Dès fois, nous oublions que nous venons d’ailleurs.  Nous oublions que nous sommes le complément d’objet indirect, même pas un COD ou un cash on delivery.  On se joint à la souche par l'intermédiaire d'une proposition pour en compléter le sens figuré.  Alors,  par ignorance, nous oublions que nous sommes des figurants, des comparses de second rôle.

Après avoir suivi le gala des Jutras à la télévision d’État, je suis arrivé à une évidence où j’ai compris, probablement en retard, les commentaires, les discussions et les échanges que j’ai eus avec mes collègues et compatriotes québécois (si je m’inclus).  Je viens de comprendre le sens aigu de la perception grave.

Avec du recul, je me suis aperçu que dans mes échanges, on ne me parlait que de la performance des jeunes enfants acteurs, du réalisateur, du scénario, du sentiment fortement émotionnel et de la pauvre professeur Lachance qui s’est donnée la mort en classe.

Fellag était invisible dans les discussions malgré son statut de membre des minorités visibles.  Dans leurs yeux et leurs opinions, Fellag était le menteur, le faux professeur, le réfugié, le sans papier, le…et j’en passe.

Dans le jargon cinématographique, quand un public cinéphile arrive à détester un comédien pour son rôle, il est dans l’honneur de l’acteur de se péter les bretelles et crier mission accomplie.

Quand le film de Philippe Falardeau avait été choisi par l’Académie des Oscars, l’erreur que nous avons commise, nous, l’ensemble des compatriotes de Fellag, c’est de croire que le trophée du meilleur film en langue étrangère allait être décerné grâce à la participation de Fellag.  Hélas, de Los Angeles le film est retourné bredouille et la statuette en plaqué or a été attribuée à Asghar Farhadi, le réalisateur du film, Une séparation.

L’autre erreur fatale que nous avons commise, nous, les compatriotes de Fellag est que nous avons pris pour acquis que le film aura son trophée québécois au gala de chez nous (si on s’inclut, bien évidement).

À la 14e des Jutras, le premier gagnant du trophée était la meilleure musique originale, une musique à l’image des vents du nord et non de la ville de Bougie.  Au fur et mesure que les trophées se distribuaient, nos cœurs battaient et se préparaient à la joie d’entendre le nom de Mohamed Fellag ou de Fellag tout court.  Fellag n’a pas eu assez de côtes alors que Sicotte l’attendait depuis si longtemps.

Meilleur film, meilleur scénario, meilleure réalisation, meilleure actrice de soutien, meilleur acteur de soutien, meilleur son et meilleure musique originale.  À chaque trophée, on a eu droit à un discours.  Sept discours et sept fois trois minutes de remerciement et de caresses dans le sens du poil.  Dans toutes ces vingt-et-une minutes, une seule dédicace a été adressée à «tous les réfugiés algériens qui ont refait leur vie au Québec».

Merci Philippe, c’est très touchant !  Où est passé le talent, la performance, la persévérance et le sacrifice du personnage principal de l’acteur incarnant monsieur Lazhar?

Je termine sur la note de ma grand-mère Meriem, qui disait assez souvent « Elli maândah Zhar, yetwassad lahjar » (Celui qui n’a pas de chance, son coussin est de pierre). 

Dommage que pierre ne rime pas avec chance. Toutefois, la pierre est l’arme du Fellag de têtes.