Festival Vues d’Afrique, dernière minute : Le Harem de Madame Osmane, Nadir Mokhnèche, Algérie. Tel est le message qu’on pourrait trouver dans une feuille classée à part, du dossier de presse du festival qui nous a été remis le 09 avril 2002 lors de la conférence de presse du Festival Vues d’Afrique qui a eu lieu à l’ONF ( Office national du Film) à Montréal. Le 25 avril 2002, toujours dans le cadre de Vues d’Afrique, ...

Algérie / 2000 / Sortie France le 12 juillet 2000
Synopsis
Depuis que son mari l'a abandonnée, les locataires de Madame Osmane doivent subir ses sautes d'humeur. Hantée par la peur de perdre sa respectabilité, l'ancienne maquisarde de la guerre d'Indépendance s'acharne à contrôler les faits et gestes de sa maisonnée plutôt que de lutter contre ses propres frustrations. Apprenant que sa fille est tombée amoureuse, la perspective de se retrouver seule va pousser cette femme encore très désirable au paroxysme : le " harem " symbolique de Madame Osmane -la citadelle où elle se distrait en manipulant son petit monde- est sur le point de s'écrouler

Festival Vues d’Afrique, dernière minute : Le Harem de Madame Osmane, Nadir Mokhnèche, Algérie. Tel est le message qu’on pourrait trouver dans une feuille classée à part, du dossier de presse du festival qui nous a été remis le 09 avril 2002 lors de la conférence de presse du Festival Vues d’Afrique qui a eu lieu à l’ONF ( Office national du Film) à Montréal. Le 25 avril 2002, toujours dans le cadre de Vues d’Afrique, Nous avons accompagné l’actrice algérienne amazighe Djamila Amzal qui devrait intervenir lors d’une rencontre organisée dans les locaux de Radio-Canada avec TV5 Québec et Téléfilm Canada. Parmi les présents-es à cette rencontre-discussion, deux réalisateurs algériens : Mostefa Djadjam qui a réalisé ‘’ Frontières’' et Nadir Mokhnèche de ‘’ Le Harem de Madame Osmane’’, le correspondant du Soir d’Algérie Larbi zouamia et le jeune comédien et chanteur montréalais d’origine algérienne Rabah Ait Ouyahia qui a joué dans le film du réalisateur québécois Denis Chouinard ‘’L’Ange de Goudron’’. C’était la totale pour nous Algériens et Algériennes de nous retrouver ou de nous rencontrer pour la première fois à Montréal dans un cadre culturel de cette envergure ! Il est évident qu’à ce moment là, la reine de cette rencontre était Djamila Amzal pour laquelle Gerard Le Chêne, Directeur général de Vues d’Afrique, a rendu un vibrant hommage en soulignant au passage la qualité des films berbères dans lesquels elle a incarné les rôles principaux. Parallèlement à cette ambiance, on pourrait apercevoir timidement la silhouette de Nadir Mokhnèche. Il est jeune et surtout très modeste. À ce moment là, je n’avais pas encore vu son superbe film. Le lendemain au soir, j’ai enfin vu Le Harem de Madame Osmane au Cinéma Impérial, toujours à Montréal. La salle était archicomble. Depuis, la seule chose qui m’habitait était de revoir ce réalisateur talentueux et courageux de chez nous, vraiment de chez nous ! Ce qui est certain est que Le Harem de Madame Osmane fait partie de ces films algériens qui ont réussi à traiter des vrais problèmes de notre société loin de toute démagogie. Un film profond fait par un jeune réalisateur qui fait partie de cette relève qui nous rassure que le meilleur reste à venir pour cette Algérie meurtrie. À travers ce film, le public de n’importe quel pays ou culture pourrait comprendre le chaos algérien et surtout la source du malheur algérien.
En cette année 2003, le Harem de Madame Osmane vient d’être programmé le 02 novembre à l’ONF dans le cadre du Festival du Monde Arabe à 19H.

Contacté lors des activités de Vues d’Afrique de l’an 2002, Nadir Mokhnèche n’a pas hésité une seconde à nous rencontrer et à nous parler de son film.

