nationale du 1. Novembre, anniversaire qu’il fêtait toujours avec ses compatriotes établis en Pologne. Comme d’habitude, le football, notre passion commune, a dominé notre conversation. Je retiendrai le souvenir d’un jeune homme qui avait enfin trouvé le bonheur aux côtés d’une étudiante algérienne après un premier échec. Mundi avait 36 ans, dont 15 années passées au service de la télévision TVP. Il laissa une fille âgée de 13 ans. 

Mounir Bouamrane, qui était de père algérien et de mère polonaise, a été enterré au carré musulman du cimetière tatar de Varsovie, où reposent de nombreux officiers d’origine tatare qui ont marqué l’Histoire de la Pologne par leur courage et leur dévouement, deux qualités qui ont également caractérisé l’enfant d’une petite ville du littoral algérois. Des centaines de personnes assistèrent à l’inhumation au début du printemps 2004. « Il est allé à la guerre pour décrire la vérité. Le destin a fait que sa première mission fut la dernière », dira ce jour-là l’un de ses supérieurs hiérarchiques. Sa tombe est régulièrement visitée par les membres de la communauté algérienne en Pologne. Mounir a été décoré à titre posthume par le président de la République de Pologne.