Ayant vraiment tout fait pour éviter les sujets qui fâchent, et Dieu sait s'il y en a, conjoncture économique oblige, je déclare solennellement : mea culpa! Après des heures de gymnastique mentale, je me suis finalement avoué vaincu devant l'exercice auquel je me suis prêté. Il s'est révélé être au dessus de mes moyens.


Dès le départ, et en guise de preuve de bonne foi, je me suis résolu à consacrer ce présent billet à l'actualité footballistique, n'en déplaise aux fans des Alexeï Kovalev, Saku Koivu et autres Carey Price. Je sais qu'il y en a au sein de la communauté maghrébine du Québec...L'autre jour, j'ai même rencontré dans le métro un vieil ami agadirois portant un accessoire rappelant un bâton de hockey!

Mais voila, les nouvelles ne sont pas rassurantes. En tout cas, elles ne sont pas de nature à remonter le moral des plus coriaces d'entre nous. Cette fois-ci, ce n'est pas la préparation de nos Fennecs nationaux qui est en cause. Dans quelques semaines, un périple africain les emmènera dans la région des Grands Lacs, où ils inaugureront les éliminatoires simultanées pour le Mondial et la Coupe d'Afrique des Nations. Certes la campagne africaine s’annonce laborieuse, mais l’actualité nous réserve des thèmes encore plus révoltants.

Les raisons de ma mauvaise humeur ont deux noms: Réda Johnson et Aymen Demaï. Non, ce ne sont pas ceux de leaders d'obscurs partis politiques qui ont décidé de servir de lièvres à notre ambitieux président lors des prochaines joutes électorales qu’il organise. Celles-ci inéluctablement déboucheront sur un plébiscite. Le problème est plus prosaïque : Ce sont deux jeunes footballeurs qui ont opté pour deux sélections étrangères. Nous sommes habitués, diront certains, à ce genre de déconvenue…? Sachez qu’en dépit de tout ce que nous avons vu jusqu’à présent, c'est un évènement qui devrait entrer dans les annales du sport, et pas seulement. Et pour cause, nos deux lascars ont choisi des sélections du continent noir!

Demaï, l’enfant de Metz qui, par le passé, a joué pour les espoirs algériens et a longtemps attendu une convocation du coach national, sera finalement aligné dans la sélection du pays de sa mère, la Tunisie. Par contre, son compère Réda Johnson, qui lui est de mère algérienne, il y a encore quelques heures se préparait à croiser le fer avec…nos représentants. Ni plus ni moins! Il a choisi de porter les couleurs du Bénin, un pays sans traditions footballistiques. L’origine de son père, un Afro-Américain, le lui permet.
À l’heure où paraîtra ce texte, les deux jeunes Algériens auront déjà compté une sélection lors d‘un match international, ce qui rendra caduque toute sollicitation venant du camp des Verts, à moins d’un évènement de dernière minute. Comment sommes-nous arrivés là? Pourquoi un pays gorgé de richesses peine autant à attirer ses enfants, ou pour le moins les garder? Chacun ira de sa réponse. Ce ne sont pas les experts ès foot qui manquent chez nous.

Parions que ce nouveau couac ne risquera pas de semer la panique dans les couloirs de la Fédération Algérienne de Football. Sous d'autres tropiques, une affaire pareille aurait eu des conséquences suicidaires pour les responsables. L’on se rappelle la déception de la poignée de footeux que compte le Canada qui se sont sentis trahis, lorsque le jeune Jonathan de Guzman a choisi de défendre les couleurs de la Hollande, un pays où pourtant il vit et exerce son talent. Une puissance du ballon rond de surcroît...

Ainsi, des Algériens s'apprêtent à porter les couleurs de pays qu'ils ne connaissent qu'à travers la télé ou les histoires racontées par un parent. Ils auraient pu former une paire centrale prometteuse dans quelques années, mais la bêtise de nos décideurs en a décidé autrement.
Leur volte-face illustre parfaitement le malaise qui règne dans notre pays, l'un des plus gros producteurs de harragas, ces boat people d'un autre genre et d’une autre époque. Les « renégats » du sport rallongent régulièrement la liste informelle et hétéroclite des exclus du système, témoin de presque un demi-siècle de l’histoire mouvementée de notre pays : enfants de harkis, messalistes, islamistes, communistes, berbéristes, féministes révoltées, militaires dissidents, policiers au rancart, journalistes éplorés, intellectuels désabusés, étudiants insoumis, diplômés non reconnus comme tels, vieux apparatchiks aigris, désenchantés du boumédiénisme, déçus de l’expérimentation socialiste, rescapés de plusieurs vagues de purges, sacrifiés à l’autel du pseudo-nationalisme, « autres » opposants au parti unique, les affairistes qui en ont fait trop à l’exemple des Khalifa boys, etc. Tant de souffrances pour plusieurs générations d’Algériens. La liste est terriblement longue.

Plus grave demeure le fait qu'on ne voit pas le bout du tunnel. Nos baby-boomers à nous ne lâcheront pas prise de sitôt. Inamovibles qu’ils sont. Ils ont même hâte de commencer une nouvelle carrière. Des dinosaures en puissance!