La Harem de Madame Osmane à Montréal. Festival Vues d’Afrique

Amazigh Montréal : Peut-on connaître Nadir Mokhnèche ?

Nadir Mokhnèche : J’ai grandi à Alger. Je suis originaire d’Alger. Mes ancêtres sont de Kabylie. J’ai fait mes études à Alger. Et puis, j’ai quitté Alger pour passer mon bac à Paris où j’ai fait deux ans de droit. Par la suite, je suis parti à Londres en Angleterre où j’ai travaillé pendant un an pour essayer de réfléchir à ce que je pourrais faire. Comme je ne voulais plus faire de droit, j’ai réfléchis cette année en travaillant. Après cela, je suis rentré à Paris pour faire du théâtre. J’ai commencé par un cours privé de théâtre avant de réussir un concours au théâtre national de Chaillot. Par la suite, j’ai fait une pièce de théâtre Electre de Sophocle (c’est une tragédie grecque, donc c’est Méditerranée ) en l’adaptant un petit peu plus dans un contexte algérien avec le retour du frère Oreste, avec la traîtrise. On va retrouver le thème de la traîtrise. Qui sont les traîtres dans la famille ? C’est un peu dans cet esprit là que Electre qui venge son père. Après ça, comme je ne suis pas parvenu à faire des cours de cinéma en France, c’est un peu compliqué, je suis parti à New York pendant deux ans pour suivre des cours de cinéma. C’tait plus simple. Je pouvais payer mes cours et dans le même temps travailler le soir. C’était plus pratique pour moi. Ça me permettait de faire les choses très simplement et très rapidement. Là, j’ai réalisé deux courts métrages. Un court métrage de 08mn en noir et blanc qui s’appelle Hnnifa qui est une adaptation encore une fois de Médée de Euripide au contexte algérien. Et le deuxième, il s’appelle Jardin, 10mn. C’est une adaptation libre de deux poèmes de Si Mohand U Mhand sur l’infidélité, la rupture. Si Mohand U Mohand a eu beaucoup de problèmes avec son environnement et son frère installé à Tunis. Il en parle beaucoup. Si Mohand disait :« Je préfère quitter le pays que de vivre avec ces pourceaux». À l’issue de tout cela je suis retourné à Alger pour voir la situation, comment ça allait…je suis resté un petit moment. J’ai vu la situation et puis l’idée du scénario de Madame Osmane m’est venu de là.

Amazigh Montréal : De là?

Nadir Mokhnèche : De la situation que je voyais. Comme j’avais beaucoup de recul avec les années que j’ai passées à l’étranger, je m’étais aperçu que je n’avais aucune nostalgie. C’est-à-dire, quand je suis arrivé, pour moi, je n’ai jamais voulu retrouver ce que j’avais laissé. Pour moi, j’ai vu le changement, ça m’a rendu très triste parce qu’il y avait les chars, les couvres-feu, les barrages militaires et tout ça…mais je me suis dit voilà, c’est la situation d’un pays. Donc j’avais un regard presque neuf avec du recul et c’est comme ça que j’ai pu écrire le scénario de Madame Osmane.

Amazigh Montréal : Pourriez-vous nous parler un peu de l’histoire de votre film justement ?

Nadir Mokhnèche : C’est vraiment…le Harem ! C’est évidemment pour rire, c’est ironique. Mais, c’est surtout une Algérie en miniature. C’est-à-dire, dans un côté ludique, très amusant, on a l’impression que c’est un drame, une comédie méditerranéenne légère et drôle. Mais, dans un ton sobre, le film traite du drame algérien. Le vécu de la la famille algérienne. Comment le pouvoir fonctionne t-il ? La faillite des élites. Le départ et l’exil. L’abandon du père, du mari puisque les deux sont des anciens combattants et le mari part avec une maîtresse française. D’ailleurs Madame Osmane dit : « Il couche avec l’ennemie» et elle, Madame Osmane, l’ancienne révolutionnaire, devient complètement bourgeoise. Ses rapports avec sa filles et ceux qui n’appartiennent pas à son propre clan sont conflictuels. Toute la problématique algérienne et les conflits, on peut les retrouver au sein de cette famille. Une famille qui est assez large puisqu’on a la Pied noire qui habite au Rez-de-chaussée qui subit le joug de Madame Osmane. Nous avons cette femme Kheira qui vient de l’intérieur et qu’elle s’est émancipée dans les années soixante, soixante-dix et qui travaille comme fonctionnaire. Kheira vit avec un jeune qui n’est pas censé être gigolo mais qu’il l’est si on veut dire les choses comme elles sont.

