«C'est ajouter au malheur du monde que de mal nommer les choses» Albert Camus

Albert Camus ne s'illusionnait pas en écrivant cette phrase. Le traitement médiatique et sa couverture quotidienne peuvent marquer et influencer grandement la perception toute déformée de certaines réalités. Nous ne présentons pas ici une analyse de presse, avec ces méthodes strictes et précises mais un aperçu de ce que peuvent offrir certains quotidiens québécois parmi les plus importants et les plus lus dans la Province.

Nous avons également fait le choix d'élaborer une recherche sur le réseau public radiophonique et de télévision en esquivant certaines grandes chaînes de télévisions québécoises francophones (telles TVA ou bien Télé Québec), d'une part par manque de moyens tant humains que financiers, mais également par le fait du contenu éditorial de ces chaînes pour lesquelles le sensationnel fait figure d'information. L’étude porte sur trois quotidiens francophones québécois, parce qu'ils proposent à eux trois un tableau représentatif de la presse écrite de la Province ainsi que par le fait que deux d'entres eux, Le Journal de Montréal et La Presse ont leurs homologues en région dans lesquels paraissent nombre d'articles identiques. Il en est ainsi du Journal de Québec, du Soleil, de la Tribune ou du Nouvelliste, qui appartiennent au même groupe industriel que le Journal de Montréal et que celui de La Presse. Le Devoir quant à lui, est une institution québécoise fondée au début du XXème siècle et qui reflète le point de vue d'une certaine intelligentsia québécoise, affirmant son identité et flirtant avec le mouvement souverainiste de la province. Des personnalités éminentes comme Jean-Marc Léger, André Laurendeau, Jean-Louis Roy ou bien encore Lise Bissonnette, participent à l'éclat et au sérieux de cette publication quotidienne incontournable au Québec. Ici est présentée la première partie jusqu’à la fin des années 1970. Viendront deux autres chroniques sur les années 1980 et les années 1990. L'évolution est significative et marquante et s'inscrit dans une courbe ascendante d'une part du fait des évènements politiques algériens et d'autres part en raison de la présence grandissante algérienne sur le sol québécois. Le graphique ci dessus en est l'illustration : il nous offre une vision rapide et parlante du peu d'attrait que suscitait l'Algérie jusqu'au début des années 1990. Le caractère sensationnaliste et voyeur de la presse écrite apparaît durant la dernière décennie du siècle avec le traitement des troubles et des violences dus à la guerre civile. Le nombre d'articles s'envole dans chaque organe de presse et les titres sont éloquents :  "Algérie : sanglante attaque contre un tribunal", "Terreur à l'Algérienne", "Tragédie insoluble en Algérie", "Toussaint rouge en Algérie : 5 enfants tués". Cette description et cette présentation de la guerre civile algérienne, mettent en scène un monde de violence et ensemencent le terrain qui permettra, dans les années 2000, la stigmatisation facile et destructrice des membres de l'émigration algérienne. Les médias et le traitement de l'information jouent un rôle capital dans la perception d'un pays, d'une culture, de l'autre. Il faut rappeler que les journaux quotidiens ont un tirage très important avec des chiffres dépassant les 200 000 pour le Journal de Montréal  et La Presse. Ainsi l'impact du message est fortement relayé dans la population. La dramatisation et sa mise en scène ne font pas cependant écho à des articles de fond sur les mouvements de résistance et les associations notamment de femmes qui en Algérie ont refusé l'islamisme. L'image renvoyée de l'Algérie, par la presse écrite au Québec, est affaire de violence. Cependant cela n'a pas toujours été ainsi au regard des premières années. Après l'intérêt des intellectuels québécois pour la lutte armée du FLN et la guerre de décolonisation2, l'Algérie ne préoccupe guère le monde médiatique. En témoigne le peu d'articles paru en 26 ans (1966-1991) : 18,7 par an en moyenne. A cela il faut évidemment souligner que les années 1973-1974 correspondent au traitement du premier choc pétrolier (l'Algérie étant pays producteur et membre de l'OPEP, ses prises de positions en sont d'autant plus étudiées) et le tournant des années 1970 fait référence à ce qui fut appelée l'Affaire Maschino. La répartition des articles en quatre grands thèmes dont les relations économiques avec le Canada, avec le Québec, la diplomatie, et la vie de l’émigration algérienne au Québec, nous révèle in fine le très faible et même inexistant intérêt de la presse écrite pour la communauté algérienne du Québec. Les premières années sont consacrées aux échanges diplomatiques (1971 notamment avec la création de l'Ambassade à Ottawa) et au rôle de l'ACDI et du monde entrepreunarial.

