Décidément, les élections se suivent et se ressemblent pour les candidats issus de la communauté maghrébine au Québec. Une fois encore, le parlement à Ottawa, tout comme l’Assemblée nationale, s’avère une forteresse imprenable pour eux.

Cela fait presque une semaine que les résultats définitifs des récentes élections fédérales sont connus. La pression est vite retombée. Avec le recul, une constatation s’impose : les candidats maghrébins ont fait de la figuration, comme ils  nous ont habitués à pareille occasion. Qu’elles soient fédérales ou provinciales, les joutes électorales sont à chaque fois source de désillusion pour nos représentants.

 

Des résultats traditionnellement mitigés

 

Le taux de soutien apporté aux deux candidats du Nouveau Parti démocratique (NPD), Samira Laouni et Nourredine Seddiki, oscille autour des 8%. Ainsi, les candidats maghrébins n’ont devancé que ceux présentés par les petits partis que sont (encore…?) le Parti Vert et (toujours…?) le Parti marxiste-léniniste ou un candidat indépendant peu connu, en l’occurrence Joseph Young qui s’est placé derrière Farid Salem dans la circonscription de Saint-Léonard-Saint-Michel. Ce dernier a, néanmoins, réalisé un score qui augure de lendemains plus cléments dans un quartier, où est concentrée une grande partie de la communauté nord-africaine du Québec. Avec un peu plus de 13.5%, il n’a nullement démérité. « C’est un bon test avant les élections municipales et provinciales, ainsi que les scolaires qui pointent à l’horizon. Il faut les préparer dès maintenant pour espérer peser sur la scène politique québécoise », estime celui qui plaide pour une table de concertation informelle des différentes associations algériennes. C’est dire l’acuité de la situation…

Par le passé, lors des partielles de décembre 2005, Omar Aktouf semblait être un atout majeur sur la liste de l’Union des Forces Progressistes (UFP) dans Outremont, un quartier connu pour être un bastion rouge. En dépit de son parcours académique impressionnant, le professeur titulaire au HEC n’arriva pas à déloger de son fief Raymond Bachand du Parti Libéral du Québec (PLQ). La bataille se joua entre ce dernier et le péquiste Farouk Karim. L’an passé, lors des élections provinciales nos candidats sont passés hors du sujet. Naima Mimoune, la fondatrice du Cercle des familles algériennes, a réalisé un score décevant dans le comté également rouge de Viau, et ce malgré la bénédiction d’un certain André Boisclair. Elle a été battue par plus de 7000 voix par son rival libéral Emmanuel Dubourg, un néophyte en politique issu de la communauté haïtienne.

Ces deux derniers exemples sont révélateurs des difficultés que rencontrent nos représentants, dès lors qu’ils se décident à lier leur sort politique aux urnes. À moyen terme, aucun d’eux ne peut espérer connaître une carrière politique aussi riche que celle de la Marocaine Fatima Houda-Pépin qui, depuis le début des années 1990, fait partie du paysage politique québèco-canadien.  

 

Autopsie d’un échec

 

Au-delà de ce constat qui ne souffre d’aucune discussion, tant les querelles se sont exacerbées ces dernières années sur fond de débâcles électorales, on ne peut que se poser une question récurrente sur la pertinence de l’électorat maghrébin : Existe-t-il réellement un vote maghrébin?

L’ensemble du milieu communautaire algérien est divisé et la coopération entre ses leaders est marquée par une rivalité aussi vieille que l’implantation de la communauté maghrébine dans la Belle Province. Ce n’est qu’un secret de Polichinelle.

D’un autre côté, les Maghrébins sont traversés par des dissensions et des inquiétudes sur les grands débats de notre temps. Le contribuable canadien originaire d’Algérie ou du Maroc est également interpellé par les enjeux du moment au Québec: une plus grande justice sociale, la précarité de l’emploi, la menace d’une crise financière, une nouvelle taxe sur le carbone, la place de la religion à l’école, voire l’image de moins en moins convaincante du Canada à l’étranger... Il n’est pas acquis que son vote soit exclusivement ethnique. Le sociologue Rachad Antonius de l’UQAM, un observateur attitré des changements au sein de la société québécoise, ne tire pas pour autant la sonnette d’alarme : « En tant que citoyens, nous devons être interpellés par différents enjeux, aussi bien la situation des autochtones, que les évènements au Liban ou bien l’antisémitisme. La reproduction d’un comportement ethnique ne nous rendrait pas service. On devrait se battre sur des bases idéologiques. » 

Du côté de Jean Talon Est, certains ont même boudé les élections du 14 octobre malgré les appels pressants à la mobilisation. Farid Salem regrette à juste titre le nombre, à ses yeux anormalement important, de ceux qui n’ont pas daigné voter. « Il faut trouver une façon comment intéresser nos concitoyens d’origine maghrébine », souligne-t-il.