Amazigh Montréal : Mais pour Kheira, son homme est un artiste…

Nadir Mokhnèche : Oui, c’est un chômeur. Donc, c’est un artiste…( rires)…. Pour narguer Madame Osmane, Kheira qui réplique : mon mari est un artiste, donc il ne peut s’occuper que de moi». Madame Osmane, essaie soit disant de garder les traditions avec son désir réel de sévir. Elle a cette schizophrénie entre son aspect physique complètement moderne avec son tailleur, son décolleté, les lunettes de soleil, les apparences. Et derrière ces apparences, on trouve cette femme terrible…et puis on a aussi la nouvelle génération. Nous avons aussi Mimiche Ait Salmi qui travaille soit disant dans le pétrole, qui est ingénieur. Donc, voilà on a un petit peu toute l’Algérie en miniature dans ce drame familial. Je ne vais pas vous raconter la fin !

Amazigh Montréal : Lors, du débat qui a suivi la projection de votre film on a découvert que le tournage a eu lieu au Maroc et non pas en algérie. Pour quoi ?

Nadir Mokhèche : Quand j’ai commencé à faire le film, je voulais vraiment que le tournage ait lieu en algérie mais il y a eu un problème de production. C’est une production française, espagnole. Comme c’est un premier film que je devrais faire dans des conditions minimum bien, j’ai décidé de ne pas tourner à Alger parce que j’étais sûr que j’allais rencontrer des problèmes non pas de sécurité mais d’organisation. Je vais perdre mon temps. Moi je ne prétend pas être militant. J’ai tourné pendant six mois. Je voulais faire un film, le sortir et le montrer et que les choses aillent vite. Donc, quand j’ai signé mon contrat classique avec une Production française. J’avais 42 jours de tournage pour un premier film. Je me suis dis dans Alger, jamais en 42 jours ! Je n’ai même pas demandé. Je ne veux pas les voir. Je vais faire mon film à l’extérieur et j’adapte à peu près toutes les situations à l’extérieur. Mais par contre je ramène des gens d’Alger. J’ai ramené Beyouna d’Alger, Fatiha Berbère, les costumes viennent d’Alger, la chanteuse d’Alger. Donc, voilà, j’ai fait un transfert entre Paris et Alger. On s’est installé pendant deux mois au Maroc.

Amazigh Montréal : Carmen Maura qui incarne le personnage principal de votre film, en l’occurrence, Madame Osmane, est une actrice espagnole très connue. Vous êtes un jeune réalisateur et elle vous a fait confiance. Elle a cru en vous. Mais pour quoi avoir choisi une actrice étrangère au lieu de prendre une comédienne algérienne ?