L'existence de la prégnance des luttes de libération des années 1960 est encore palpable en 1974 avec un article paru dans Le Devoir : "Alger n'accueillerait pas les felquistes : M Robert Elliott s'est dit surpris de la rumeur voulant que trois des ravisseurs de l'ancien haut commissaire britannique à Montréal, M James Cross, arrivés le 20 juin en France soient déjà en territoire algérien3." Ce rappel de la crise d'Octobre 1970 où les membres du FLQ avaient demandé à être extradés vers Alger avec qui ils partageaient certaines analyses sur les décolonisations offre une image très particulière de ce pays aux yeux des Québécois et des Canadiens. En effet, certains activistes de la cellule Chénier du FLQ ayant participé à ces deux enlèvements ont trouvé asile et refuge dans l'Algérie de Houari Boumediène. La couverture médiatique des relations canado-algériennes révèle le rôle capital qu'a joué l'ACDI dans l'implantation d'un partenariat commercial entre les deux pays. Ainsi sont évoqués, à plusieurs reprises et de manière assez rapprochée, au cours de la dernière décennie du siècle, les accords économiques et l'accroissement du commerce international. Cette courbe exponentielle va de pair avec l'arrivée de plus en plus importante de ressortissants algériens sur le sol canadien. Cependant, on observe malgré tout que ce traitement est minimaliste en comparaison d'autres questions économiques canadiennes.

Les trois quotidiens n'ont pas la même approche de l'information, les traitements des sujets et les choix éditoriaux sont extrêmement dissemblables entre Le Devoir, et le Journal de Montréal notamment. Ainsi les articles parus et traitants des questions internationales sont principalement à lire dans Le Devoir. La Presse travaille en partenariat avec Le Soleil et suit l'actualité de manière assez distancée jusque dans les années 1980. Elle ne publie que deux articles par exemple en 1977 intitulés "Boumediène : vers un socialisme sans dogmatisme" par Georges-René Cote4 et "Projets canadiens de plus d'un milliard en Algérie" par Paul Longpre5. L'année 1978 est marquante avec le nombre croissant d'articles et la multiplication des sujets tant dans La Presse que dans Le Devoir. Sur les 65 articles parus pour l'année 1978, 46 sont du Devoir, 8 du Soleil et 12 de La Presse. Mais sur les quelques articles du Soleil il s'agit des même écrits qu'avec son partenaire montréalais : "La SEE ouvre une ligne de crédit de $ 1,2 milliards à l'Algérie6" et "La SEE : marge de crédit de $ 1,2 milliards à l'Algérie7. 'orientation éditoriale des deux quotidiens en cette année 1978 est réellement représentative de ce que cela fut pendant de nombreuses années. Le Devoir a consacré un éditorial et une Une en plus des neufs articles dans le cahier A, à la maladie et à la mort de Houari Boumediène, tandis que La Presse annonçait sa mort dans la rubrique "Dans la Presse étrangère" et n'offrait qu'un seul article sur cette succession dans le bloc note de Jean Pellerin. Dans le même temps, ce que l'on pourrait appeler la première apparition d'un membre de la communauté algérienne dans la presse de la Belle Province est largement traitée par La Presse, Le Journal de Montréal et Le Devoir : pas moins de 35 articles sont consacrés à l'Affaire Dalila Maschino8. Nous avons réalisé une chronique à son sujet il y a quelques mois.

Durant la décennie 1960-1970, comme nous venons de le voir, l’économie est la principale source d’intérêt pour la presse québécoise. durant les années 1980 cette couverture va évoluer vers d’autres centres d’intérêts… Mais ceci est une autre histoire, alors je vous dis au mois prochain pour la suite…

Marion Camarasa - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.


1 - Le Journal de Montréal arrive en tête des quotidiens québécois avec un tirage en semaine de 272 758 exemplaires vendus et le samedi de 326 673 exemplaires, La Presse 180 383 exemplaires en semaine et 269 493 exemplaires vendus le samedi. Quant au Devoir, les chiffres sont bien plus confidentiels : les ventes du Devoir de fin de semaine sont ainsi passées à 42 817 exemplaires en moyenne et pour l'édition de semaine, à 26 229 exemplaires. Chiffres issus de l'enquête réalisée par la firme spécialisée Audit Bureau of Circulation (ABC) parus dans Le Devoir  édition du samedi 8 et dimanche 9 mai 2004.
2 - Traduit très justement par le livre de Magali Deleuze, déjà cité.
3 - In Le Devoir édition du 28 juin 1974 page 3 Colonne 1 Article 3.
4 - In La Presse édition du 25 juin 1977 page D16 Colonne 1 Article 1.
5 - In La Presse édition du 28 septembre 1977 page C1 Colonne 4 Article 1.
6 - In La Presse, édition du  5 octobre 1978 , page B1, Colonne 2, Article 2.
7 - In Le Soleil, édition du 5 octobre 1978, page B1, Colonne 3, Article 1.
8 - Le Devoir lui en consacre 24 pour l'année 1978.