Puisqu'il n'a pas travaillé durant la première vague de la pandémie, un préposé aux bénéficiaires d'origine algérienne n'a pas pu bénéficier du programme spécial de régularisation des demandeurs d'asile après avoir pourtant « tout donné ».

Son rêve canadien s’apprête à prendre fin. De la plus triste et la plus brutale des manières.

Jeune père de famille et préposé aux bénéficiaires, Chemseddine Khafrabbi, 33 ans, n’a plus qu’une seule option devant lui : prendre son billet d’avion vers l’Algérie, pour éviter de repartir menottes aux poignets dans son pays d’origine. Un aller simple, sans retour.

Je suis si triste. Je ne peux pas laisser ma famille ici, lâche-t-il, la voix tremblante et les larmes aux yeux, après une nouvelle nuit passée au boulot dans une résidence pour aînés de Boucherville, ponctuée d'un passage dans les locaux de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), où on l'a informé de son renvoi prochain.

« Je n’ai jamais imaginé quitter un jour le Canada. J’ai une petite famille maintenant. Je suis venu au Canada pour changer de vie. Au Canada, on se sent protégé. »

— Une citation de  Chemseddine Khafrabbi

D’ici le 16 avril, ce travailleur de la santé, arrivé au Québec en 2017, doit quitter le Canada. Malgré des dangers qui l'attendraient en Algérie et des menaces qu’il dit y avoir subies, Chemseddine Khafrabbi a vu sa demande d’asile être rejetée. Et même si une demande humanitaire est toujours en cours, les agents frontaliers lui ont donc demandé de quitter expressément le territoire.

Un programme de régularisation non accessible

Pourtant, son avenir aurait pu s’inscrire au Québec. À quelques détails près.

Père d’une petite fille de 3 mois, il a commencé, après la première vague de la pandémie, une formation pour devenir préposé aux bénéficiaires. Les besoins, à l’époque, étaient immenses et le gouvernement du Québec recherchait des milliers de travailleurs pour prendre soin des aînés.

Je voulais aider les gens, les personnes âgées. J’aime ça. Il y avait beaucoup de travail et de besoins, confie-t-il, en serrant dans ses bras sa petite Taline, dans un parc montréalais.

Rapidement, il trouve du boulot. Après un passage, dès août 2020, dans une agence de placement, il rejoint une résidence sur la rive sud de la métropole. Et assiste, avec espoir, au lancement d’un programme de régularisation visant ceux qui ont communément été appelés, par les élus politiques, les anges gardiens.

Problème, les critères d’accès sont stricts. Malgré le souhait explicite d’Ottawa et la pression de multiples organismes et élus d’opposition, le gouvernement Legault a refusé d’élargir ce programme à tous ceux qui ont travaillé au-delà du printemps 2020 dans le système de santé.

« Pour le moment, le MIFI ne prévoit pas une prolongation au Programme spécial des demandeurs d’asile en période de COVID-19. »

— Une citation de  Émilie Vézina, porte-parole du ministère québécois de l’Immigration

Seuls ceux ayant cumulé plusieurs mois de travail à cette période, uniquement, ont donc pu postuler à cette initiative réservée aux demandeurs d’asile qui permet d’obtenir une résidence permanente.

Un manque d’ouverture de Québec décrié

Poussette à la main, l’épouse de Chemseddine Khafrabbi peine à trouver ses mots.

C’est si injuste. Il a travaillé dans une période très difficile. Beaucoup de monde restait à la maison, refusait de travailler. Lui, il était présent durant la 2e, la 3e, la 4e et la 5e vague. Il a fait des heures supplémentaires, il a tout donné, confie Lynda Abdelli, elle aussi demandeuse d’asile et préposée aux bénéficiaires.

Leur avocat, Guillaume Cliche-Rivard, déplore le manque d’ouverture de Québec. Ce programme, c’est une belle chose. Mais il y a eu des efforts surhumains faits par des travailleurs durant toutes les autres vagues. Et ces gens-là, on les a oubliés. Chemseddine remplit tous les critères, il a l'expérience, il a cumulé des centaines d'heures, mais seulement après la première vague.

« S’il y avait eu une deuxième phase de ce programme, on n’en serait pas là. Malgré tout ce qu’il a fait, malgré nos besoins et les manques criants dans le réseau de la santé, on dit à un préposé de quitter le Canada. C’est un non-sens. »

— Une citation de  Guillaume Cliche-Rivard, avocat en immigration

À ses yeux, des centaines, voire des milliers de travailleurs essentiels, dans tout le pays, pourraient prochainement subir le même sort. Il n’est pas le dernier, croit-il.

Si du jour au lendemain on retire du système de la santé au complet ou de l’économie canadienne l’ensemble des travailleurs essentiels sans statut, on va réaliser qu’ils sont beaucoup plus essentiels qu’on ne le pense. Il va y avoir des conséquences, des pénuries, des bris de service, estime Guillaume Cliche-Rivard.

Des milliers de renvois

Malgré la pandémie, de nombreuses expulsions ont été décrétées par le gouvernement fédéral au cours des derniers mois.


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