Nadir Mokhnèche : Alors, j’ai commencé d’abord par chercher une actrice de chez nous. En lisant le scénario, il y a un espèce de blocage. Carmen Maura a beaucoup aimé le scénario. Elle m’a beaucoup aidé. Par exemple, juste une petite histoire. Pour le rôle de Kheira, je voulais prendre une actrice algérienne, parce que celle qui joue dans le film est marocaine de France, et le fait qu’on puisse entendre qu’elle est en train de faire l’amour, elle m’a dit non, non, je ne peux pas. Je lui ai dit mais on ne te voit pas, on suppose. Elle m’a dit non qu’est-ce que les gens vont penser…ils vont dire que je fais des films pas bien… ! Ça c’est un problème. L’autre problème, c’est que nous n’avons pas beaucoup d’actrices entre cinquante et soixante ans. C’était très difficile pour moi de trouver une comédienne algérienne qui pourrait incarner cette femme algéroise bourgeoise et qui est ancienne combattante. Moi j’ai pris trois ou quatre exemples de vraies, enfin d’anciennes combattantes que tout le monde connaît. Quand on les voit ces femmes, elles sont comme Madame Osmane. Copie conforme ! Donc, je voulais exactement comme celles que je voyais dans les fêtes et les manifestations. Elles ont beaucoup de classe. Elles sont imposantes. Elles sont superbes ! Madame Ousmane est un vrai personnage ! Il ne faut pas tricher. Le fait que ces femmes soient sorties très jeunes pendant la guerre, il y a quelque chose qui s’est passé dans leur corps. Elles se sont libérées forcément. Imaginer des jeunes filles de 17 ans sortir à l’époque, c’est assez impressionnant surtout pour l’époque. Le fait qu’elles aient fait ça, elles ont quelque chose de différents par rapport aux autres femmes algériennes. Si je prends le cas de ma mère qui est restée à la maison, même si elle veut jouer la moderne, elle reste quand même dans son corps une femme moins expressive. Il n’y a pas ce côté, je m’impose. J’avais donc cette difficulté et le hasard a fait que j’ai rencontré Carmen qui a accepté une transformation physique. Chose que certaines comédiennes algériennes n’acceptent pas. Carmen a vu beaucoup de cassettes, de documentaires sur ces femmes. Elle a vu aussi des extraits de mariage. Elle s’est inspiré un peu de tout ça pour recréer cette femme.

Amazigh Montréal : Carmen est espagnole…

Nadir Mokhnèche : Quand elle a lu le scénario, Carmen a vu sa mère. Le personnage de Madame Osmane lui faisait rappeler sa mère à elle. Elle comprenait très bien la psychologie.

Amazigh Montréal : Finalement, Carmen connaît la psychologie de l’algérienne et de la française puisque dans le personnage de Madame Osmane on pourrait trouver les deux cultures : algérienne et française.

Nadir Mokhnèche : Disons qu’elle a sa propre psychologie puisqu’elle appartient à la période de l’après Franco. Elle a ce côté très libre, mais elle a aussi le passé de sa propre mère de l’époque franquiste, beaucoup de rigueur. Donc, sans connaître l’Algérie, elle s’est faite ses paramètres. Pour elle, l’Algérie, sans connaître, toute proportion gardée, c’est comme si c’était sous l’époque de Franco. C’est-à-dire, rien n’est permis. Tout est interdit. Carmen m’a dit: « Je connais ça, l’interdit avec le fascisme espagnol». Si c’étai une actrice française, ce serait plus difficile parce qu’elle a des clichés dans la tête de la femme algérienne. Elle aurait fait une imitation de ce qu’elle a dans sa tête et Carmen n’avait aucun cliché, aucun préjugé.

Amazigh Montréal :Pourrait-on déduire que cette actrice espagnole a découvert la femme algérienne grâce à votre film ?

Nadir Mokhnèche : Oui, oui. Elle a découvert la femme algérienne. Elle a découvert les tenues. Par exemple, quand je lui fais porter le pantalon algérois, elle m’a dit : «Je ne savais pas que vous aviez des tenues aussi sexy» !Alors, ça lui plaisait de se promener avec ce pantalon ouvert et qu’elle pouvait montrer ses jambes parce que elle, ce qu’elle ne voulait pas que le tailleur soit au dessous du genou. Je lui ai dit qu’elle ne pouvait pas le mettre au dessus du genou.

Amazigh Montréal : Et Carmen, est-ce qu’elle a été exigeante sur le plan financier ou elle vous aurait plutôt aidé ?

Nadir Mokhnèche : Elle a été exceptionnelle. Quand elle a vu qu’il y avait un petit budget et qu’il y avait une seule maquilleuse pour l’équipe. Elle décide de payer sa propre maquilleuse et c’était ton cadeau de tournage me disait-elle. Beyouna, en voyant aussi la rigueur de Carmen, elle a été parfaite. Le cachet de Carmen ? Il a été raisonnable aussi. Ceci étant dit, je comprends certaines exigences pour les vêtements par exemple. Je fais très attention pour mettre en évidence la beauté des comédiennes. Donc, on se met d’accord sur la façon dont les choses se font, parce que, je pars du principe que je ne suis pas là pour les enlaidir . Je préfère qu’elles soient à l’aise sur le Plateau de tournage pour que tout se passe bien.
Amazigh Montréal : Si on venait à l’une des séquences de votre film, là où les deux mères se rencontrent: Madame Osmane a une fille qui veut épouser un professeur dont la mère a des tatouages. La rencontre entre les deux mères de deux mondes différents nous interpelle non ? Ces deux femmes, elle représentent qui en fait dans la société algérienne ?