Force est de reconnaître que des associations se sont activées pour leurs candidats de préférence. Astrolabe et le Forum musulman canadien (FMC) ont envoyé à leurs sympathisants des consignes explicites pour soutenir Samira Laouni, la première femme voilée briguant un mandat au parlement canadien depuis Monia Mazigh, l’épouse de Maher Arar. Un rapport intitulé « Évaluation des candidats à l’élection fédérale 2008 » leur a été distribué. Sans grand succès.

Malgré cette énième déconvenue, le professeur Rachad Antonius, directeur adjoint de l’Observatoire international sur le racisme et les discriminations du Centre de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la citoyenneté (CRIEC), est optimiste : «  L’idée qu’il faille y avoir un leader ethnique n’est pas forcément bénéfique. À long terme, cette faiblesse en tant que groupe ethnique est une bonne chose. Nous réagissons comme citoyens et non pas en tant que groupe homogène, ce qui est loin d’être vrai. » Selon le sociologue montréalais, « nos communautés, qui sont récentes sur le sol canadien, ont besoin de temps pour apprivoiser le système. Venant de régions, où l’absence de traditions démocratiques est un fait, on a beaucoup à apprendre. » Les Maghrébins doivent faire montre de patience. 

 

Les médias demeurent inaccessibles

 

Sans négliger la jeunesse de notre communauté, qui constitue un réel désavantage, il faut remarquer que les leaders maghrébins se sont essentiellement investis dans le milieu associatif arabo-musulman. C’est là qu’il faut chercher une des causes de leurs déboires électoraux.

Madame Laouni a eu ses heures de gloire le temps des consultations autour des accommodements raisonnables. Plus tard, elle disparaît des médias aussi subitement qu’elle était apparue. Par contre, le bloquiste Farid Salem, même s’il a été l’un des artisans de la création du Mouvement Montréal français, ces dernières années est plus identifié au tissu associatif, qu’il essaie, entre autres, de convertir au militantisme linguistique.

Il est indéniable que nos deux candidats ne peuvent se targuer d’une quelconque visibilité dans les médias québécois. Pourtant, ils n’ont rien à envier aux experts lancés par Radio Canada, les trois vedettes du « Club des ex », Liza Frulla, Marie Grégoire et Jean-Pierre Charbonneau; surtout pas l’éloquence. Ces représentants officieux des trois principaux partis politiques au Québec (si l’on admet que la turbulente Frulla est assimilable à la famille PLQ) sont partout. Même les colonnes de la presse gratuite leur sont régulièrement ouvertes. Quelle chance!

Comparés à eux, Samira Laouni ou Farid Salem, qui ne sont pas nés sous un nom célèbre à l’image d’un Justin Trudeau, n’ont droit qu’à des émissions dans des médias communautaires. C’est peu pour aspirer à une reconnaissance des électeurs. La frilosité des médias, surtout francophones, à inviter nos « élus » sur des plateaux de télévision ou dans des studios de radios rend difficile l’avènement d’un leader maghrébin qui serait perçu comme tel par une grande partie des Québécois. Pourtant, les chanteurs ou humoristes maghrébins ont été rapidement adoptés. Aujourd’hui, si le Marocain Rachid Badouri se lançait dans la politique, il aurait sans nul doute plus de chances de se retrouver dans l’enceinte de l’Assemblée nationale à Québec.

En outre, les réseaux, l’autre talon d’Achille de nos candidats, font terriblement défaut aux politiques maghrébins. À l’instar des artistes d’origine arabe, ceux-ci se doivent de construire des relais en direction du « mainstream » (lire des Québécois de souche), sans omettre de courtiser les autres communautés culturelles, y compris les Latinos. Comme on l’a vu lors des audiences mouvementées de la Commission Bouchard-Taylor, ces derniers sont très réticents à l’idée d’être représentés par un Maghrébin, de surcroît musulman. Les aînés sont un autre groupe de choix qu’il faut savoir approcher. La députée fédérale d’origine libano-africaine Maria Mourani le fait admirablement bien dans Ahuntsic. De ce fait, tout candidat aspirant à une place au soleil devrait faire sien le credo « ratisser large pour gagner». C’est tout le défi qui attend nos représentants aux futures échéances électorales.

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