Nadir Mokhnèche : La contradiction est simple puisque Madame Osmane dit : « J’ai fait la guerre pour qu’il n’a y aient plus de différence». C’est ce qu’elle dit. Mais, pour elle il y a une différence lorsqu’elle découvre que cette femme est tatouée. Ça reflète le conflit des régions de chez nous. C’est-à-dire, il y a ces gens de l’intérieur qui sont refusés par les gens des villes. Le conflit entre la cité urbaine et les gens de l’intérieur du pays est plus que sérieux. Pour Madame Osmane, elle a déjà un nom turc, c’est son nom de jeune fille. Donc, elle se prétend être détentrice de la civilisation turque, arabe et andalouse. Elle n’a pas voulu porter le nom de son mari qui s’appelle Bouchama puisqu’elle dit à sa fille :« J’ai ramassé ton père dans le maquis, je l’ai civilisé et après, il part…». La tatouée peut représenter toutes les régions d’Algérie. Je n’ai pas voulu préciser l’endroit de résidence de la Tatouée pour éviter les conflits.

Amazigh Montréal : La fille de Madame Osmane est déchirée entre le monde de sa mère et celui de l’homme qu’elle aime.

Nadir Mokhnèche : Ça c’est très local. Il y a une sorte de schizophrénie. Elle vie une sorte de schizophrénie cette fille, même sa mère !C’est-à-dire, un moment donné on les perçoit comme des gens extrêmement ouverts et démocrates si on veut et puis tout à coup ils reproduisent le système le plus archaïque. La mère reproduit le système dont elle a pu être victime puis qu’elle est sorti, elle sa rencontré son mari à l’extérieur. Donc la fille est entre ces deux mondes et au même temps sa mère lui dit : d’accord tu peux prendre des initiatives mais s’il t’arrive quoi que ce soit ne viens surtout pas me voir». Elle crée la peur dans son enfant. Et comme la fille n’est pas tout à fait indépendant et on a toujours besoin de son propre clan, elle se sent piégée. Si jamais elle désobéit et elle rejoint la famille du copain, elle sera mal perçue et sans clan. Donc, orpheline. Son copain aussi est tordu puisqu’il est fils à maman. Sa mère pense que son fils ne fume pas mais dés qu’elle a le dos tourné, il prend une cigarette et il fume. Donc, je dis que cette schizophrénie est là et on a peur de se retrouver seul chez nous.

Amazigh Montréal : Il y a aussi la scène du mariage mais qui ressemble plutôt à une manifestation de règlement de compte entre les femmes. La réplique de Meriem ( Beyoua), qui disait : mais c’est quoi ce mariage qui en dit long ?

Nadir Mokhnèche : Ce qui est le fondement même de notre société-point de salut hors mariage-donc au sein même du mariage, c’est là où tout explose ! D’abord, on découvre les mensonges. Tout est conçu sur le mensonge, la polygamie, la haine entre l’algéroise et la non algéroise, les intérêts, les conflits. Bref, tout est complètement tordu dans ce mariage. Et bien évidemment tout un chacun prétend être légitime. Donc, au sein même de l’union, il y a la désunion. Nous sommes dans une société où l’hypocrisie est importante.

Amazigh Montréal : Il y a aussi un autre personnage intéressant dans votre film. Un Kabyle qui s’appelle Mimiche, qui travaille au Sud, a deux femmes. La première est une émigrée qui a une fille avec lui qui s’appelle Kahina. La seconde, qui est du pays, lui donne un garçon qui s’appelle Abdelkader. Il faut dire que la première n’a découvert la seconde épouse que lors de ce fameux mariage. Les masques tombent…

Nadir Mokhnèche : Ce kabyle ne dit pas qu’il a deux femmes. Il est censé être au sud trois semaines sur quatre pour travailler. Ce qui n’est pas le cas puisqu’il passe le reste du mois chez la deuxième femme. Donc, il vit dans le mensonge. Le personnage de la première femme, qui vient de France, a ce côté stratégie de changer de statut. Du statut d’émigrée, elle passe à un celui de la bourgeoise. En Algérie, elle vit en décalage par rapport à la société locale. Elle s’habille comme elle veut, elle porte des truc très courts et au même temps elle a ce côté ‘’Je viens de France’’. Donc, elle vit ce qu’elle n’a pas pu vivre à Paris par exemple. Seulement, les choses ne sont pas toujours comme on veut. Elle va payer le prix. La seconde épouse par contre a de la force et elle est belle. D’ailleurs elle lui donne un garçon !

Amazigh Montréal : Et ce personnage de Meriem incarné par Beyouna qui dit tout sans détour ni autocensure? Il nous projette beaucoup de nostalgie et surtout beaucoup d’affection que vous semblez avoir ou éprouver pour Alger ?

Nadir Mokhnèche : C’est vrai. Meriem incarne le petit peuple d’Alger. Quand j’ai écrit le rôle je n’ai jamais pensé à Beyouna. J’ai pensé à cette domestique mais en réalité il n’y a pas de classe sociale. Il n’y a pas de différence entre elle et Madame Osmane. Dans les années cinquante, on aurait pu penser qu’elles étaient issues du même quartier. Simplement, après l’indépendance, il y en a une qui a changé de statut. Sur le plan d’analyse psychologique, c’est que nous nous disons les choses. Par exemple, quand Meriem dit que je sais ce qui manque à Madame Osmane c’est un homme s’est dit ouvertement mais ça se résout rien. Le problème restera le même ! Tout l’immeuble, tout le quartier savent que ce qui manque à Madame Osmane c’est un homme. Madame Osmane le sait aussi mais ça ne résout toujours rien ! J’ai trouvé cela très surprenant. Je l’ai vécu dans ma famille quand les gens se disent les quatre vérités en face parfois sur la sexualité mais le problème demeure le même. Il ne sera jamais réglé. Je trouve cette liberté de parole très bizarre !

Amazigh Montréal : Durant presque tout le film, on a l’impression que vous êtes l’ami des femmes jusqu’au moment où le mari ce Madame Osmane revienne de France. Le public découvre un homme serein, calme et qui a beaucoup de classe et Madame Osmane qui le décrivait comme un monstre ou un lâche passe pour une hystérie. Tout d’un coup, on remet en cause le discours de Madame Osmane !Ce serait quoi votre commentaire ?

Nadir Mokhnèche : L’idée de remettre en cause Madame Osmane était voulue. Madame Osmane est une castratrice. D’un côté on la trouve très sympathique et séduisante mais d’un autre côté elle est terrible. Monsieur Bouchama a fui l’hystérie. Il est parti avec la française pour vivre en paix ! Cette paix, il l’a trouvée dans une société pacifiée. Notre société, pour le moment, n’est pas pacifiée. Mais en même temps, il n’a pas un très beau rôle. Il a tout abandonné. Son pays, sa famille…Il ne prend aucune responsabilité. C’est un personnage qu’on pourrait comprendre mais qui est démissionnaire. Sauf que, la société algérienne a encore besoin de lui. Par conséquent, il doit assumer son rôle de Mâle.

Amazigh Montréal : Mais Madame Osmane craque devant tant de responsabilités. Elle faisait tout pour prouver à son entourage qu’elle peut gérer sa Villa toute seule, sans l’homme, mais elle a failli, non ?

Nadir Mokhnèche : À La fin, on la voit, Madame Osmane, il y a un sursaut !

Amazigh Montréal : Pour terminer, votre film est passé où et comment a été la réaction du public?

Nadir Mokhnèche : Il est sorti en France, en Espagne. Ici, en Amérique du Nord, il est passé à Sans Francisco aux États-Unis, à Toronto et là à Montréal.


Entretien réalisé par
Djamila Addar



Source: http://www.algeroweb.com